Comment se déroulait le ravitaillement en essence ?
Faire le plein était un cauchemar. Ça prenait facile une heure. Parfois à l’issue d’une spéciale on tombait sur un gars, seul avec 400 bidons d’essence et un seul entonnoir. C’était la guerre entre les concurrents à qui arrivait à se servir en premier.
On payait 7'000 lire le litre d’essence, l’équivalent de 7 euro aujourd’hui ! J’avais l’équivalent de 10'000 euro en cash sur moi, pour payer l’essence et les imprévus, au cas où mon assistance devait abandonner. L’essence était du 84 octane de qualité catastrophique, y’avait de l’eau et du sable dans les tonneaux.
Imagine-toi le temps qu’il fallait aux camions pour remplir leurs réservoirs de 800 litres avec des bidons… Quelques années plus tard, les teams d’usines ont commencé à transporter leur propre essence par hélicoptère.
Comment se passait les passages des frontières ?
Parfois ça se passait bien et c’était facile, parfois ça durait des heures et la course était interrompue, sans qu’on sache pourquoi. A Bamako on a attendu une demi-journée, Sabine ne nous a jamais dit pourquoi.
Un jour, Sabine a arrêté la course en pleine étape, vers midi. On s’est tous regroupé et on a attendu ensemble jusqu’à 18 heures. On est tous partis en convoi, plus de 400 véhicules, tous ensemble dans le désert. Ça a duré jusqu’à minuit. C’était de la folie, des motards avaient les phares cassés après des chutes, ils essayaient de rouler devant ceux qui en avait, il y avait beaucoup de poussière, on ne voyait rien, on tombait. Et on n’a jamais connu la raison de ce convoi.
Comment le Dakar était-il reçu par les populations locales ?
Il y a des villages dans le Ténéré dont les habitants n’avaient jamais rien vu d’autres que leurs chameaux et leurs dunes et tout un coup, ils entendaient un bruit énorme et voyaient des centaines de véhicules débarquer. En une seule journée, ils découvrent l’existence de la moto, de la voiture, du chocolat, du Coca Cola, de la télé, des caméras, bref un concentré de toute la société occidentale. Et le lendemain, c’était un retour à leur vie d’avant le Dakar, avec en souvenir une montagne de déchets... C’était très discutable. On s’est plusieurs fois retrouvé avec des gens qui n’avaient jamais vu de blancs et qui avaient peur de nous.
Tu as eu l’occasion de découvrir la cuisine locale ?
Auriol nous parlait depuis une semaine d’un soi-disant incroyable restaurant à Tamanrasset. On était 4 ou 5. Quand on arrive sur place, on ne trouve pas son resto. Il demande un peu aux locaux et quelqu’un finit par lui indiquer une maison sans toit.
A l’intérieur il y avait une table avec des assiettes pleines de restes, un lavabo rempli d’eau noire et un four à gaz avec une casserole. Le « cuisinier » vide toutes les assiettes dans la casserole, rajoute des œufs et pendant que ça cuit, il trempe les assiettes dans l’eau noire du lavabo avant de nous servir le contenu de la casserole. A boire ? Rien. Il n’y avait même pas d’eau. On avait tellement faim qu’on a mangé et heureusement, on n’est même pas tombé malade !
Parle-nous de ton accident qui te contraindra à abandonner
Durant la 16ème étape (Labe-Tambacounda), à seulement trois étapes de la fin, je me suis pris un énorme rocher dans la jambe à près de 100 km/h. Je n’ai rien vu car il était caché par des hautes herbes. J’étais premier de l’étape à ce moment et 9ème au général. Mon pied était en miette.
J’ai attendu les secours toute la journée au bord de la piste. Quand des participants s’arrêtaient, je leur disais d’alerter les secours à l’arrivée. L’hélicoptère est arrivé plusieurs heures après.
Il faisait nuit quand on m’a ramené au camp. Les médecins ne savaient pas quoi faire quand ils ont vu ma jambe. Ils ont remis les morceaux en place, m'ont recousu et juste fait un bandage.
Pourtant, après mon accident, mes ennuis étaient loin d’être terminés… C’est même là qu’ils allaient réellement commencer. L’organisation du Dakar a dit aux médias que j’avais été rapatrié en Italie avec un de leurs avions.
En réalité, on m’a transporté dans un vieux DC3 d’une mission belge qui s’est écrasé dans un champ près de Kissidougou, en République Populaire Révolutionnaire de Guinée (Guinée actuelle) après qu’un de ses moteurs ait explosé en plein vol !
On était treize à bord. Seuls une fille et moi-même avons survécu.
Avec mon pied en miette on a dû marcher une journée pour atteindre un village. Le pays était encore sous la dictature de Sékou Touré et il y avait alors un couvre-feu instauré.
Comme le Dakar était déjà passé par ici quelques jours auparavant et que je faisais partie de la dizaine de personnes à être passé devant le palais présidentiel, je m’y suis présenté et on a accepté de m’aider. Je n’avais ni argent ni papiers. L’ambassade Italienne m’a fourni un document pour que je puisse quitter le pays et rentrer en Italie.
Une fois rapatrié en Italie, à l’hôpital on voulait me couper la jambe. J’ai refusé et c’est finalement le docteur Claudio Costa (emblématique médecin de la clinique mobile du Moto GP durant 40 ans) qui m’a sauvé la jambe. J’avais des dizaines de fractures et j’ai passé plus d’un mois à l’hôpital.
Les seules preuves qui existent du crash sont une photo des restes de l’avion prise par un magazine français et le passeport provisoire que l’ambassade Italienne m’a fourni pour que je puisse quitter le pays. D’ailleurs, l’ambassade Italienne a fait une recherche après l’accident, et c’est comme s’il n’avait jamais eu lieu…
Et « L’après Dakar » ?
Un an après le Dakar, j’ai participé à nouveau au Rallye des Pharaons alors que je ne pouvais pas encore vraiment marcher. J’avais une Yamaha TT 600 de série, un peu préparée par mon mécanicien de motocross. Le moteur avait 75'000 km ! J’ai terminé 3ème après Rahier et Hau et premier dans la catégorie monocylindre.
J’ai également obtenu une 2ème place à une Baja 1000. Puis j’ai fait des courses de Jet ski et organisé durant de nombreuses années le Rallye de Sardaigne ainsi que d’autres évènements dans le monde de la course auto et bateau. Actuellement j’organise le Sardegna Gran Tour et le Swank Rally di Sardegna et je participe à la Gibraltar Race pour Honda depuis la première édition. Cette année, je participe avec une Honda CB 500 X préparée.
Un grand merci à Renato pour son temps, à Mimine Magnin pour les photos, à dune Moto et Rally d'Antan pour les photos également.