La « vieille montagne »
Au guidon de nos montures modernes, les kilomètres défilent en toute quiétude malgré un revêtement pas toujours en pleine forme. Cette première journée de roulage fait office de mise en jambe avec seulement 110 petits kilomètres au menu, négociés le plus tranquillement possible.
Car à 3 500 mètres d’altitude, chaque effort se paie cash et essouffle le plus costaud des gaillards. Sans parler de cette sensation d’avoir la tête coincée dans un étau qui va nous accompagner les deux premiers jours… Mais un rythme de croisière « relax », c’est aussi l’occasion de jouir du paysage somptueux qui s’étire le long de la rivière Urubamba et ses berges striées de cultures en terrasses étayées de murs en pierres. Au village de Yucay, nous posons nos valises dans un ancien monastère rénové pour deux nuits consécutives. Car le lendemain, Trail Rando a programmé un aller-retour au fameux Machu Picchu.
Les motos auront droit à leur journée de repos puisque nous gagnerons le site en train puis en car. Personne ne regrette ce choix : la ligne ferroviaire qui dessert Aguas Calientes, au pied du Machu Picchu (vieille montagne en quechua), nous plonge dans une ambiance hors du temps, avec ses rails instables, son rythme pépère, ses petites gares pittoresques et ses wagons décorés à l’effigie du plus célèbre des sites incas. Un voyage à lui tout seul, ce train ! Au terminus, vous avez le choix entre le car ou une longue et éreintante ascension à pied. A l’unanimité, nous jetons notre dévolu sur l’option 1. La cité échappa au pillage des espagnols grâce à sa situation reculée à la frontière de l’Amazonie. Ce fut son salut mais aussi sa perte puisqu’elle a été ensuite laissée à l’abandon et disparu dans les oubliettes de l’histoire jusqu’en 1911 grâce à l’expédition conduite par l’explorateur américain Hiram Bingham.
Difficile de décrire l’émotion qui étreint le visiteur lorsqu’il découvre Machu Picchu, ce superbe ouvrage de maçonnerie accroché à la montagne.
Aujourd’hui encore, les chercheurs s’interrogent sur les techniques utilisées pour transporter au milieu de nul part et ensuite assembler à la perfection de tels blocs de pierre. Une après-midi entière ne sera pas de trop pour visiter l’ancienne cité perdue et ses environs. Un conseil, offrez-vous les services d’un guide pour agrémenter la visite de ses légendes…
Plein les yeux
Après ce bel intermède culturel, la moto reprend ses droits pour une étape de 240 km direction plein sud cette fois, sur la route nationale reliant la Bolivie au Pérou. Le rythme enlevé et un macadam en état correct font défiler rapidement ce paysage majestueux, composé de vastes plaines cernées de montagnes. L’organisation faisant preuve d’une grande souplesse, nous nous offrons le luxe d’improviser un détour « hors programme, vers Andahuaylillas. Ce petit village de la province de Quispicanchi abrite l’église Saint-Pierre surnommée « la chapelle Sixtines de Andes » en raison de son aménagement intérieur d’un baroque flamboyant où les dorures clinquantes se partagent la vedette avec d’immenses fresques. Impressionnant. Comme pour la majorité des édifices religieux au Pérou, les photos sont interdites à l’intérieur de l’édifice. Dommage.
Enfin familiarisés avec l’altitude (est-ce notre organisme qui s’est auto adapté ou l’effet des quelques feuilles de coca mâchées ? Allez savoir…), nous passons le lendemain aux choses sérieuses puisque nous allons monter jusqu’à 4 500 mètres ! Cette ascension permet de traverser de nombreux petits villages de montagne reculés de tout, où l’on nous réserve un accueil chaleureux à chaque halte. C’est ici, dans ces coins perdus, à l’écart des gros flux de touristes, que nous rencontreront les gens les plus vrais. Autre constante dans la région : chacun de ces hameaux se voit précédé de plusieurs dos d’âne. On ne le sait pas encore, mais nous allons en avaler un nombre incalculable. Qu’importe, les routes sont superbes avec de délicieux enchainements de lacets jalonnés d’immenses prairies aux herbes jaune vif, piquées ça et là de lamas et d’alpagas. Nous progressons au cœur de la fameuse cordillère des Andes et le spectacle offert par les quelques géants qui nous entourent (comme le Nevado Mismi qui se dresse à 5 597 m) donne l’impression de voyager dans une immense carte postale. C’est magique, il n’y a pas d’autre mot. Par ailleurs, la qualité de bitume s’avère ici irréprochable, pour ajouter le confort au plaisir des yeux. Les équipages qui naviguent en duo sont aux anges…
Pour la seconde partie de la journée, nous quittons ce revêtement impeccable pour une excursion dans les non moins sublimes pistes longeant le Rio Colca. Ici s’ouvre la région des canyons. D’après les guides, aucun endroit au Pérou ne jouit d’un air aussi pur et d’un soleil aussi radieux. Notre traversée confirme que ce n’est pas de la publicité mensongère ! C’est ici à mes yeux que la nature s’exprime dans ce qu’elle a de plus spectaculaire. Devant ces étendues hors normes, ce chaos minéral, ces dizaines de kilomètres avalés sans croiser âme qui vive, le tout sous un ciel qui semble plus grand qu’ailleurs, on ressent l’impression de n’être qu’une poussière perdue au milieu de l’univers. On a beau avoir bourlingué et vu pas mal de pays, ce genre de spectacle a de quoi émouvoir les plus blasés ! La traversée du canyon de Colca est effectivement une véritable merveille qui constituera le point d’orgue du séjour pour les amoureux de la nature. Moins célèbre que le Grand Canyon, son rival nord-américain, le Colca s'étend quand même sur une centaine de kilomètres et propose un dénivelé de plus de 3 200 mètres !
Ce qui fascine aussi, ce sont les milliers d’hectares de terrasses sculptées dans la montagne, qui donnent un relief si particulier au paysage.