En fait, mieux que des mots, passons dans le vif du sujet. Ce qui nous intéresse, ce sont les performances routières plutôt qu’une série de chiffres et d’attributs technologiques tirés d’une fiche technique.
Après un rapide briefing durant lequel on m’explique les différentes possibilités de calibrage, ceci dit au passage l’ergonomie étant au rendez-vous, on se dirige vers les motos d’essai qui nous attendent, toutes alignées. Le coloris ‘Superpole’ de la version Factory est sobre, presque trop. Pour une version si exclusive, je m’attendais à quelque chose de plus clinquant, à la sauce italienne. Le combo rouge-blanc-vert de la RSV4 RF lui serait allé à merveille. Malgré le fait que la Tuono soit une superbike dénudée, elle reste esthétiquement attirante. Mettant en évidence son cadre en alu poli, de même que son magnifique bras oscillant du même acabit, la Tuono est reconnaissable parmi toutes ses concurrentes : sa tête de fourche solidaire au cadre avec ses trois feux, sa boucle arrière effilée et fuyante, son V4 dissimulé derrière le cadre, ses imposants carters, sa silhouette ramassée, …
Les Tuono V4 d’essai sont équipés du silencieux Akrapovic disponible en option (et gratuit si achat avant le 31 mai 2019). Il ne fait ainsi aucun doute que la bande son sera remarquable. Et ce n’est pas peu dire, le V4 démarre dans un fracas distinctif, en grimpant à 3’000tr/min avant de se stabiliser sur le ralenti. La ligne d’échappement étant équipée d’une valve s’ouvrant aux alentours de 5’500tr/min, le silencieux distille ses vocalises sur la retenue, et ce n’est qu’au-delà de cette limite que le moteur hurle à plein poumon. Les quelques kilomètres urbains me permettant de nous extraire de la ville sont effectués essentiellement sur le premier rapport. Alors que la plupart des autres motos tolèrent l’évolution à 50km/h sur le troisième, voire le quatrième rapport, la Tuono digère mal qu’on lui impose des sous-régimes. En ville, ce sera alors le premier et le deuxième rapports. Point. Mais en soi, ce n’est pas rédhibitoire puisque le V4 est doux au-dessus de sa plage de sous-régime. A la coupure des gaz, de même qu’à la remise, je ne me plains pas d’à-coup désagréable. Et surtout, évoluer sur le premier rapport en-dessous de 60km/h s’assimile à une moto de compétition lorsqu’elle se trouve sur la pit-lane. Ça a ce côté jouissif difficilement descriptible.
Enfin, si l’on s’attarde au côté pratique de la Tuono en milieu urbain, ce n’est pas la moto de référence dans le domaine. Un rayon de braquage de sportive, une position très appuyée sur les poignet, des remontées de chaleur entre les cuisses, … Ce n’est pas idéal, une utilisation régulière en ville reste toutefois envisageable. Notez aussi que la suspension semi-active aide de manière significative à filtrer les imperfections de l’asphalte. La Tuono serait-elle devenue une moto confortable ?
Dès que je rejoins des routes plus « virolentes », je souris sur le casque. La partie de plaisir(s) peut enfin commencer. Je tombe quelques rapports. Le quickshifter donne un coup de gaz à chaque rétrogradage… mmmh, j’aime ça. Et suivant le régime moteur, l’échappement renvoie quelques détonations. Ce n’est pas caricatural comme nous le rencontrons dans le domaine automobile, mais parfaitement dosé et typiquement racing. En fonction du riding mode choisi, la délivrance de la puissance est adaptée, de même que l’importance du frein moteur. Etonnamment, j’ai choisi le mode « track », le frein moteur étant très limité et la puissance moteur disponible à la moindre rotation de la poignée des gaz, sans pour autant être violent et sujet à des à-coups intempestifs.
Au fur et à mesure que les virages s’enchaînent, je prends rapidement confiance en la moto. A l’image de sa soeur RSV4 1100 Factory que j’ai eu l’occasion d’essayer sur le circuit du Mugello, la prise en main est rapide et intuitive. Le pilotage de la Tuono ne se fait pas au guidon, à l’instar d’autres roadsters, mais en fonction de la position de votre corps et en suivant votre regard, comme une sportive en fait.
Virage après virage, je freine plus fort, je prends plus d’angle et j’accélère plus vigoureusement. Baigné dans une ambiance sonore pour le moins envoutante, je me délecte à chaque fois que je redonne des gaz. Les virages serrés sont passés sur le premier rapport, puis je rouvre les gaz franchement. La roue avant se déleste, parfois décolle légèrement. Le contrôle de traction s’affole et fait son travail avec brio, tout en progressivité, dans l’unique souci d’optimiser l’accélération. Le quickshifter passe les rapports avec une douceur rassurante, surtout lorsque je suis encore sur l’angle. Très rapidement, le paysage défile à une allure phénoménale. Je flirte avec les 200km/h, ce qui est complètement déraisonnable. Puis arrive le prochain virage. Je tire sur le levier de frein, actionnant les puissants pistons des étriers Brembo M50. Ça plante littéralement, tout en restant très dosable et progressif. Le pneu avant souffre et s’enfonce dans l’asphalte à la recherche de grip. L’ABS n’est pas intrusif, alors que le mode 2 (sur 3) est sélectionné. La stabilité est parfaite, la moto ne cherchant pas à se dandiner. Puis je jette la moto en virage. Comme guidée sur un rail, la Tuono répond au doigt et à l’oeil tout en profitant d’une excellente stabilité.
Et si je devais attribuer une mention spéciale, c'est au moteur. Ah, le V4 Aprilia ! Quel charisme ! Autant je suis fan des trois-cylindres, autant dans le cas présent c'est le coup de foudre. Dire que le V4 est vivant, c'est un moindre mot. Le V4 est explosif dès 5'000tr/min. Il tracte sans répit et s'envole jusqu'à la zone rouge avec une célérité incroyable. Du point de vue des tympans, il tambourine et pétarade à souhait. L'échappement Akrapovic n'y est peut-être pas pour rien. Mais que fait la norme Euro4 ? En effet, à entendre les Tuono de mes confrères évoluées lors des sessions photos, je me demande bien comment les ingénieurs motoristes ont réussi à faire passer l'affaire à l'épreuve du sonomètre...
Quant aux bénéfices de la suspension semi-active, ils sont nombreux. Dans toutes les situations, la moto gagne en stabilité. A l’accélération, le suspension arrière se durcit. Inversement, au freinage, la fourche contrecarre le transfert de masse. En virage, l’amortisseur de direction « se fige » pour plus de stabilité. Puis, vient la notion de confort ; il est vrai que la famille des Tuono n’a jamais été une référence en termes de confort, plutôt façon bout de bois. En l'occurrence, la Tuono fait maintenant figure de modèle à suivre : à la fois extrêmement rigoureuse à toutes les allures, elle sait aussi se montrer confortable. Il est clair que nous ne sommes pas au niveau d'une GT en matière de confort et de souplesse, mais force est de constater que l'Aprilia conjugue parfaitement amortissement/absorption des chocs et précision.
Comme précisé plus haut, il est aussi possible de régler à sa guise les suspensions, comme si nous avions à faire à des éléments de suspension conventionnels à réglage mécanique. Dans ce mode manuel, le système n'a plus aucune action dynamique et fige les réglages. Ce peut être très utile sur circuit notamment, lorsque le pilote souhaite un comportement uniforme, peu importe les situations.
La Tuono 1100 Factory, c'est un truc de fou, une machine de guerre, un pousse-au-vice, une arme redoutable... les superlatifs ne sont pas assez nombreux pour la décrire. A vrai dire, elle est LE streetfighter du moment, supplantant la concurrence sans conteste.
Je ne dirais pas qu'on peut la mettre entre toutes les mains, car il faut un certain bagage technique pour l'emmener en sécurité. Seulement, je dois avouer qu'elle est facile d'accès, pour peu que l'on sache gérer toute la patate délivrée par son V4 et la puissance brutale de ses freins.