A quelques jours du départ, les bonnes nouvelles s’enchaînent. Ma moto est bien arrivée en Mongolie. Uwe, mon coéquipier parti trois semaines avant moi depuis la Suède est également à Oulan-Bator et m’attend à l’aéroport le jour de mon arrivée.
Lors de sa traversée de la Mongolie, il a fait connaissance avec Ian, un Anglais parti trois mois plus tôt depuis Londres au guidon de sa KTM 690 Rally Replica préparée par le désormais célèbre Lyndon Poskitt. Ian aimerait se joindre à nous pour rallier Magadan. Autant Uwe que moi sommes contents d’avoir une personne de plus dans notre team, sachant les difficultés auxquelles on devra faire face sur la BAM.
Récupérer ma moto de la douane ne sera pas une mince affaire. Il nous faut une bonne partie de la matinée pour trouver le dépôt, puisqu’il n’y a pas d’adresse. Sur place, on me dit que tout est en ordre. Je dois juste patienter jusqu’à ce que la paperasse soit prête... ce qui prendra quand même deux jours. Le fait que la Suisse ne permette pas d’envoyer un véhicule immatriculé avec un Carnet ATA complique un peu la chose. Pour les Allemands, les formalités douanières sont liquidées en moins de deux heures.
Le troisième jour, on quitte Oulan-Bator sous la pluie. Chris, un Australien parti de Paris avec sa Ténéré 660 va faire un bout de route avec nous jusqu’à Oulan-Oude, première grande ville après avoir traversé la frontière russe.
En deux jours, nous sommes à la frontière mongole. Je m’attendais à quelques difficultés. En moins d’une heure, on était du côté russe... Ici encore ça passe comme une lettre à la poste pour Chris et moi, mais Uwe et Ian devront attendre trois heures avant de pouvoir finalement entrer dans la mère patrie... Pas d’explication autre qu’un excès de zèle de la part des douaniers, rien de bien surprenant en Russie.
Il fait beau à présent, mais je n’ai pas le temps de profiter de l’instant, ma tête étant préoccupée par divers problèmes... Ma sacoche gauche a été trouée par la roue arrière dès le premier jour. Je la répare provisoirement au scotch, mais c’est cuit, elle ne sera jamais plus étanche. Je pensais bien faire en enlevant les porte-valises pour diminuer la largeur de la moto en prévision des traversées de ponts ferroviaires, mais la sacoche ne tient pas du tout du côté sans l’échappement, et ça je n’ai malheureusement pas pu le tester avant l’envoi de la moto puisque je ne les avais pas encore...
A présent, mon moteur vibre à mort et cale dès que je suis en-dessous de 3’500 tr/min. D’après Uwe, qui est mécano moto, c’est la vis du gicleur de ralenti qui a dû tomber... Autant vous dire que sans cette petite vis (de merde), la moto n’est quasiment plus roulable. Pour couronner le tout, elle commence aussi à pisser l’huile... Franchement, je n’y crois pas. J’attends ce moment depuis si longtemps et tout risque de s’arrêter avant même que j’aies pu commencer la partie intéressante !
A peine arrivé à Oulan-Oude, je pars seul chercher de l’aide. Je ne peux pas continuer demain si on ne trouve pas une solution à ce problème. Trouver des motards en Russie, c’est en règle générale très facile. Ils traînent toujours dans un endroit bien visible au centre-ville.
Bingo ! Ils sont parqués en face de l’immense statue de la tête de Lénine, monument emblématique d’Oulan-Oude, qui soit dit en passant, à lui seul justifie la visite de cette charmante ville.
Je leur explique tant bien que mal mon problème en russe et avec des signes. Un des gars possède un atelier et pense avoir un carburateur Mikuni en rab. Une demi-heure plus tard, toute l’équipe débarque bruyamment dans le parking de l’hôtel au guidon de leurs motos. Non seulement, il a la bonne pièce, mais en plus il me la remonte en cinq minutes sans même ôter le réservoir. Balèze, je n’aurais même pas essayé ! Trente balles, un couteau suisse et l’affaire est réglée. J’avais oublié à quel point tout est possible en Russie ! Quel soulagement ! L’histoire de la fuite d’huile attendra demain parce que j’ai rendez-vous avec mon pote Ivan ce soir.
En 2011 , entre Irkoutsk et Oulan-Oude, j’endommage la jante arrière de ma BMW et je me retrouve comme un con à plus de deux cent cinquante kilomètres de ma destination, seul au bord de la route, sous la pluie, avec mon kit de réparation de pneus tubeless... absolument inutile quand la jante est pliée !
Alors que je commençais à songer à stopper un camion pour faire transporter ma moto, une voiture s’arrête et un jeune gars vient à la rescousse. Avec des signes, je lui fais comprendre ce qui s’est passé. Il embarque ma roue arrière avec lui et revient deux heures plus tard avec la roue réparée ! Il me fait comprendre qu’il va me suivre jusqu’à Oulan-Oude au cas où. Et heureusement pour moi !
A peine quelques kilomètres plus tard, c’est le pneu avant qui déjante à presque 100km/h ! J’échappe à un gros accident en réussissant je-ne-sais-comment à m’arrêter au bord de la route. La peur de ma vie ! C’était comme rouler sur de la glace, je ne contrôlais plus rien ! Ivan arrête un camion et, avec du pétrole en feu et de l’air comprimé, il réussit à sauver mon pneu. Une méthode certes très peu orthodoxe, mais qui fonctionne bien. Les quelques deux cents kilomètres restant se feront à moins de 50km/h, et juste avant de rentrer dans la ville, le pneu avant lâche encore une fois. On le fait réparer avec du mastique chez un réparateur de pneus. Finalement, il est passé minuit quand Ivan me laisse devant la porte de l’hôtel.
Ivan ne parlait pas un seul mot d’anglais, ni moi de russe, mais j’avais pris son email et son numéro de téléphone. Pour la première fois, trois ans plus tard, on a eu une vraie conversation et passé une cool soirée dans un bar un peu kitch à boire des bières jusqu’à deux heures du matin. Ce soir-là, je me couche avec un gros sourire, et pas parce que je suis bourré, mais parce que je réalise enfin à quel point mes cours de russe vont m’être utiles pour ce voyage.
Le lendemain matin, on part à trois pour se taper les 460 bornes qui nous séparent d’Irkoutsk avec une météo idéale. Chris, quant à lui, continue seul en direction de Chita. Peut-être qu’on le recroisera sur la route pour Magadan, mais il ne tient pas à tenter la BAM avec une moto aussi lourde.
La poisse me colle définitivement aux pneus, avec cette fois mon démarreur qui rend l’âme. Heureusement que KTM a équipé le moteur LC4 d’un kick mais quelle idée de le mettre à gauche ! Cerise sur le gâteau, ma moto pisse tellement d’huile que je dois en rajouter à deux reprises sur les quelque cinq cent kilomètres qui nous séparent d’Irkoutsk...
A Irkoutsk, on se trouve une petite maison d’hôte assez mythique où l’ont dort les trois dans le salon sur des canapés. La décoration est d’un kitch extrême, avec des vieilles vitrines remplies de petites babioles en verre et en porcelaine. Pour peu, on se croirait presque au Portugal !
Le lendemain matin, alors que nos GPS nous envoient dans un terrain vague là où on aurait dû normalement trouver un atelier de montage de pneus, un jeune motard vient à la rescousse. Il nous amène à un endroit où l’on commence par faire changer nos pneus, puis nous amène chez un garagiste. Malgré le fait qu’il est censé aller travailler, il est resté avec nous toute la journée, pour s’assurer que tout allait bien... Typiquement russe, personne ne ferait ça chez nous en Suisse !
On travaille une bonne partie de la journée sur ma moto devant son garage. Le mécano démonte mon démarreur et parvient à le réparer. Entre temps, on a tout nettoyé et découvert la cause de la fuite d’huile, une vis du carter d’embrayage desserrée... Entièrement de ma faute, je dois l’avouer !
Dans le parking de notre maison d’hôte, je construis un rack pour mes bagages avec des restes de bois et des vis qui traînaient dans l’arrière cour.
Cette dure journée de labeur se termine au resto avec notre pote biker, sa copine et une copine à moi que j’ai rencontré en 2011. Demain c’est la vraie aventure qui commence enfin.
A peine cent kilomètre après Irkoutsk, Ian crève le pneu avant. Les crevaisons, c’est ma hantise absolue, je n’ai dû réparer une chambre à air qu’à une seule reprise tout seul, quelque part à plus de 4000m d’altitude au Kirghizstan, en 2011, et ça m’avait pris deux heures, tellement j’avais peur de percer la chambre à air en remontant le pneu ! Ce petit incident aura tôt fait de me rassurer. Ian en temps qu’enduriste accompli est capable de réparer un pneu en quinze minutes !
Il fait très chaud, les pistes sont bonnes, on roule toute la journée debout à 80-100km/h avec bien de l’espace entre nous pour ne pas bouffer la poussière de l’autre. Mis à part quelques camions, il n’y a personne sur la route.
A mi-chemin d'Irkoutsk et Severobaïkalsk se trouve le seul village où l’on peut trouver un hôtel. Zhygalovo, situé à environ quatre cents kilomètres au nord d'Irkoutsk possède une scierie, et quelques maisons. A l’intersection centrale, on trouve une petite statue "merdique" de Lénine, un hôtel et un minimarché, c’est tout ! Manque de pot, l’hôtel est soi-disant plein alors qu’il n’y a aucune voiture parquée devant... Je crois surtout que la tenancière ne voulait pas que trois motards pouilleux viennent salir ses chambres...
Par chance, avec nos motos, on ne passe pas inaperçu dans ce genre d’endroit et rapidement un jeune gars vient vers nous et nous aide à trouver un endroit pour dormir. La tenancière nous a tout d’abord refusés dès qu’il est reparti, mais a fini par nous accepter quand je lui ai dit que j’allais remplir tous les documents en cyrillique. Elle n’avait jamais vu d’étrangers et était complètement dépassée avec nos passeports européens, ne sachant pas comment remplir son registre.
Comme il n’y a pas de restaurants à Zygalovo, on achète des bières et des varenikis, une sorte de raviolis version russe, qu’on peut acheter en paquets surgelés dans l’unique magasin du village. On les cuisine sous la supervision de la patronne.
Un sacré matrone celle-ci, à contrôler tout ce qui se passe autour d’elle et à crier sur tout le monde à travers le couloir de ce petit établissement. Au final, on a bien rigolé avec elle et, à la fin de la soirée, elle nous aimait même bien je crois !
Comme presque toutes les nuits qui vont suivre, on dort à trois dans la même chambre et on a une salle de bain commune pour toutes les chambres. A 30 balles par personne en moyenne, les hôtels russes ne sont ni bon marché ni agréables, mais toujours largement préférable au camping, spécialement en Sibérie où une armée de moustiques géants et extrêmement voraces auront tôt fait de vous faire regretter d’avoir posé votre tente dehors.
Puisqu’on parle du sujet, sachez qu’en Russie, en règle générale, il ne faut jamais se fier à la couleur du robinet. Très souvent le chaud et le froid ont été intervertis. Aussi, il n’y a jamais de salle de bain dans les chambres et, aussi miteux sont les hôtels, ils sont toujours équipés d’une cabine de douche dernier cri avec des jets dans tous les sens, radio et éclairage à LED... Bien entendu, rien de tout cela n’est connecté et donc vous n’aurez au final qu’une douche standard ! Avec peut-être l’eau chaude et l’eau froide inversées...
Environ quatre cent cinquante kilomètres de piste nous séparent de Severobaïkalsk. A peine sommes-nous partis que Ian crève encore son pneu avant ! Après une rapide réparation, on en profite également pour s’arrêter dans un café, probablement un des seuls sur cette section pour déjeuner avec des blinis, les crêpes russes. La suite de la journée sera un mélange de poussière, de pistes poussiéreuses et de camions dégageant des nuages de poussière, le tout dans une chaleur étouffante ! Nous sommes au milieu de nulle part, il n’y a rien, pas de stations-services, pas de villages, pas de cafés, seuls quelques campements abandonnés attestent de la présence humaine par le passé.
Quelques kilomètres avant d’arriver à Severobaïkalsk, on rejoint enfin la mythique route BAM, celle pour laquelle nous sommes ici. Et quelle surprise lorsque les derniers kilomètres qui nous séparent de la ville se font sur une route goudronnée ! Après avoir fait le plein à l’unique station de la ville, on se pose enfin dans un charmant petit camp de vacances avec des petites maisonnettes en bois. Pour aller prendre une douche dans l’unique cabine collective de l’hôtel, il faut passer à travers... la salle à manger ! Et bien évidemment, une demi-douzaine de personnes étaient en train de souper quand je débarque en calbar et mon micro-linge de voyage... Bon, les présentations étaient faites !
Ian est entre-temps allé chercher des bières au petit magasin du coin. J’ai un peu gâché son plaisir en lui disant qu’il avait pris des bières... sans alcool !