H2, les plus âgés d'entre nous connaissaient déjà cette appellation. Dans les '70, plus précisément de 1971 à 1975, Kawasaki a produit la 750 H2 Mach IV, une évolution de la très connue 500 Mach III. Les chiffres, pour l'époque, étaient déjà évocateurs de performances. Le trois-cylindres 2-temps de 748cc développait 74cv à près de 7'000tr/min et propulsait la 750 H2 à plus de 200km/h. Quarante années après l'arrêt de sa production, voici que la firme d'Akashi remet le couvert et développe une moto complètement hors du commun, à l'image de son ancêtre. Esthétiquement comme technologiquement, on pourrait la décrire des heures durant.
A en croire les nombreux teasers qui ont agrémenté les prémisses de sa présentation, Kawasaki aurait fait appel à tous les corps de métier qui composent le groupe Kawasaki Heavy Industries. De l'aéronautique à l'industrie des turbines à gaz, en passant par le génie motoriste, la Ninja H2 est un concentré de technologies.
Avant même qu'on la détaille, c'est son design qui interpelle ! Contrairement à toutes les supersportives, la Ninja H2 adopte une ligne favorisant l'évolution à (très) grande vitesse, minimisant ainsi la résistance à l'air pour permettre une vitesse maximale inavouable. Il faut rappeler que la Ninja H2 est une version civilisée, mais surtout légalisée pour la conduite sur route, de l'extrême Ninja H2R dont le moteur délivre 326cv et dont le carénage est fait de carbone et l'échappement de titane.
Unique sous tous les angles, son design partage les avis. Il y a ceux qui s'en délectent et ceux qui n'y voient qu'une oeuvre d'art dont les lignes sont dictées par les lois de la mécanique des fluides. Pour parfaire le tableau, Kawasaki l'a estampillée du fameux "River Mark", le logo originel de Kawasaki Heavy Industries utilisé par la suite pour les modèles d'exception.
En outre, la peinture noire métallisée à effet miroir contrastant avec le vert pailleté du châssis treillis en acier (oui, Akashi a bien adopté le cadre treillis) réhausse encore le look général de la moto.
Et, nouveauté chez Kawasaki, c'est l'adoption d'un monobras oscillant, qui ceci dit en passant, met en valeur le design exclusif de la jante en alu forgé.
Toujours au sujet de l'esthétisme, on remarque que la Ninja H2 n'est proposée qu'avec une selle monoplace, la priorité étant donnée au plaisir de l'accélération et de la vitesse de pointe.
Pour affirmer visuellement ses prétentions, la Ninja H2 arbore un phare sous forme de projecteur lenticulaire à LED ; un seul phare assure les fonctions feux de croisement et feux longue portée et les feux de position, à LED également, prennent place de part et d'autre de la lentille.
Du grand art façon pays du Soleil-Levant avec des lignes tirées et taillées à la serpe, bien différent des standards transalpins là où les lignes sont faites de courbes tout en sensualité. Avec la Ninja H2, on ouvre les portes de la science-fonction.
Un modèle unique, qui ne partage rien avec la gamme Kawasaki. La Ninja H2 est la représentation-même de l'exclusivité. En consultant son dossier de presse très étoffée, on découvre la moto, ses composants, la raison de l'emploi de certains matériaux, les détails techniques... La Ninja H2 fascine avant même que l'on prenne place sur sa selle. Attardons-nous tout d'abord sur le coeur de la bête, son quatre-cylindres en ligne délivrant la bagatelle de 210cv avec RAM Air (air forcé) à 11'000tr/min. Jusque-là, rien d'extravagant, les Kawasaki ZX-10R et la ZZR 1400 en font autant. Ce qui retient toute l'attention, c'est bien son compresseur ! En effet, le 998cc est suralimenté par un compresseur entraîné par une chaîne, et c'est ce qui promet toute la différence. Le compresseur a été choisi pour la simple raison qu'il est beaucoup plus compact et plus léger qu'un turbo ; en effet, nul besoin d'un intercooler (système de refroidissement) ni de conduits de redirection des gaz d'échappement. Aussi, développé exclusivement par Kawasaki pour la Ninja H2, le compresseur assure un surcroît de couple dès les plus bas régimes (ce que ne permet pas un turbo) et augmente la puissance à haut régime. Sa vitesse de rotation maximale atteint 130'000tr/min et comprime l'air jusqu'à 2.4 bars (pour la H2R). Pour accepter un pareil niveau de pression, la boîte à air est conçue en aluminium renforcé et abrite seuls les injecteurs et les cornets d'admission. Le filtre à air, lui, prend place en amont du compresseur.
Sans entrer dans les détails techniques de la mécanique, on remarque déjà que la Ninja H2 n'a rien de la conception d'une moto conventionnelle et est incomparable à ses deux soeurs ZX-10R et ZZR 1400. Pour faire bref, quand on ouvre en grand la poignée de gaz de la Ninja H2, la réponse du moteur est immédiate et le couple est disponible sans délai. Quant à l'accélération... on vous laisse lire les lignes qui suivent.
Pour palier aux performances du moteur, Kawasaki a équipé sa Ninja H2 de freins surpuissants. Brembo a été désigné, sans hésitation et à juste titre. On retrouve deux immenses disques de 330mm de diamètre enserrés par les très efficaces étriers radiaux monoblocs M50. Aussi, rareté sur les machines japonaises, les freins sont complétés par des durites de type aviation, gage d'endurance et de constance en usage intensif. A l'arrière, on se contente d'un simple disque de 250mm et un étrier à deux pistons.
Côté partie-cycle, le fabricant de suspensions Kayaba (KYB) profite de l'exclusive Kawasaki pour lancer son nouveau modèle, la fourche AOS II racing. Celle-ci est basée sur les modèles à cartouche séparée air-huile des motos de cross. Les tubes de 43mm de diamètre de couleur noire se règlent en compression, en précharge et en détente, directement depuis le haut.
L'amortisseur arrière est fixé au système Unitrack et bénéficie des mêmes possibilités de réglages. Du beau matériel, assurément, bien que l'on s'étonne que Kawasaki ait fait l'impasse sur l'incontournable fabricant suédois (ndlr : Öhlins).
Toutefois, l'amortisseur de direction est badgé Öhlins et se distingue par sa faculté à interagir avec l'unité centrale en s'ajustant automatiquement en fonction de la vitesse de la moto.
Et finalement, l'électronique est à la hauteur des ambitions de la mécanique. En quelques lignes, listons la dotation électronique de la Kawasaki Ninja H2 :
Seul le tableau de bord résiste à la modernisation. Alors que de nombreuses motos définies comme technologiques arborent fièrement un écran LCD en couleurs, la Kawasaki se montre conventionnelle avec son compte-tours analogique et son écran LCD monochrome. Heureusement, ce dernier ne manque pas de gadgets avec notamment l'affichage du niveau de pression de la turbine et de sa température.
La clé de la Ninja H2 porte aussi le logo "River Mark", le ton est donné. Pas de commande keyless, il faut encore insérer la clé dans le Neimann. On s'installe à son bord de la même façon qu'on le ferait sur une sportive. Le poids du haut du corps repose sur les poignets. Les jambes sont très repliées. La moto est plus longue que la ZX-10R, mais plus courte que la ZZR 1400 ; de ce fait, les bras sont bien allongés et la position n'est pas trop extrême. Ainsi, on peut admettre que la position est confortable, relativement à celle subie sur les sportives. Le fessier est maintenu par deux protubérances caoutchoutées (réglable en profondeur sur deux positions) à l'arrière de la selle ; lors de fortes accélérations, il n'y aura nul besoin de s'agripper au guidon bracelet. La selle est cependant assez dure et étroite, de quoi rappeler que nous sommes bien en présence d'une sportive, pure et dure.
On tourne la clé et le tableau de bord s'illumine. On enclenche le moteur qui s'ébroue dans une sonorité à la fois rauque et métallique. Rien d'extravagant si ce n'est que l'ambiance sonore respire la puissance. Il ne suffira que de quelques coups de gaz, sans même monter haut dans les tours pour le confirmer.
Le premier rapport se verrouille franchement tout en secouant la moto. La commande d'embrayage est souple, l'embrayage anti-dribble n'y étant pas pour rien. En la relâchant, on remarque de suite sa précision chirurgicale. Le couple du quatre-cylindres élance la moto sur un filet de gaz. On change de rapport manuellement, le temps que la mécanique chauffe et à défaut d'utiliser le quickshifter qui est plutôt calibré pour les passages de rapport à haut régime. On enroule gentiment, mais sûrement. Il faut apprivoiser la Ninja H2 avant d'oser chatouiller la mécanique.
En restant bas dans les tours, soit en-dessous de 5'000tr/min, le moteur est souple et ne souffre d'aucun à-coup d'injection. C'est un vrai quatre-cylindres. Plein de couple, il ne grogne pas lorsqu'il faut cruiser sur les rapports supérieurs lorsque l'on traverse une localité, calé à 50km/h. Dès 4'000tr/min, on sent que le compresseur entre dans la danse. Si vous n'êtes pas doux avec la poignée de gaz, il se peut bien que vous subissiez quelques secousses désagréables. On se laisserait presque dire que la Ninja H2 est une machine civilisée. Mais il n'en est rien... !
Au-delà de 5'000tr/min, le compresseur charge et gave le quatre-cylindres d'air frais. La moindre rotation de la poignée des gaz fait bondir la moto. Avec une bonne dose de courage, on tente, pour la première fois et sur le deuxième rapport, d'ouvrir en grand. On la pensait violente, mais c'est bien plus que cela ; en réalité, la Ninja H2 est une véritable brute épaisse qui ne demande qu'à se faire fouetter à grands coups de gaz. Littéralement scotché contre les "repose-fesses", on s'agrippe au guidon bracelet et on prie pour que la moto ne décolle pas. Phénoménale, l'accélération est vécue comme un véritable baptême de puissance. Jamais auparavant nous n'avions connu une pareille poussée. Les grosses supersportives 1000 et autres Hayabusa et ZZR 1400 ne sont de loin pas à la hauteur ! L'avalanche de puissance et de couple met à l'épreuve le contrôle de traction comme l'anti-wheeling... ça glissouille et ça lève, même avec l'intervention continue de l'électronique soulageant les gaz. Et ça n'arrête pas, d'une impulsion sur le levier de vitesse, le quickshifter se charge de passer le troisième rapport qui se verrouille sans douceur et le roue avant ne cesse de chercher le ciel.
En fond de trois, on reprend conscience et, du coin du regard, on mate le compteur qui affiche une vitesse débutant par le chiffre 2... Soulageons de suite les gaz, au risque de se faire flageller par unsere liebe Frau Via Sicura (ndlr : nouvelles mesures apportées à la LCR visant à "rendre les routes suisses plus sûres"). A ce moment, le compresseur se décharge d'un coup, accompagné d'un sifflement aigu. Le frein-moteur est très présent et ralentit brusquement la moto, comme si le moteur était un gros bicylindre à 90°.
En pleine accélération, physiologiquement, quelque chose d'anormal se passe. D'une part, ouvrir en grand sur les trois premiers rapports demandent une bonne dose de courage et de force physique, et d'autre part, le corps tout entier se retrouve ébranlé par l'accélération. Il aurait été intéressant de mesurer l'accélération et ainsi définir combien de g l'organisme devait supporter. Cette Ninja H2 est un truc de fou ! Imaginez alors les sensations à bord de la Ninja H2R qui, elle, développe 100cv de plus !
La ligne droite, c'est beau, et les accélérations défoulent après une journée de travail, nul doute ! Mais la Ninja H2 bénéficie d'une partie-cycle évoluée lui offrant d'excellentes aptitudes dynamiques. Il va sans dire que si le châssis-treillis est capable d'encaisser les 326cv de la Ninja H2R, il n'a aucune peine à gérer la puissance de la Ninja H2. La rigidité est au rendez-vous, c'est un fait.
Quant aux suspensions Kayaba, les réglages d'usine sont corrects en regard de l'utilisation routière de cet essai. On ne se sent pas secoué à la moindre imperfection de l'asphalte. Cependant, les remontées d'informations sont sans reproche. Le train avant est incisif et va exactement là où on lui demande. La Ninja H2 ne donne pas lieu à l'imperfection et se laisse guider comme sur un rail. En France voisine et en Allemagne, là où les limitations de vitesse sont à peine plus permissives et les radars moins nombreux, on se délecte dans les longues courbes à emprunter de très propres trajectoires à allure quelque peu soutenue.
Et dès que l'on tombe quelques rapports, le diable s'enivre pour rendre la fête encore plus folle. Calé sur le troisième rapport, nul besoin de préciser que l'on dispose d'une réserve de couple suffisante pour s'extraire (plus que) vigoureusement des virages et d'une allonge permettant de chatouiller la case prison (Via Sicura, encore!) à l'approche du rupteur. Sur l'angle, on restera tout doux avec la poignée de gaz. Comme nous l'avions révélé plus haut, le frein-moteur est important, même en position "light". Deux possibilités s'offrent au pilote, soit il arrive vite en courbe en freinant et en usant du frein-moteur pour ramener la moto à la corde pour ensuite remettre franchement les gaz, soit il reste à vitesse constante dans toute la courbe en prenant garde à ne pas couper/remettre les gaz à la moindre secousse. L'action de la poignée des gaz est tellement sensible que l'on pourrait facilement se sentir déstabiliser alors que nous sommes sur l'angle. Pire encore, sur chaussée glissante, on risquerait de perdre l'arrière. L'exercice n'est pas facile mais l'on s'y fait rapidement, et c'est à ce moment que l'on prend son pied ! Dans tous les cas, la Ninja H2 est une moto sauvage et bestiale qui doit être apprivoisée.
A la sortie de courbe, on ouvre en grand, en faisant confiance à l'électronique et à la très tendre gomme Bridgestone Battlax RS01 qui chausse la jante arrière. Malgré son grip proche de celui d'un slick, la motricité est mise à mal, tant les valeurs de couple sont élevées. Heureusement, le contrôle de traction veille au grain et permet de nous extraire de la courbe avec efficacité.
A grande vitesse, lorsqu'il s'agit de balancer la Ninja H2 de gauche à droite, on ressent le poids de la machine. Elle est moins vive qu'une ZX-10R qui, elle, est moins lourde de près de 40 kilos !
Et quand il s'agit de planter sur les freins, car le virage que l'on voyait pourtant encore loin nous saute au visage, on peut compter sur les deux disques Brembo et les puissants étriers M50. L'attaque est franche et le dosage est à la perfection. Quant à la puissance pure, le pneu avant peine à tenir le coup. Par chance, l'ABS calibré sport gère bien les situations extrêmes. Par contre, c'est à nouveau le poids de la Ninja H2 qui se fait remarquer durant cet exercice. Du poids, il y en a à freiner et on le ressent bien. Mais en usage routier, son poids n'est pas un handicap.
D'ailleurs, parlons-en de l'usage routier et quotidien ! Naturellement, comme toutes les motos puissantes et principalement les motos à quatre cylindres qui ne demandent qu'à chatouiller la zone rouge pour un minimum de sensations, la Ninja H2 demande à être roulée bien au-delà des 80km/h autorisés en dehors des localités pour apprécier sa mécanique. C'est pourquoi, nous nous sommes souvent rendus en France et en Allemagne, là où les limitations de vitesse sont plus élevées et la répression routière est moins intense. Côté ergonomie et confort de conduite, la Kawasaki n'a rien d'une supersportive anormalement inconfortable ou extrême, elle s'acclimate alors parfaitement aux routes suisses. Et, en regard de la suralimentation et de la puissance de la moto, la consommation en carburant n'est pas très élevée et s'est stabilisée durant notre essai à sept litres et demi de moyenne pour cent kilomètres parcourus. Quant à l'intervalle des services, il est dans la norme, soit tous les 12'000 kilomètres pour la vidange, avec un contrôle du réglage des soupapes tous les 24'000 kilomètres. Hormis la consommation effrénée de pneumatiques tendres, la Ninja H2 est une moto à la portée de toutes les bourses.
La Kawasaki Ninja H2 est une moto complètement hors du commun et n'est comparable à aucune autre, sans parler du fait qu'elle demande à être apprivoisée. Un style futuriste, une vocation indéfinie, une motorisation exotique, des matériaux nobles, un haut niveau de finition, des sensations de pilotage à couper le souffle (c'est le cas de le dire!), on achètera la Ninja H2 par passion de la marque verte et pour satisfaire sa quête d'exclusivité (ndlr : 46 modèles en circulation sur les routes suisses cette année / aucun en France). Elle n'est ni une vraie sportive que l'on emmenera sur circuit régulièrement pour taper des chronos, ni une routière sportive avec laquelle on partira en week-end. C'est un produit à part, mais avant tout un objet d'art, tant stylistique que mécanique, que seuls quelques chanceux pourront acquérir !