
Le 12 mai, j'ai quitté Pisac dans la Vallée Sacrée pour prendre la direction du nord en empruntant la route qui passe au milieu du Pérou, à travers les Andes.
Au passage, je me suis encore arrêté aux terrasses circulaires de Moray. Selon la théorie, les Incas les auraient construites pour faire des essais agricoles, observant l'influence que les différences d'altitudes pouvaient avoir sur les plantes. Tout près de la, je suis descendu aux salines de Moras. Elles sont toujours en activité et ont été mises en œuvre à l'arrivée des Espagnols. Un ingénieux et complique système de canalisations dirige l'eau chargée de sel dans les bassins de décantation. Quand elles doivent être déviées, les rigoles sont bouchées à l'aide de chiffons et de cailloux. Cela reste rudimentaire et tout est encore fait à la main.
C'est ensuite sur une bonne route asphaltée et un peu arrosée par la pluie que je suis arrivé à Abancay, grosse ville nichée au fond d'une vallée. La tenancière de l'hôtel m'a proposé de garer la tigresse dans la salle de conférence atteignable depuis la rue. Je suis toujours étonné de l'égard qu'ont les hôteliers pour nos chers deux-roues. Une demi heure plus tard, j'ai du déplacer la moto dans la salle à manger car la salle de conférence venait d'être réservée pour le lendemain matin. Je n'ai donc toujours pas couche avec la tigresse mais j'ai pris le petit déjeuner avec elle. Il faut un début à tout même si c'est à l'envers.
Après m'être renseigné sur l'état de la route pour aller à Ayacucho, à 360 km de la et avoir obtenu des renseignements très divers, allant du tout asphalte au tout piste en terre, je me suis mis en route. Après quelques kilomètres, on m'avait dit qu'il fallait traverser la rivière par un pont qui était signalé. Des que j'ai vu l'indication, j'ai donc bifurqué et me suis retrouvé sur un mauvais chemin à moitié obstrué par des cannes à sucre. Il fallait baisser la tête pour passer. A un moment donne, je me suis retrouvé dans la cour d'une ferme, en cul de sac, entoure de trois chiens hargneux. Le fermier m'a indiqué la bonne route et j'ai repris ma progression en direction du pont. Arrivé à celui-ci, je me suis rendu compte qu'il s'agissait d'un monument historique dont l'accès était barré par de grosses bornes. A une belle résidence avec piscine située à proximité, on m'a dit que c'était bien la piste pour aller à Ayacucho. J'ai donc traversé ce pont (ça passait tout juste entre deux bornes) et ai continué par un chemin caillouteux pour finalement arriver à une belle route asphaltée ! J'avais pris un pont trop tôt mais personne ne me l'aurait dit.
Le trajet sur la belle route asphaltée n'a malheureusement pas duré. Par la suite, j'ai tout eu. Des travaux, des éboulements créant des passages difficiles dans les éboulis, des coulées de boue et de la pluie. Dans une côte en terre battue, j'ai du m'arrêter car un semi-remorque était en travers, sur toute la largeur du chemin. Des villageois s'activaient pour mettre des gravats sous ses roues motrices pour qu'il puisse se dégager. L'opération a réussi et j'ai pu m'engager à mon tour. Ce fut du rodéo sur tigresse mais je suis resté sur mes roues. En fin d'après-midi, réalisant que je n'arriverais pas à Ayacucho de jour, je me suis arrêté à Chincheros, ville sans intérêt, si ce n'est que j'ai rencontré deux motards américains venant du Minnesota et avec qui j'ai soupé.
Le lendemain matin, il tombait des cordes. J'ai attendu une demi heure, puis ça s'est calme. J'ai chargé mon bardas et me suis mis en route sous une fine pluie. Après quinze kilomètres, j'avais route sèche. Le temps varie beaucoup dans ces montagnes et j'ai pu profiter d'une belle route sinueuse jusqu'à Ayacucho, puis Huantan. Depuis là, j'ai de nouveau eu de la mauvaise piste avec en plus une déviation par des villages perdus. En compensation, le paysage était magnifique avec plein de cactus de différentes sortes. Le policier qui m'a contrôle à la sortie de Huantan m'a dit qu'il me faudrait 3 heures pour atteindre mon but, la ville de Huancayo. Tu parles, après 4 heures, j'étais toujours en train de me battre avec les virolets de l'étroite route située dans les gorges du Rio Mantaro. Imaginez la route des gorges de l'Areuse qui relie Champ du Moulin à Boudry et vous y ajoutez des semi remorques, des passages à gué, des falaises vertigineuses, des éboulements côté aval avec une vue imprenable sur la rivière située 400 m en dessous et vous avez le décor. Pour être précis, j'ai peut être croisé six semi-remorques mais c'était à chaque fois surprenant même que je m'étais mis en mode péruvien, la pouce sur le klaxon dans chaque virage masque. A la nuit tombante, je me suis arrêté dans un bled nomme Quincheros alors qu'il me restait 100 km à parcourir dans ce canyon. J'ai trouvé un hôtel, le meilleur marché (CHF 3.-) du voyage mais pas forcément le plus douteux au niveau de l'hygiène. Les WC et l'eau courante se trouvent dans la basse cour, avec les poules, les cochons et la tigresse.