« Une place vient de se libérer pour les inscriptions du RMI de St-Cergue » …, tel fut le communiqué de Torben Huthmann dans le groupe WhatsApp du Swiss Moto Legend Trophy (SMLT). Un ami à lui s’était blessé et ne pouvait donc plus participer à cette manifestation. Branle-bas de combat, panique à bord, envie à bâbord et gros de flip à tribord.
« Saint-Cergue », je voyais bien cette montée interminable, la fameuse « Route Blanche » et ses quelques 7’000m de ruban noir quasi impossible à mémoriser pour ma cervelle de Dora, même en usant et abusant de procédés mnémotechniques et autres subterfuges mémoriels... Je visualisais bien la vidéo de la montée de Sébastien Suchet et de Loris Baz, lors de la toute dernière édition, en 2019. Mais il faut prendre une décision maintenant. Une demi-heure plus tard, ce fut un grand « oui ». Pas un « ouf » de soulagement mais le « oui » massif, franc, velu, de celui, euphorique, qui venait de vivre la première course de côte de sa vie (l’ouverture de la saison SMLT, à Marchaux)…
Voilà. Maintenant, la priorité c’est : aller chercher le bus, charger la moto, monter la poser dans le parc pilotes, aider à monter et déplacer les barnums, aller au contrôle technique avec casque et Jürgen, boire, discuter avec les copains et amis croisés tout au long du chemin, boire, ramener la moto sous la tonnelle, la béquiller, fermer les bâches. Et boire. Il fait chaud. Très. Mais, au final, on n'est pas trop mal installés, avec Torben, Jürgen et Romain. Juste à côté de la grosse délégation du Team Girard (Corcelles-le-Jorat) venue en nombre sur cette Rétro 2022.
En allant au contrôle technique avec Jürgen, j’aperçois Jacques Cornu, Rolf Biland, Christian Sarron, pour ne nommer qu’eux. Et Jean-Daniel Schneiter. Partout des visages connus. Partout ce teint cuivré, tanné, et ce grand sourire sur les visages. Comme une ambiance de fin d’année scolaire. Se retrouver entre copains, et faire un bon coup de moto sur une montée de renom.
Oui boire, beaucoup. Et aller déguster cette fameuse spécialité à Rando Burgers (dont Torben a tant vanté les qualités gustatives et caloriques) avec ma toute nouvelle famille d’accueil. À la fin du souper, je rentre dormir à Lausanne et redescends par le tracé, et me rends compte que ça tourne quand même un peu (doux euphémisme). Coup de flip quand je me retrouve au niveau du parking d’en bas, qui marque l’aire du départ. Je réalise alors que je n’ai toujours pas mémorisé le tracé… Mais je sais vaguement qu’il y a quelques virages en épingle et en montée qu’il faudra bien négocier. Et qu’il ne faut pas être trop généreux sur les trajectoires. Mais demain est un autre jour et il me reste une bonne (et courte) nuit de sommeil pour finir de remettre toutes ces choses en place.
Lever aux aurores, le temps d’engloutir un espresso et je file vers Saint-Cergue. Il fait déjà jour, il fait (encore) frais et la route est barrée ; faut monter par Arzier, et slalomer ensuite dans le dédale des petites rues du village. Je finis par trouver une place pour le bus, et c’est déjà l’effervescence dans le parc coureurs. Malgré l’altitude qui rabote quelques degrés Celsius par rapport à la plaine, ça commence déjà à cuire.
Briefing pilotes : on se dirige comme un seul homme vers ce grand chapiteau. Bernard Bally distille les consignes, imprime ses exigences. Je me cale dans un endroit à l’ombre, prends deux, trois photos souvenirs. Il y a des visages célèbres, il y a des visages connus, il y a les copains. Et tous nous écoutons religieusement notre directeur de course (terme galvaudé, puisque ce n’en est pas une).
Briefing terminé, les pilotes regagnent leurs quartiers. Calmement, comme déjà terrassés par la chaleur qui s’installe. Brefs instants de répit, avant que les moteurs soient tirés de leur nuit, et que les mégaphones se mettent à chanter leurs musiques d’airain. On se met en prégrille, pour descendre à la grille de départ. Oui, c’est un concept : descendre pour monter. Et il paraît même qu’il en a qui font ça vingt fois par jour, sur cette même route, les journées fastes…
Jean-Marie Gerber sur sa belle Honda CB1100R est à côté de moi. On se décale vers l’ombre d’un arbre. On reste sur nos motos, qui sont en configuration course du Swiss Moto Legend Trophy, donc pas équipées de béquilles. Des bénévoles viennent nous offrir à boire. Et ce sera ainsi tout au long de la journée, merci de nous aider à refroidir l’autocuiseur qui surchauffe dans nos combinaisons !
Et puis, à un moment, LE signal. On remet les casques, on enfile les gants, et le cérémonial maintes fois répété s’installe : on se concentre, on rentre dans sa bulle. Et la descente reste une occasion de plus pour moi de (tenter de) mémoriser le tracé. Et pour me rendre compte que les 7 kilomètres ne rentrent pas tous dans mon disque dur. Mais je vois. À peu près. Les virages qui vont débouler, me sauter à la bulle.
Première montée effectuée, pas le temps de retourner au paddock. On enchaîne directement avec les suivantes. Re-attente, re-signal, re-enfilage de casque et de gants, et rebelote, on re-descend ! En bas ça chauffe dru, la température est encore montée d’un cran et le speaker chauffe les rangs des quelques 270 pilotes et passagers. N'empêche: c'est génial de voir tous ces grands noms de la moto (anciens et modernes) dans les rangs, d'être au départ et de partager cette montée avec eux. Qu'ils soient là. Je vois aussi passer les membres du Team Girard, d’autres copains, tandis que Torben et Jürgen sont loin devant. Fabrice, l’adjoint à la direction de course et préposé au départ me reconnaît. On se tape dans les mains, puis il lance notre vague. On part par série de trois ou de quatre pilotes, avec un espacement d'une petite quinzaine de secondes entre les vagues. Je passe sous l’arche gonflable, puis devant les side-cars puis ce sont les virages qui se succèdent et qui me sautent à la figure. "Regarder loin". "Plus loin encore". Il a de sacrées différences de vitesses, on remonte sur les montures plus anciennes, d’autres me remontent dessus. Mais on garde de la marge, on garde ses distances.
Plaisir. Gros flip. Puis je me relâche au fil des virages, je suis dans ma bulle: la Suzuki hurle, se cale sur le point de corde et s’extirpe avec force du virage. Je frotte le genou dans un gauche en montée. Sensation bizarre.
J’entends du monde derrière moi. Côté gauche. Puis un bruit pas normal, comme un truc métallique qui frotte, et je vois une moto rouge fuser à quelques mètres devant moi, comme une torpille, et aller finir sa course dans le ravin. Puis un pilote rouler/bouler devant moi aussi, vision irréelle. Juste le temps de choper les freins, et de serrer le levier, à la limite du blocage de la roue avant. Et là, par miracle, ma roue avant qui s’arrête à quelques centimètres de sa tête. La moto est désormais arrêtée, je perds l’équilibre, et j’accompagne Miss Gex qui choit avec délicatesse sur son flanc gauche. Levier d’embrayage cassé au niveau du pivot. Je tente de relever ma moto, les commissaires de piste… euh les bénévoles agitent les drapeaux et avertissent les autres pilotes. Ma moto verse de l’essence, je marche sur la trace, je glisse, je glisse encore. J’ai chaud. J’aperçois Jacques, le pilote qui a chuté : il est debout. On vient m’aider. Bernard Bally est là. Je redémarre, rien, Miss Gex hoquète. Elle toussote, mais rien. Puis on me pousse, elle toussote encore, hoquète un peu puis s’ébranle dans un léger feulement. Je suis en première, ça tient, j’accélère. Je ne peux pas embrayer ; le levier pendouille, et je le perdrai quelques virages plus loin. Je parviens toutefois à passer la seconde. Je ferai toute la montée en seconde, concentré mais passablement secoué. J’arrive au barnum, fait caler la moto. On la met sur la béquille. Je retire mon casque: je suis blême.
Midi fébrile, pas trop mangé. Torben s’affaire sur le levier, il aime la mécanique de précision, quand ça s’emboîte bien. Quand tout rentre dans l’ordre. Et par chance, un membre du Team Girard possède un levier en réserve (un grand merci, Philippe). Torben est tout à son affaire, entre une frite ingurgitée et un morceau de saucisse de veau vite englouti. Je le regarde faire, fasciné malgré moi par cette séance « saucisse et mécanique de précision ». Et tentant de faire diversion afin de baisser la tension en moi. Je revoyais encore le casque de Jacques, juste à une vingtaine de centimètres de ma roue avant… Tamara, la maman de Torben, me voit cogiter. Elle vient vers moi, et trouve les mots justes. J’échange un long regard avec Torben et Jürgen. On se comprend.
Faut repartir.
Les montées de l’après-midi s’enchaînent comme dans un rêve. Je suis vigilant, je reste concentré, dans ma bulle. Je continue d'engranger de l’expérience précieuse. Et savoure les moindres instants. Je suis concentré. Je garde de la marge...
Et j’ai été rassuré sur l’état de Jacques, qui est passé nous voir plus tôt. Il serre les dents. Il grimace un peu mais le bonhomme a l’air dur au mal...
Le soir, quand la tension retombe, je repense à cette journée, intense, folle, pleine de rebondissements et de dangers. Et je savoure encore le fait qu’il y ait eu rien de grave.
Le lendemain soir, je reçois la vidéo que Sandra Petit m'a envoyée… Je blêmis à nouveau de revoir la scène, filmée de l’extérieur cette fois-ci. On voit bien sa moto qui glisse et part comme une flèche dans le ravin. Et Jacques rouler-bouler et s'arrêter juste devant moi. Et Miss Gex et moi qui tombions avec la grâce d'un hippopotame en tutu ! Et ce soir-là, je l’avoue, j’ai brûlé un cierge. Et de l’encens aussi. Et pensé mille fois à cet ange-gardien qui veille (encore et toujours) sur moi.
Désormais à la longue liste de choses à faire (regarder plus loin, ne pas trop déhancher, etc) et à travailler vient s’ajouter l’achat de leviers (d’embrayage et de frein) et de repose-pieds. L’apprentissage continue donc. Dans la joie et la bonne humeur, et avec une famille formidable. Mais en brûlant un cierge après cette belle édition de la Rétro Moto de Saint Cergue.
Mais que dire d'autre ? Malgré tout, la Rétro Moto de Saint Cergue, ça reste unique et c’est une sacrément belle montée.
Et vivement dans deux ans!
Un grand merci aux bénévoles, aux organisateurs, aux amis qui sont passés (Sylvain, Sophie et Stéphane, Julien, Mickaël et les autres), à Yves Meier, à Sandra Petit pour les séquences vidéos.
Vous retrouverez les photos de Thierry Cittone également parmi les galeries du site internet de la RMI Saint Cergue, ainsi que celles de Yves Meier.