Ce dimanche ensoleillé du 7 juillet, j'étais à la 27e Course de côte de Boécourt - La Caquerelle. Au menu m’attendait une course de régularité. La recette pour obtenir un écart minimum entre les deux courses, c’est de mettre plein gaz sur tout le parcours et reproduire le même schéma (trajectoires identiques et mêmes erreurs) lors de la deuxième course. La W800 Cup s’intercalait parmi l’une des manches du Championnat Suisse et Championnat de France de la Montagne.
Dans le paddock, l’ambiance est bon enfant. Les pilotes papotent entre eux. On revient sur le tracé, les trajectoires à adopter, le rapport de boîte engagé à certains passages clés, la structure du revêtement, ... D’autres bichonnent leur monture et procèdent aux derniers réglages. Les pilotes Vintage ajustent leurs carburateurs. On y voit de tout, mais surtout, on ressent une réelle convivialité parmi les pilotes et l’organisation. Cette course de côte fait encore partie de ces manifestations où la passion du deux-roues motorisés se vit pleinement, tant du côté des pilotes que des spectateurs.
Comme à l’accoutumée, le départ est donné à la hauteur du restaurant Le Chênois à 544m d'altitude. L'arrivée se situe à En Tevers à 800m d'altitude, guère avant le restaurant de La Caquerelle. Le tracé mesure 3km et présente une dénivellation maximale de 10%. Quatre chicanes ponctuent les passages rapides ; trois sont dans la ligne droite après le départ, et l’une à la sortie de la forêt.
Alors que les coureurs des autres catégories ont eu droit à des essais libres durant la journée de samedi, les concurrents de la W800 Cup doivent se contenter de deux essais chronométrés le dimanche matin, avant les deux courses de l’après-midi. Et ce n’est pas de trop ! Le parcours est simple à mémoriser. Par contre, les quatre chicanes n’offrent pas une visibilité optimale. En effet, difficile de juger de quel côté on y entre... et surtout, visuellement, il est quasiment impossible d’évaluer la distance à laquelle elles se trouvent lorsque l’on s'en approche. Heureusement d’ailleurs qu’il y a des panneaux indiquant la distance restante... tous les cinquante mètres.
La première montée d’essai se déroule en mode "reconnaissance du parcours" : plein gaz en ligne droite et trajectoire approximative en virage. Les blocs en plastique rouge des chicanes sur lesquels sont inscrites des flèches oranges pour indiquer le côté d’entrée sont à peine perceptibles. Lequel est devant, lequel est derrière ? Celui de gauche est avant celui de droite ou inversement ? Le moins que l’on puisse dire est que ça change la donne si l'on se plante ! Arrivé en haut, au lieu-dit En Tevers, l’un des pilotes me confirme ce que j’avais mémorisé... soit : entrée à droite, entrée à gauche, entrée à droite, entrée gauche. Au moins, ce n’est pas trop difficile à retenir ! On discute également des freinages. Certains parlent de soixante-cinq mètres, d’autres plus téméraires avouent cinquante-cinq mètres avant la chicane... OK les gars, mais il n’y a pas de panneau qui indique ces distances, z’êtes cools !
La seconde montée d’essai, les choses sérieuses commencent. Le départ est donné. Je pars en wheeling sur dix bons mètres. Le twin parallèle de la Kawa’ n’est pas une foudre de guerre mais offre un couple généreux pour tracter ferraille et pilote. La première chicane m’explose à la tronche. Pire encore, le frein avant me fait des frayeurs. Progressif puis brusque, la zone de rupture d’adhérence de la roue avant est vite atteinte, trop vite même. Heureusement, la moto est parfaitement droite. Pif-paf, je passe la chicane... et rouvre plein gaz. Le rupteur à 7’500tr/min m’indique que je suis déjà dans la zone rouge... deuxième, troisième et je passe vite le quatrième rapport pour gazer encore quelques instants. Il reste à peine soixante mètres avant la deuxième chicane. C’est chaud... j’écrase la poignée de frein et reste à la limite. Le pneu avant, déjà écrasé par le transfert de masses, hurle de douleur mais résiste. En même temps que je freine, les rapports tombent et la roue arrière se dandine. Amusant, certes, mais délicat. Je suis aux limites de la bécane, c’est sûr.
Le temps de passer cette deuxième chicane et je m’élance vers la troisième chicane, en pleine forêt. Je reproduis le même schéma et tente de passer le quatrième rapport. Grave erreur, cette troisième chicane était sûrement plus proche de la deuxième que la deuxième de la première. Ce n’est qu’à la hauteur du panneau des cinquante mètres que je pile sur le frein. Voyant la chicane se rapprocher dangereusement, j’appuie encore. La roue avant se dérobe et la moto tend à se coucher. Je relâche à peine, juste assez pour que la roue reprenne de l’adhérence et appuie une seconde fois. La roue est à la limite... mais la chicane est devant moi. Tout le poids basculé sur l’avant, je me lance à gauche pour négocier cette troisième chicane. Dans le feu de l’action, j’ai oublié la règle fondamentale s’appliquant à la Kawa’ W800 "ne jamais entrer en virage sur les freins"... Le comportement de cette machine est si atypique que l’on en oublie à quel point il est différent.
Je ne fais pas exception à la règle. Je perds l’avant et la moto se couche inévitablement. Je chute lamentablement et glisse quelques mètres. J’évite de justesse la chicane ; la moto n’a pas eu cette chance. Je me relève en rageant et pestant contre mon erreur. Je constate quelques douleurs, notamment au coude gauche. Rien de grave, apparemment. Les pilotes redescendent de l’arrivée et retourne au paddock avant que le prochain groupe prenne part aux prochains essais chronométrés.
Je m’en tire avec une belle brûlure et un gros hématome au coude gauche et un orteil fissuré. Je profite de la pause de midi pour panser la plaie. Comme il s’agit du gros orteil gauche et que le simple fait de le solliciter me provoque de vives douleurs, je décide de relever le sélecteur de vitesse pour que je puisse monter les rapports par l’impulsion du cou-de-pied plutôt que par l’orteil... les descendre se fera avec le talon. Solution scabreuse, mais efficace, et surtout, elle me permettra de participer à la course jusqu'au bout.
A 14h, le départ de la première montée-course de la W800 Cup est donné. Les motos sont alignées sur la pré-grille dix minutes avant le premier départ. Entre mon coude gauche qui me gratifie de bons pics de douleur et mon pied gauche handicapé, j’aurai fort à faire.
Arrivé sur la ligne de départ, mes yeux rivés sur le feu, la tension est à son comble. Les gaz sont à mi-régime, je suis prêt à relâcher l’embrayage. Le feu passe au vert. Je déconnecte et centre mon regard sur le point de fuite du prochain virage, à la sortie du virage. J’avoue mon appréhension face à ce frein avant au comportement douteux et adopte une conduite plus fluide et moins "le couteau entre les dents". Mon but s’est plutôt orienté vers "participer à la course" plutôt que "réaliser un chrono".
L’enchaînement des chicanes se fait avec douceur. Puis, les virages, en sortie de forêt, avec dextérité tout en respectant la bonne trajectoire mais sans excès de zèle. Je franchis la ligne d’arrivée... avec comme un sentiment de soulagement. Je subis le contrecoup de la chute...
La seconde montée se fera en respectant ce même objectif et en restant dans le même état d’esprit. D’une part, car je ne suis guère dans mon assiette... mais aussi, pour que la différence de temps entre mes deux montées ne soit pas trop importante.
Après une journée passée dans une ambiance de course, je tire mon chapeau à tous les pilotes de toutes les catégories qui enchaînent par tous les temps plusieurs week-ends entiers par saison.
Etre pilote, même amateur, c’est aussi très fun ! C’est un sport dans lequel on se surpasse, on vise toujours plus haut, on joue des coudes, on cherche l’astuce pour grappiller quelques dixièmes de seconde, ... mais aussi, c’est un loisir riche en relations humaines et en expériences de vie. Comme dans toute activité, il y a la face obscure, celle du risque, du sacrifice et de l’échec. Mais peu importe, un point noir est vite oublié et l’on se relève vite !