On commence la journée en traversant trois lignes de chemin de fer au moyen de planches, une moto après l’autre, afin de continuer la piste de l’autre côté des voies, car ici la rivière n’est pas traversable.
Lors de la traversée d’un des nombreux ponts pourris, alors que je marche à côté de ma moto, je glisse sur le bois mouillé et tombe en me ramassant ma moto sur la jambe. Bien content d’avoir Uwe et Ian à mes côtés dans ce genre de situation !
Joe Stather, guide et instructeur chez BMW, s’est cassé les deux mains en tombant d’un pont sur la BAM en 2013 alors qu’il testait la nouvelle F800 GS Adventure pour la marque bavaroise. Il était seul et a eu de la chance qu’un camion l’ait trouvé peu après. En fait, il a même eu doublement de la chance, puisque c’était un Ural équipé d’une grue sur le pont. Ils ont directement récupéré sa moto dans la rivière et l’ont déposé dans la prochaine ville pourvue d’un hôpital, à quelques heures de route…
On savait que tôt ou tard, on devrait emprunter des ponts ferroviaires, là où les ponts en bois sont détruits et les rivières infranchissables. D’après les récits que j’avais pu lire sur le Net, certains sont gardés et il est parfois nécessaire de passer à la caisse pour que le garde ferme les yeux.
Premier pont, premier garde. Je parque ma moto et m’en vais vers le garde pour lui demander avec la plus grande courtoisie si on peut traverser. Il a l’air surpris de nous voir ici, et me dit qu’on doit se dépêcher. Je lui laisse des clopes et une petite bouteille de Jägermeister et on traverse en roulant au pas. Entre le bord des traverses de chemin de fer et la barrière du pont, il y a tout juste assez de place pour une moto comme les nôtres avec de la bagagerie souple.
Parfois, on a aussi de bonnes surprises, comme les cent derniers kilomètres avant d’atteindre la ville de Hani. Une large piste où l’on peut tracer à 90 km/h sans rivières à traverser. Un vrai bonheur !
A chaque fois qu’on arrive dans une ville, puisque je suis l’interprète du groupe, mon job est de trouver de l’essence, un endroit où crécher et à manger. A Hani, il n’y a ni hôtel, ni café… Je trouve un couple de retraités qui sont bien contents de nous prêter leur appartement pour mille roubles. Comme beaucoup de russes, en été ils vivent dans leur datcha et cultivent leur petit lopin de terre. Ici, les gens vivent quasiment en autarcie.
L’appartement n’a aucune fourniture si ce n’est une table, un banc et deux chaises dans la cuisine. Il n’y a de l’eau chaude que pendant l’hiver, donc pas de douche pour nous, on a déjà eu assez froid aujourd’hui !
On se cuit des pilmenies (spécialité russe semblable à des raviolis) dans l’unique casserole accompagné de pain et de fromage sans goût et de quelques bières que j’ai pu dégoter dans des deux petits magasins d’alimentation du bled. On dort à même le sol dans nos sacs de couchage.
Le matin, on récupère nos motos dans l’atelier du petit vieux qui nous les avait mises à l’abri pour la nuit. Il en profite pour réparer ma béquille latérale, dont la vis avait cassé il y a deux jours, avec un boulon soviétique, me dit-il fièrement. Celui-ci ne devrait plus jamais casser !
Le ciel s’est enfin dégagé et la pluie a laissé place au soleil. Au programme, six ponts ferroviaires à traverser et aucun d’entre eux n'est gardé !
Après avoir traversé le dernier, on continue à rouler quelques kilomètres au bord de la voie ferrée à la recherche de la route, quand soudain je me sens propulsé par-dessus le guidon et j’atterris dans les fourrés devant ma moto. Je me relève, ébété, ne comprenant pas ce qui m’est arrivé. Uwe qui était derrière moi est livide, la chute était impressionnante paraît-il. Heureusement, je n’ai rien de cassé.