
Devant une foule composée de médias indonésiens, les équipes de vente régionales, les concessionnaires Honda et un seul journaliste européen, Repsol Honda a dévoilé sa livrée 2015. Marc Márquez et Dani Pedrosa se sont joints aux fans et ont participé à une séance de photos.
Quelques jours plus tard, en Malaisie, Yamaha a présenté son programme de course 2015 devant leurs réseaux, les concessionnaires et partenaires commerciaux d'Asie du Sud Est qui sont venus en avion depuis l'Indonésie et les pays voisins. Le team Movistar Yamaha a déjà fait son lancement à Madrid - les millions de Movistar TV ont assuré l'emplacement de ce lancement, mais Yamaha a pris le temps de présenter les trois équipes de course en MotoGP, aussi bien que de présenter leurs activités en Asie. Pour être honnête, la présence de Movistar Yamaha, Tech 3 et les teams Yamaha étaient plus une opération d’image pour ravir les foules qu’une communication de nouvelles informations. Mais si l'Indonésie est si importante pour les constructeurs et le MotoGP, pourquoi n’y a-t-il pas une course là-bas ? Durant les essais MotoGP à Sepang, j’ai eu l’occasion d’avoir quelques conversations avec des gens à ce sujet. Officiellement, l'histoire est toujours la même : "il nous faut une piste convenable, et dès qu’elle existe, nous serions heureux d'y aller". Officieusement, cependant, ils étaient beaucoup moins optimistes. En effet, une piste étant l'obstacle le plus immédiat à l’organisation d’une course là-bas, mais ce n’est pas le plus gros problème. Une personne ne souhaitant pas être citée à résumer le sentiment général. La corruption : c’est trop cher et trop difficile...
La corruption n’est pas unique à l'Indonésie. Elle est endémique dans plusieurs des pays visités par le MotoGP. L’Argentine, ostensiblement une démocratie, est en proie à la corruption avec des politiciens vendant leur influence. La Malaisie a des problèmes majeurs de corruption, comme chaque chauffeur de taxi qui m'a conduit n’importe où dans le pays a bien pris la peine de me l’expliquer.
La corruption publique en Espagne et en Italie est largement répandue. En Espagne, le "Partido Popular" est impliqué dans un gros scandale impliquant des pots-de-vin à des membres du parti. Une partie de la colère en Espagne à la décision de Marc Márquez de s’exiler vers Andorre était liée à un scandale impliquant l'ancien chef catalan Jordi Pujol et des accusations d'évasion fiscale.
La différence entre l'Indonésie et l'Argentine n’est pas grande en termes de corruption. Les deux pays se classent à égalité en 107ème position du "Transparency International corruption perception index". Le problème est de savoir comment la corruption affecte le pouvoir politique et la capacité à faire avancer les choses. Il y a une course en Argentine car un puissant gouverneur d'une province régionale a décidé qu'il voulait organiser une course, pour aider à promouvoir le tourisme dans la province plutôt reculée de Santiago del Estero. Les gens au pouvoir sont en mesure de faire avancer les choses, de faire tomber les obstacles et d’atteindre leurs objectifs. L'Argentine a déjà ressenti les bienfaits du sport automobile, le Dakar fournissant à la fois un divertissement populaire de masse et apportant une activité économique bien nécessaire à certaines des régions les plus reculées du pays.
Le problème en Indonésie est qu'il n’y a pas de personnalité politique puissante avec un intérêt dans les sports mécaniques. L’impression que j’ai eue en parlant avec des Indonésiens, est que le MotoGP est un sport pour les jeunes. Il y a littéralement des millions de fans de MotoGP dans toute l'Indonésie, sur toutes les îles, et de toutes les confessions. Mais ils sont majoritairement jeunes, et comme tous les jeunes à travers le monde, ils n’ont ni le poids politique ni les moyens financiers pour faire bouger les choses. Ce manque d'influence s’observe notamment dans l'état des circuits indonésiens. Dans son état actuel, le circuit de Sentul nécessiterait d'importantes améliorations avant de pouvoir mettre en scène une course de moto internationale. Ces mises à niveau sont coûteuses, et sans un investisseur privé majeur ou une autorité locale enthousiaste, les fonds nécessaires ne seront jamais disponibles.
Mais tout n’est pas qu’une question d’argent. Dans le cas de l'Indonésie et du Brésil par exemple, il est également question d’influence et/ou de pouvoir. Dans les pays où la corruption est omniprésente, tout le monde doit payer, des agents des douanes à la police locale en passant par l'administration locale. Payer ces gens nécessite soit beaucoup d'argent, soit une figure locale assez puissante qui possèdent déjà la police locale, les autorités douanières ou l’administration, de sorte qu'ils n’aient pas besoin de dépenser de l'argent supplémentaire. Une telle personnalité avec un intérêt pour le MotoGP doit encore faire son apparition en Indonésie, ne laissant pour l’instant que la route des pots-de-vin pour arriver au but. Cette voie est au-delà des moyens du MotoGP. La police indonésienne est notoirement corrompue, si bien que les membres de la KPK, l'agence anti-corruption mise en place pour lutter contre la corruption de la police, sont sans cesse arrêtés sur une série de fausses accusations. Même en ayant un personnage puissant derrière vous il n’y a pas une garantie d'un avenir à long terme pour la course dans de nombreux pays.
L'annulation de la course de Moscou du World Superbikes en est un bon exemple. La course a été organisée et promue par Alexander Yakhnich, un éminent homme d'affaires russe qui possède des liens étroits avec le Kremlin. Yakhnich était si épris par ce sport qu'il a mis en place sa propre équipe de World Supersport, a décroché un contrat de dix ans avec Infront Motor Sports pour organiser une manche de World Superbike en Russie. Depuis l’année passée, la situation en Ukraine ayant provoqué des tensions entre la Russie et l'Occident, les affaires sont devenues beaucoup plus difficiles pour Yakhnich et il a été contraint à la fois de se retirer du monde Supersport et d’annuler la course WSBK à Moscou. "Sans le soutien du gouvernement rien ne se fait en Russie" a déclaré le chef d'équipe de Yakhnich, Nataliya Lyubimova au site Speedweek allemand. Une course peut passer du statut de bienvenue à impossible en un clin d’œil. C’est un schéma auquel doit faire face le MotoGP et le World Superbike dans toute l'Asie et l'Amérique du Sud. Il est difficile d'exprimer à quel point la Dorna désire organiser des courses en Inde, en Indonésie, au Brésil et au Chili. Pourtant, dans toutes ces régions, ils sont confrontés à des problèmes similaires. En Inde, les règlements douaniers rendent financièrement impossible l'importation et la réexportation des équipements nécessaires pour organiser une course dans le pays à un coût raisonnable. Le gouvernement indien n’ayant pas considéré le sport automobile comme suffisamment important pour accorder des dérogations douanières, laissant même le redoutable Bernie Ecclestone incapable d’organiser une course de F1 chez eux.
En Indonésie, la corruption rend les affaires quasiment impossibles. La Dorna était proche de signer un accord pour construire un nouveau circuit dans le pays, mais dans les quatre années depuis que j’ai entendu parler de cela, il n’y a eu aucun avancé au projet. Au Brésil, les répercussions de la Coupe du Monde de football de la FIFA et les préparatifs pour les Jeux olympiques de 2016 ont soulevé l'agitation de la population à de grosses sommes d'argent dépensées pour le sport, plutôt que pour aider une population urbaine pauvre. Si les Brésiliens se plaignent du coût d'organisation d'un tournoi de football, financer des améliorations à un circuit de course de moto devient une impossibilité politique.
De la sorte, nous sommes coincés avec quatre courses en Espagne, deux en Italie, et aucune au Brésil, en Inde et en Indonésie. Pour les usines et la Dorna, les gains potentiels à organiser des courses dans ces pays seraient énormes. Les ventes de motos en Indonésie sont supérieures à 8 millions d'unités par an. En Inde, elles atteignent 2,5 millions d'unités et au Brésil, un peu moins de 2 millions. Pour la Dorna, également, le potentiel en termes de droits de télévision et de ventes de produits dérivés est gigantesque. Mais aussi grand le potentiel soit-il, ni Dorna ni les fabricants ne peuvent se permettre de naviguer dans la mer de corruption qui engloutit ces territoires.
Avant qu’il n’y ait des changements politiques majeurs dans ces pays, ils resteront comme les sirènes de la mythologie grecque : toujours séduisantes, mais posant un danger mortel pour ceux qui répondent à l'appel.