Après deux semaines de route commune, je prends seul la route de Fairbanks. Etant dans le bon état d’esprit, je prolonge même ma route jusqu’au Mile 0 de la Dalton. Pensant faire le plein à quelques bornes, je m’engage sur la Elliott Highway jusqu’à Maney Hot Springs, soit 130 kilomètres de piste plutôt technique. En effet, puisque le bled compte 40 résidants, la piste n’est pas entretenue… Les bains seront fermés, mais le village offre un camping à 5 dollars en bord de rivière. De plus, la roadhouse (établissement comprenant le camping, des chambres et un restaurant) est une des plus anciennes d’Alaska, datant de 1902, avec tout le charme ancien que cela suppose. Les gens y sont très serviables, à l’image du gars de la station essence, qui fait aussi liquor store. Je ne peux pas acheter les bières à l’unité, et un 6-pack sera trop à boire, et surtout trop à porter sur la moto. Que cela ne tienne, le mec vient me trouver une fois le campement fait avec deux bières en cannette ! Impossible pour moi de les payer, il insiste pour me les donner. Quelle classe, merci encore, buddy !
Je mets les voiles tôt le lendemain matin, car j’ai décidé, au vu de la fenêtre météo, de me taper toute la Dalton en un jour afin d’atteindre Deadhorse le soir-même. Cinq minutes après mon départ, je plante les freins car un ours est sur la piste et m’empêche de continuer. A 80 mètres de lui, je fais de grands gestes afin de paraître plus grand. Avant même de me dire que j’ai l’air con à faire mes gestes, il décide de retourner dans la forêt et sans me poser de questions, je mets les gaz et continue ma route.
Dix minutes après, je remarque tardivement un autre ours, en bord de route dans les hautes herbes cette fois. Comme moi, il est un peu effrayé et bondit vers la forêt. Tant mieux, car nous étions à 3 ou 4 mètres de distance seulement ! Le reste des 130 bornes se fera sans encombre.
Enfin commence la Dalton Highway ! Après la portion de piste que je viens de faire, elle paraît facile (le temps sec aidant). A mon étonnement, il y a quelques tronçons asphaltés et le rythme est donc bon. Je m’arrête à Coldfoot, 100 kilomètres au-dessus du cercle arctique pour un repas de midi consistent, accompagné d’une bière locale (brassée à Fairbanks). Après les 424 miles de la Dalton, j’arrive à 21h30 à Deadhorse, qui se situe à 500 kilomètres au nord du cercle arctique… Je n’ai jamais été autant au Nord de ma vie, et je suis ravi d’y être parvenu avec ma Ténéré ! Elle a ce don de m’emmener vers mes rêves, et après 4 continents vus (ou aperçus) ensemble, ce n’est pas du pipo !
La "ville" de Deadhorse est un campement pour tous les travailleurs qui bossent en relation avec le pétrole de Prudhoe Bay, et c’est le point le plus au nord accessible avec son propre véhicule. Avant le 11 septembre, on pouvait aller à Prudhoe Bay, mais maintenant on ne peut le faire qu’en groupe et sur réservation (et sur paiement de 70 dollars). Je ne le ferai pas, car j’ai déjà nagé dans l’océan arctique (depuis Tuktoyaktuk, au Canada), et je sais que l’eau est froide...
Pour le campement, je me trouve un joli coin en borde d’une rivière qui a le mérite de m’offrir la présence de quelques voisins locaux !
Le réveil se fera sous la pluie, et c’est la première fois que je dois plier bagage par un pareil temps. Rien de bien grave, je vais ensuite au Prudhoe Bay Hotel pour prendre un solide petit-déjeuner avant d’entamer le voyage du retour. Les 115 premiers kilomètres seront accompagnés d’un vilain temps, qui rendent la Dalton particulièrement hostile. Les 56 miles de travaux n’aidant pas, je me tape certaines ornières de 50 centimètres ! Quel changement par rapport à la veille, et c’est pourtant la même piste.
Le dieu de la moto étant avec moi, le temps redevient beau et sec ensuite, ce qui me décide à faire à nouveau toute la piste d’un coup. Je m’arrête de nouveau à Coldfoot pour manger, avec le sourire : à l’aller comme au retour, ma moto n’était même pas sur la réserve après 400 kilomètres de piste. Petite pensée à tous les gros cubes qui ont "besoin" de tous leurs chevaux pour faire la même chose (et pas forcément plus rapidement…), et qui charient moults jerricans histoire de ne pas être bloqués en chemin. Médisances à part, et en discutant avec des confrères bécaneux, il y a pas mal eu de motards qui se sont mis au tas tout au long de la Dalton ces derniers jours. Clavicules cassées et hélicoptères sont des mots qui sont revenus plus d’une fois lors de nos discussions. Courage à vous, chers amis motards blessés.
Arrivé au mile 0 de la Dalton, je fais encore 80 kilomètres afin de rejoindre Fox, puisqu’il n’y a rien avant. Une fois installé au camping, je m’endors rapidement avec un sentiment de plénitude car un de mes rêves moto a été accompli. Je produis de la dopamine à bloc !
Le lendemain, je prends conscience que le premier volet de mon périple se ferme, avec le volet "Gand Nord" désormais achevé. Je prends la route en direction de Tok, ce qui me fait commencer l’Alaska Highway à la hauteur de Delta Junction (son départ ou sa fin, à vrai dire).
Je trouve un peu par hasard le Thompson’s Eagle’s Claw Campground, un camping dédié aux motards et qui comprend notamment un sauna et un atelier pour faire toutes sortes de travaux sur la bécane. Voici l’entrée dudit camping, et pour plus de détail, voici un lien : ThompsonsEaglesClaw.com.
Le jour d’après, je prends la route de la frontière vers le Canada, qui est beaucoup plus empruntée que la Top of the World Highway. Pas de surprise, il s’agit de l’Alaska Highway. Il y a une sacrée colonne de camping-cars devant moi, je fais donc mes sandwiches en attendant mon tour. Le passage de la frontière se fait sans soucis, on me laisse mon flingue anti-ours pour entrer au Canada.
Cette fois-ci, c’est fait, l’Alaska est maintenant derrière moi pour cette année. Je suppose que j’y retournerai bientôt, tellement j’ai adoré.