ESSAI
D’où vient ce choix de reprendre un concept d’il y a 17 ans ? Yamaha a souligné lors de sa présentation que les modèles existants en 2 transmissions, se vendent en majorité (55%) en automatique. Mais il y a aussi d’autres motivations, comme celle de faciliter l’accès à la moto et celle de ne pas rater le train et devenir has been vu par la génération qui connaîtra en majorité les transmissions automatiques. Vous y êtes réfractaire et vous lisez encore ? Peut-être que je vais vous convaincre.
Avant de se lancer dans les détails, petit tour d’horizon des solutions qui se rapprochent du Y-AMT, actuellement en vente. Pour être comparable, il faut un système qui remplace totalement le pilote dans la tâche du changement de vitesse. Le système E-Clutch de Honda demande de continuer à utiliser son pied sur le sélecteur. L’embrayage Rekluse SCS des MV Agusta demande aussi l’action du pied en plus de la main occasionnellement.
On réduit la comparaison aux Honda qui ont en option la boîte DCT : CMX1100 Rebel, NT1100, Africa Twin et NC750X. Vous avez remarqué ? Pas de roadster sportif dans la liste, Yamaha a le champ libre pour proposer la MT-09 Y-AMT.
Léger, compact, facile à implémenter
Le système Y-AMT dispose des 3 avantages, composé d’un moteur pour entraîner la tringle du sélecteur de vitesse, un second moteur pour remplacer le câble d’embrayage. Il ne reste plus qu’à ajouter des commodos adaptés au guidon, et le système peut être installé sur un moteur avec poignée de gaz électronique. Par contre, dans la boîte de vitesse, l’ordre des vitesses est modifié : N 1 2 3 4 5 6. Ceci afin de ne pas avoir de faux point mort entre la 1 et la 2.
Moteur le plus moderne du constructeur, le CP3 était tout destiné à recevoir cette transmission. Ils auraient pu le greffer à la Tracer 9, mais ce serait s’attaquer frontalement aux autres routières. Le mettre au roadster à grand succès, c’est un moyen subtil de dire qu’Y-AMT est bon à tout. Il est même bon à un usage sportif (1 plein en tout juste 180 km, c’est assez soutenu ?).
Lors du développement, les ingénieurs Yamaha voulaient en premier lieu rendre le changement de rapport électronique, c’est à dire sans mode automatique. L’ajout des modes D et D+ est arrivé plus tard dans le processus. Le premier mode sera idéal pour une utilisation urbaine ou détendue au quotidien. L’électronique privilégie de rouler sur le couple, avec le rapport le plus haut possible. D+ est plus dynamique, il autorise les hauts régimes en retardant les changements de vitesses qui se font plus rapidement, plus abruptement. On bascule entre les deux avec le bouton mode du commodo droit.
En automatique, le logo AT s’affiche à l’écran et on peut toujours intervenir avec les gâchettes pour forcer un changement de vitesse. Mais pour tester à fond, j’ai gardé le mode D sans forcer de changement dans du sinueux. C’est très particulier. Comme j’arrive deux rapports trop hauts dans les virages, je freine beaucoup et dois même prolonger le freinage jusque dans le virage. J’ai eu quelques sueurs avec du frein jusqu’à la corde et heureusement l’ABS sur l’angle m’évitait de perdre l’avant.
Idem sur D+, mais l’expérience était moins effrayante car j’avais un peu plus de frein moteur. Seulement même chose qu’en D : le système n’est pas lié à l’IMU (la centrale inertielle qui sait quand la moto prend de l’angle). Donc en plein giratoire il peut décider de mettre la deux. Ou dans une grande courbe à vitesse stabilisée, hop 4 pour consommer moins. C’est très étrange, mais Yamaha va travailler là dessus car c’est un point qui revient souvent.
Quoi qu’il en soit, en fin d’essai le groupe s’est retrouvé derrière des camions qu’il ne pouvait pas dépasser pendant un long laps de temps; j’ai directement mis le mode D et me suis laissé porter, une main dans la poche, en toute détente. Là, je m’imaginais sur la route cantonale entre mes deux cols alpins favoris et je me disais que ce serait quand même cool de rouler comme ça quand c’est pour aller de A à B.
Quand le pilote prend le contrôle
Le retour qu’attend surtout Yamaha de son système, je l’ai appris en détaillant les questions du sondage post essai, c’est la validation de l’usage lors d’une conduite sportive. Par exemple, est-ce que j’imagine une MT-09 SP avec la transmission Y-AMT ? Autant le dire tout de suite, c’est un grand oui ! J’étais parmi les sceptiques au départ, pas certain d’être le client cible car de toute façon bien habitué au maniement classique. Quelle erreur…
Déjà, la commande s’utilise avec une facilité et un confort déconcertant. La grande gâchette pour l’index se trouve du premier coup les yeux fermés. Elle est assez longue pour une phalange, on ne fera pas un appel de phare par erreur. Le bouton du pouce est assez bas pour ne pas le mélanger avec les autres fonctions qui sont pourtant nombreuses mais ça c’est un autre problème. Ces boutons +/- ne font qu’un : actionnés vers l’arrière on monte une vitesse, vers l’avant on rétrograde. L’index peut très bien s’occuper seul des deux actions. Sur le commodo gauche, on trouve également le nouveau clignotant qui est trivial à utiliser. Un bouton gauche/droite conventionnel aurait été plus agréable.
Si on s’intéresse à la technique de plus près, le renvoi entre le moteur et la boîte n’a pas de capteur servant au shifter. L’impulsion est donnée par le bouton, ce qui suffit à obtenir l’information de couper l’allumage ou de couper puis mettre un coup de gaz. Y-AMT fait évidemment plus, en pilotant l’embrayage déjà à l’arrêt et me permettre de partir. Une fois en mouvement, la moto ne se contente pas d’user du blipper pour chaque changement de rapport, elle continue de piloter l’embrayage pour achever chaque fois un passage de rapport parfait.
Pour tout changement de mode (AT/MT) ou de sous-mode (D, D+ et tous ceux en manuel) il faut que la poignée de gaz soit fermée. Entre deux virages c’est vite fait, l’index droit vient sur la gâchette. Le mode manuel par défaut est le Street, en termes de comportement moteur il est un peu plus dynamique que D, D+ est entre Street et Sport. Il reste encore Rain et les deux Custom pour aller paramétrer l’ABS, modifier le contrôle de glisse, l’anti-wheeling que Steph Lacaze avait plébiscitée car pas lié au contrôle de traction qu’on peut aussi enlever.
Parenthèse technique terminée, on retourne à nos routes sinueuses tout près d’Andorre. J’ai vite pris le pli des changements de vitesses du bout des doigts. C’est aussi rapide qu’avec un shifter et on peut garder le pied en place en tout temps. Le pied droit travaille un peu plus, pour augmenter la quantité de frein à l’arrière (il y a toujours un peu de frein à l’arrière quand on freine de l’avant). Je me prends très vite au jeu, je multiplie les changements de vitesse pour toujours être dans la plage de couple optimale. C’est si facile quand il n’y a aucun effort à faire.
Grâce au PR19, j’ai un très bon feeling au freinage. Je rentre fort et peux rentrer 1 ou 2 vitesses très rapidement. Toute la journée je suivais mes homologues qui allumaient sans cesse leur warning aux freins. Preuve qu’on freinait tous fort. En manuel, aucune chance d’avoir une vitesse de plus qui rentre en courbe, c’est moi qui décide et je peux cependant le faire si tout à coup le virage se prolonge tout en accélérant. Comme au shifter, ça déstabilise très peu la moto.
En sortie de courbe, comme on est souvent pile sur la pointe de couple, le témoin de contrôle de traction a vite fait de s’affoler. Le S23 spec M passe tout ce qu’il peut au sol, ils sont bien chauds et j’ai confiance. Déjà sur le millésimes 2021, Yamaha avait installé des jantes « Spin forged » plus légère qui améliorent la maniabilité. Elles sont toujours là et font merveille. On flip d’un angle sur l’autre avec agilité. Ce n’est que lorsque l’asphalte est irrégulier que ça se gâte.
Steph’ disait que les composants d’entrée de gamme du modèle standard pouvaient être pris en défaut lorsque la route est bosselée. J’ai vérifié et peux confirmer ce point sans hésiter. L’amortisseur un peu souple permet à la moto de squatter ce qui a pour effet de diminuer l’appui sur le train avant. Année après année, la MT-09 se bascule toujours plus sur l’avant. Reste que maintenant, l’avant devient plus léger sur les petites bosses et occasionne un peu de guidonnage. Le fait de pouvoir tenir fermement le guidon gauche dépourvu de levier d’embrayage y participe peut-être aussi.
Le neutre qui n’est pas entre la première et la deuxième ouvre un nouveau champ des possibles. Sur toute autre moto, je n’utilise pratiquement pas la première, surtout pour le risque de faux point mort, mais aussi à cause de l’écart de réduction peut être brutal. Avec Y-AMT, la conception fait qu’il est impossible de venir en N, et l’électronique pilote l’embrayage pour adoucir la transition. Dans les épingles les plus serrées, je n’ai pas hésité à descendre sur le plus petit rapport me permettant de sortir plus fort. Le changement en 2 intervenant peu après mais avec une efficacité maximale. Imaginez cela sur un trail avec des bagages en col très étroit, ou une sportive sur un circuit sinueux pour exploiter pleinement chaque rapport, très alléchant.
Dans la version vidéo de mon essai, découvrez des images embarquées sur cette MT-09 Y-AMT qui devraient vraiment transcrire le plaisir que j’ai pris au guidon. À chaque arrêt on se posait la même question: « C’était beau, on se la refait ? ». Alors que la journée comportait déjà 300km, on signait tous pour passer une seconde fois sur les meilleurs virages de l’itinéraire. Et pour décrire l’ambiance, on citait aussi le Joe Bar Team: t’attaquais toi ? Pousse-toi que je m’y mette, etc.
Fini la manuelle ?
Imaginez l’hypothèse qu’à la fin de mon essai, je devais dire stop ou encore. Stop, je ne pilote plus jamais d’autre transmission qu’avec un levier d’embrayage et un sélecteur. Encore, je dois me contenter des motos à transmission automatique mais goûterai à toutes leurs évolutions. J’ai tellement aimé cette mise en bouche, que je n’aimerais pas passer à coté des versions futures d’Y-AMT mais aussi des projets des concurrents. Sur ce coup, Yamaha a vraiment sortit la transmission automatique de sa case « plan-plan » juste pratique pour voyager. Stop ou encore serait un vrai dilemme.
Yamaha a eu l’audace de commencer par une Hyper Naked, montrant dès le départ qu’ils sont prêts à tout bousculer. Le risque a payé. Je n’ai pas pris le temps de décrire la moto plus en détail, sa quatrième face avant change encore radicalement et continue de surprendre comme chaque fois qu’on en apprend un peu plus sur le Dark Side of Japan. Avec la technologie Y-AMT, le constructeur ajoute le démarrage keyless de la SP sur cette MT-09, un petit bonus.
Le grand écran couleur est digne d’une moto premium, les câbles qui jaillissent de la tête de fourche pour aller au guidon un peu moins. Sous le maître-cylindre de frein il y a un gros connecteur électrique disgracieux, pas de miracle lorsque le constructeur travaille à optimiser les coûts pour placer avantageusement la moto sur le marché. Seul un surcoût de CHF 700.- est appliqué à la MT-09, soit CHF 11’990.- pour la Y-AMT.
Le choix de couleurs est identique à la MT-09, Tech Black, Icon Blue et Midnight Cyan, pour qu’elles se confondent. Elle n’a pas de badge ou d’autocollant Y-AMT pour la même raison. Les livraisons débuteront fin septembre pour un nombre d’unités réduit et dès le printemps 2025 on pourra l’avoir avec 70kW, bridable à 35kW. Toutes les infos sont sur le site suisse de la marque.
Deuxième lecture, analyse de sa place sur le marché
L’arrivée de la MT-09 Y-AMT sur le marché peut par exemple ouvrir la porte à ceux qui pensent ne pas maitriser la boîte manuelle. En Suisse si on passe le permis avec, on aura le droit de prendre n’importe quelle moto. Ailleurs en Europe, ils seraient limités aux transmissions automatiques. En plus, en version 70 kW / 35 kW elle peut être la première moto d’un passionné !
Mon inquiétude, c’est que le nouveau motard qui se fie trop aux modes D/D+ peut prendre la mauvaise habitude de freiner jusque tard dans le virage. Les aides électroniques peuvent le garder sur ses roues mais imaginons qu’en suisse il décide d’essayer une moto sans électronique et à boite conventionnelle. Il pourrait avoir une mauvaise surprise dans le premier virage abordé un peu trop vite.
Pour le côté « faciliter l’accès à la moto », Y-AMT est comparable à E-Clutch : les deux dispensent le pilote de maitriser l’embrayage. Seulement j’y vois une différence qu’on ne saisi pas à première vue :
- Honda a un côté pédagogique, le levier d’embrayage y est et peut-être utilisé pour apprendre à le maitriser. Après avoir fait ses armes, le nouveau motard peut changer pour une autre machine qui l’intéresse.
- Yamaha a, commercialement parlant, eu une idée de génie pour les 3 à 5 ans à venir. Le client qui a débuté avec Y-AMT n’apprendra pas l’embrayage sur la même moto. Quand il voudra en changer, il se sentira un peu captif des modèles qui ont une transmission automatique, augmentant les chances pour Yamaha de conserver son client. C’est presque comme lui faire souscrire un abonnement, brillant.
GALERIE
BILAN
ON A AIMÉ :
Un système léger et compact, facile à implémenter ailleurs
Un caractère sportif évident
Le son amplifié que pour le pilote, fonctionne au top
ON A MOINS AIMÉ :
L'amortisseur trop souple
Finition moyenne avec pas mal de cables et connecteurs apparents
Le commodo de clignotant, pas besoin de le réinventer