
Après les 2’000 kilomètres épuisants de la Baikala Amurskaya Magistrale Ouest, on s’autorise une première journée de repos bien méritée. On se promène un peu en ville, et mis à part l’habituelle statue de Lénine, il n’y a pas grand chose à voir.
Il y a une semaine, Tynda était en fête pour le 40ème anniversaire du début des travaux de construction de la ligne de chemin de fer de la BAM. Ils ont duré de 1974 à 1984, mais la ligne n’a été réellement opérationnelle qu’à partir de la fin des années 80. Manque de bol, le musée de la BAM est aujourd’hui spécialement fermé pour… nettoyage !
On passe l’après-midi à laver nos affaires et s’occuper de nos motos. Je découvre que ma sacoche gauche est également trouée, et que les sangles de fixation sont toutes en train de se déchirer. J’en profite pour réparer comme je peux les trous au scotch américain et à faire sécher mes affaires mouillées. Mes outils avaient déjà commencé à rouiller !
Il a plu toute la nuit, et malgré le fait qu’on essaie de retarder au maximum notre départ, la météo ne s’améliore pas. La moitié des 460km qui nous séparent d’Aldan se feront sous la pluie, sur une large piste bien boueuse.
On s’arrête dans l’unique hôtel, accueilli par la matrone typique des hôtels russes : chevelure courte avec une teinture qui vire à l’orange, robe à fleur et imposante poitrine posée sur le comptoir. On doit payer avant même d’avoir ôté les sacs de nos motos et bien évidemment le sourire n’est pas inclus dans le prix de la chambre.
Dans les trois douches communes de l’établissement, sans rideaux, je fais la connaissance de deux jeunes gars, la vingtaine qui se sont fait mettre à la porte par leurs femmes respectives. Ils ont même dû emprunter ma serviette pour se sécher, parce qu’ils n’avaient rien pu prendre avec eux. Enfin, excepté un sac avec des bouteilles de vodka…Les clichés ont la peau dure…
Au petit matin, avant notre départ, le manager de l’hôtel, affublé d’un mulet à faire pâlir le texan moyen, débarque pour nous prendre en photo pour son « Wall of Fame » à la réception de l’hôtel. A ce moment, je ne le savais pas encore, mais 2 ans plus tard, lors de mon second passage, je les découvrirai, suspendues aux côtés de légendes dans le domaine, comme Walter Colbach et Terry Brown, les pionniers qui ont rendu la BAM populaire dans notre petite communauté d’aventuriers.
Les 560km entre Aldan et Iakoutsk se feront par une température avoisinant les 30 degrés et dans la poussière des camions. Pour ceux qui n’ont jamais expérimenté ça, c’est terrifiant. Quelques centaines de mètres derrière un camion on ne voit plus rien. Pour le dépasser, il faut quasiment y aller à l’aveugle, à travers la poussière, sans voir ce qui vient en face. C’est comme ça, camion après camion, et il y a vraiment beaucoup de trafic ici. On évite de s’arrêter, parce qu’il faut à nouveau tous se les taper…
Uwe est tombé, mais heureusement il s’en est tiré qu’avec des griffures sur la moto et quelques hématomes. La moitié de la route était goudronnée et au vu de l’importance des travaux présents tout du long, elle le sera entièrement d’ici quelques années je pense.
L’accès à Lakoutsk en été n’est pas facile. Elle se situe de l’autre côté d’une immense rivière, la Lena. La traversée en ferry prend une heure et le ferry ne part que lorsqu’il est plein. En hiver, c’est plus simple, on roule sur la rivière gelée.
Une fois au centre de Lakoutsk, qui semble être une ville bien plus jolie que ce qu’on a pu voir jusqu’à présent, on galère un peu pour trouver un hôtel. Avec l’aide d’une bande de bikers locaux, on trouve un hôtel qui, une fois installé, nous refuse finalement sous prétexte que nous n’avons pas de passeports russes… A presque minuit, ce sont des policiers qui nous escortent vers un hôtel où l’on est finalement acceptés.
Après 14 heures de route, l’énergie pour aller manger nous manque et on se couche directement.
Le lendemain, on visite les principales attractions touristiques de la ville avec Andrey, un des bikeurs qu’on a rencontré hier soir. La statue de Lénine, l’immense mémorial de la grande guerre patriotique (la seconde guerre mondiale) et une espèce de caverne dans la montagne renfermant moultes sculptures de glaces éclairées par des leds de couleurs très kitsch.
Toute la bande nous rejoint en fin de journée pour aller manger ensemble en on termine la soirée devant la flamme éternelle, hommage à tous les soldats morts durant la seconde guerre mondiale. Dans le groupe, Lana, une fille qui a étudié à Paris parle très bien anglais, ce qui facilite un peu les communications. Alors qu’on vient de l’autre bout de l’Europe pour parcourir la route des os, aucun des motards du club ne s’est jamais aventuré plus au nord. Il faut savoir que la majorité des motards russes ne jurent que par deux types de motos : les choppers et les sportives. Souvent, ils se contentent de rouler en ville de nuit et sans plaque d’immatriculation bien sûr !
Ils nous prennent un peu pour des fous de voyager sans armes, eux avec leurs gros couteaux toujours à la ceinture et la traditionnelle batte de baseball dans le coffre de la voiture. Les russes donnent toujours l’impression que leur pays est ultra dangereux, pourtant, en tant qu’étranger, je n’ai l’ai heureusement encore jamais expérimenté !
Le lendemain matin, ils sont tous là à nous escorter jusqu’au ferry, alors qu’ils sont censés être au travail. Qui ferait un truc pareil en Suisse franchement ? Des grands cœurs ces Russes.
Après une halte dans un café pour diner, il est déjà midi quand nous nous entamons enfin la fameuse route des os, la section de 2’000km de la M56 Kolyma entre Lakoutsk et Magadan. Les 400km qui nous séparent de Khandyga furent une des plus belles journées de route depuis le début du voyage. Les paysages sont magnifiques, encore accentués par ces immenses nuages omniprésents. Des sections goudronnées succèdent aux section de terre et de boue.
On arrive vers 19h30 à la rivière Aldan, qui nécessite une nouvelle traversée en ferry. Celui-ci ne partant qu’à 21h, on a le temps de faire connaissance avec deux camionneurs sympa, Sacha et Anton. J’en profite pour leur poser des questions sur la vieille route d’été, la section originale qui passe par Tomtor, à l’abandon depuis la construction de la nouvelle route au nord en 2008.
Ils ne l’ont jamais prise, mais nous disent que c’est impossible. Avec les énormes précipitations qu’il y a eu dans la région, même la nouvelle route fédérale a été coupé a des endroits et Magadan a subit d’importantes inondations.
On arrive tard à Khandyga, vers 23 heures, et avec l’aide de locaux, on trouve une chambre dans un hôtel dissimulé dans un immeuble d’habitation. Une fois n’est pas coutume, la tenancière est très sympa, et nous dit en riant qu’on ferait mieux d’aller en Thaïlande quand on lui dit qu’on va à Magadan !
Un mini-market à dix mètres de l’hôtel est encore ouvert, d’ailleurs je me demande s'ils ferment vraiment une fois… J’imagine leur tête si je leur disais qu’en Suisse tout est fermé à 19h la semaine et à 16h le samedi…
On soupe avec du pain, du thon et quelques binches dans la chambre. Le lendemain, nous avons une importante décision à prendre. Choisir entre l’ancienne route d’été passant par Tomtor ou alors prendre la nouvelle route fédérale par Ust Nera.
Il est clair que je suis venu ici dans le but de tenter l’ancienne route d’été, tout comme Uwe. Ian, qui n’avait à la base prévu son voyage que jusqu’en Mongolie n’avait pas du tout ce projet en tête et nous le fait comprendre. C’est la seule fois du voyage que nous avons une petite friction entre nous.
Son kit chaîne à bout de souffle, nos pneus arrières usés à 80% et le fait que tout le monde nous dise que c’est impossible ne nous aide pas vraiment… En tentant l’ancienne route d’été, on sait qu’il faudra franchir d’innombrables rivières et que les plus grandes sont la première et la dernière… On doit être prêt à faire demi-tour si le niveau est trop élevé, ce qui pose un problème pour l’essence également.
Il a plu toute la nuit et c’est le moral bien écorché qu’on reprend la route au petit matin. Celle-ci est défoncée de milliers de trous, et une couche grasse et glissante de quelques millimètres rend la conduite particulièrement difficile.
Après 320 km nous arrivons à la fameuse intersection de Kyubeme. Quand on voit la piste boueuse partant dans la forêt au milieu des arbres, on ne discute même plus l’option à choisir. Il faut faire le deuil de notre projet.
On continue, et quelques centaines de mètres plus loin on aperçoit le futur pont en construction et surtout l’immense rivière qu’il aurait fallu traverser…
On en profite pour faire le plein à la seule et unique station d’essence à des centaines de kilomètres à la ronde. Celle-ci est devenu fameuse parmi les voyageurs et tout le monde y laisse son sticker en marque de passage.
Par chance, il y a également un café installé dans une baraque de chantier et on en profite pour se réchauffer et manger une soupe chaude.
Les conditions sont catastrophiques, mais nous n’avons pas le choix, ce soir nous devons arriver à Ust Nera, la prochaine ville. Il reste 240km…
Même si les journées sont très longues à ces latitudes, nous arrivons de nuit, et avec mon phare avant défectueux depuis deux jours je ne vois rien du tout.
Le seul hôtel de la ville est déjà plein, probablement occupé par des saisonniers qui travaillent dans les mines...
Alors qu’on s’apprête à repartir pour trouver un endroit où planter nos tentes, le gardien pris de pitié nous propose de rester dans le hall d’entré de l’immeuble. Il nous fait du thé et nous mets ses toilettes à disposition. Il vient de Bachkirie, une des nombreuses républiques de l’empire russe situé entre la Volga et la chaîne de montagne de L’Oural et comme les autres, est venu ici pour trouver un travail.
On dort tant bien que mal, mais plutôt mal dans les chaises jusqu’au premières lueurs du matin.
lien vers l'épisode final: Sibérie extrême épisode 6
lien vers l'épisode précédent: Sibérie extrême épisode 4
lien vers le début de l'article: Sibérie extrême épisode 1