Ça s’est ficelé fin Septembre, pendant le weekend au Schallenberg, entre deux montées, ou presque. Jean-Luc Ronchi, l’organisateur du Swiss Moto Legend Trophy (SMLT), me glissa alors à l’oreille : « Il y a moyen que tu roules à Verbois le dimanche, cette année »… C’est important, le « cette année ». Très. Car la course de Verbois, c’est tout juste dans trois semaines et c’est aussi ce qui va créer ce tordage de boyaux, le fameux double nœud à l’estomac. Puis un texto de confirmation s’ensuit quelques jours après : « C’est OK, c’est arrangé avec les organisateurs de Verbois », Cette fois, c’est le mot « arrangé » qui finit de me nouer les boyaux à triple tour...
Hier (samedi), c’était plutôt cool, en mode photographe.
Mais aujourd’hui dimanche, ce sera en mode presseur d’huile, tellement je suis tendu. Et il y a de quoi car il s'agit ni plus ni moins de la première course de ma vie... Donc, il est tout juste 8h en ce matin et l’aube peine encore à percer, encore ankylosée par l’humidité qui règne aux abords du barrage. Le paddock est calme. Et la brume tenace peine à se dissiper.
J’arrive au barnum du SMLT : Jérôme mon compère d’ActuMoto est déjà là. On se regarde, on rigole bêtement, on a des trémolos dans la voix, ça fait drôle. Je suis tendu. Christian est là, Serge et Olivier aussi mais Claude n’est pas encore là ce matin: il ne courra pas aujourd’hui, suite à sa glissade de la veille. Jean-Luc n'est pas là aujourd'hui non plus, mais il nous laisse sa belle GSXR, puisque "c’est arrangé avec les organisateurs"... Pour souffler un peu et gérer mon stress, je suspends mon cuir et la dorsale, puis vais faire le tour du paddock.
Il fait vraiment froid, et humide. De cette humidité qui s’infiltre à l’intérieur des vêtements et renforce cette impression de froid, on ne s’en sort pas.
Les pilotes et accompagnants arrivent peu à peu, la luminosité change un chouïa, mais c’est à peine perceptible. On démarre les premiers moteurs. Il est presque neuf heures, Verbois s’éveille.
On décide que c’est Jérôme qui fera la première montée, on alternera comme ça tout au long de la journée, entre les montées d’essais, les chronométrées et les montées de démo. Christian démarre le moteur, en tirant le starter. La SRAD de 1996 s’ébroue du premier coup et se cale sur le ralenti. Je m’approche d’elle, pose ma main sur le réservoir, je l’écoute, tout en donnant de petits coups de gaz. Gentiment. "Bonjour, toi!": nous faisons connaissance. On s’apprivoise. Tout doux, tout doucement.
Puis soudain, tout s’emballe, le speaker appelle les coureurs au briefing. Et nous nous dirigeons comme un seul homme vers la cellule de chronométrage. Dernières consignes de rigueur, « soyez prudents » et « faites-vous plaisir ». Puis ce fut le concert des moteurs. Il est 9h30, et bientôt les premières montées.
Jérôme se prépare. Il rentre dans sa bulle, dans ses rituels, se concentre. Autour de nous, les visages se ferment. Et tous s’acheminent vers la ligne de départ. C’est parti !
Je suis au départ. Le deuxième de la matinée.
Je suis bien trop nerveux. Et cale. Redémarre le mors entre les dents, entrée dans le sous-bois. La « Palissade » me saute à la gueule. L’horizon se rétracte soudain et j’ai l’impression de rentrer dans un tunnel, qui se rétrécit à mon passage. Comme un trou de ver. Petite ligne droite, la visière est recouverte de gouttelettes d’eau, m’obstruant la vision. Je ne vois plus rien, mes jambes sont trop repliées. Chuis pas bien. Je roule visière ouverte.
J’accélère et passe une vitesse. Puis arrive le virage du village des exposants, j’essaie de rentrer ce gauche tard, de prendre un point de corde le plus loin possible. La brume est tenace, ne pas accélérer sur la ligne blanche. Pas tomber. « Moto à Jean-Luc », me glisse en aparté une petite voix.
Puis vient la traversée au-dessus de la voie ferrée, une petite ligne droite avant d’arriver sur le virage AcidMoto. S’ensuit une courte ligne droite en montée, puis le droite me saute au casque avant de rejoindre la rectiligne de l’arrivée. Je fais attention à la ligne blanche, je roule sur des œufs. Je ne parviens pas à me détendre dans ces conditions inhabituelles. Puis je me pose à la fameuse station-service, celle où je voyais les pilotes tourner la tête aussitôt la ligne franchie afin de vérifier leur chrono sur le panneau d’affichage.
Là, je suis tellement stressé et soulagé d’être en haut, que j’en oublie même la moindre esquisse de pensée, de vérification de mon temps de montée. De toute façon, j’ai dû gagner une brouette de secondes par rapport à tôt ce matin. De quoi voir venir sereinement le mur de la minute, haha. (Pour voir des vidéos, le compte-rendu de Patrick contient sa vidéo, mais aussi celle de Bryan Leu...)
En attendant la fin des montées et en attendant que les directeurs de course viennent nous chercher, je me range sagement parmi mes compagnons du jour et au milieu de ces buissons de béquilles. Bernard Bally me fait signe, Christian me parle, me rassure. J’opine du chef, machinalement. Mon niveau d’adrénaline a crevé le plafond, de toutes façons, je ne l’entends plus depuis belle lurette. L’attente à la fin de la montée se fait au niveau de la station-service. Pas de béquille latérale ni d’atelier, il faudra donc patienter en restant sur la moto.
Il y a comme une atmosphère de kermesse, à la fois enjouée et studieuse. On était heureux d’être là et mille fois vivants. Tout simplement. Puis s’ensuivent deux montées de démonstration avec les motos historiques. Et, un peu avant la pause de midi, comme par miracle, le voile se lève.
Je déambule dans le paddock. Machinalement. Avant d'aller m’aligner pour ce qui sera la der des ders, ma dernière montée de la journée.
Je croise Thierry (Droz), qui me file un tuyau. Il montre un coureur dans le paddock : « Tu vois, quand lui se prépare, je me tiens prêt et je démarre ma moto. Dès qu’il enlève ses couvertures chauffantes, j’enfile mon casque ». Et Titi, c’est justement mon repère à moi. Je décide donc de me caler sur lui.
Puis un crash à la fin du parcours marque l’arrêt des montées durant une trentaine de minutes. Une éternité. Je vois Luc redescendre, il a les yeux humides, et la gorge serrée. On s’occupe du pilote (on apprendra plus tard que c’est OK pour lui). Puis, le parcours est ré-ouvert aux pilotes. Serge et Olivier remontent, Christian et moi nous décidons de ne pas y aller. L’humeur n’y était plus. Faut penser à plier et finir sur une belle impression de course… La petite voix dans ma tête me parle à nouveau dans le casque : « Moto à Jean-Luc, pas tomber ».
Et c’est à ce moment précis, au moment de tout plier, instant de grâce ou d’inconscience, ou les deux en même temps, qu’a germé l’idée folle de participer à l’édition 2022 du SMLT… Un championnat de régularité couru sur des machines d'avant 1999. Et c’est ainsi que vous vous retrouvez à envoyer un courriel à la Fédération Motocycliste Suisse pour demander une licence de course de côte. Et à vous retrouver à faire une visite médicale, contracter des assureurs (et deux ou trois mécènes), et devant un écran d’ordinateur, un samedi 5 février matin, dans un gîte du Jura, à vous dépatouiller avec l’application « Race Manager » pour la demande de licence… Et, pour finir, dénicher la fidèle monture qui vous accompagnera dans vos prochaines aventures.
C'est fou, voire complètement insensé. Mais après tout, on n’a qu’une vie.
À suivre.
Merci à Jean-Luc Ronchi, l'organisateur du championnat SMLT, à l'organisation de la course de côte de Verbois, aux pilotes SMLT présents (Claude Volet, Serge Gasser, Olivier Audetat, Christian Ronchi et Jean-Luc Ronchi), à mon collègue Jérôme Ducret, à Alain Duroy, à tous les pilotes de Verbois, aux spectateurs, aux bénévoles et aux photographes (Thierry, Denis, Mickaël et Mathias).