
Le deuxième jour est unique, magique. J’ai goûté à tant de choses. D’abord, cette route sinueuse qui traverse une forêt allemande. Là, dans cette sombre bohême, j'ai pendant plusieurs kilomètres la chanson «L'an mil» de Michel Sardou en tête. Et ses paroles : «Des cathédrales crevant le ciel comme des épées, des forêts noires que des sorcières ont envoûtées…», qui résonnent en même temps que mon bicylindres. C’est un concert rythmé et enjoué.
Ensuite, il y a eu cette pointe de vitesse à 201 km/h en toute légalité (la moto qui bouge comme si les deux roues étaient sur de la glace, mais l'ivresse fait que je reste «gaz en grand», que je prends des virages à 180 km/h sur cette autoroute au goudron parfait). Il y a aussi ce sentier mi terre, mi gravier, où j'ai l'impression de faire mon Dakar… J’ai grandi en le regardant à la télévision, j’ai goûté aux exploits de Cyril Neveu et je n’ai pas hésité longtemps avant de choisir l’Africa Twin comme première grosse moto.
La journée continue par la découverte d'un lieu important du saut à skis. A Liberec, le centre-ville piéton est très joli et au-dessus du tremplin, il y a le mont de la tour Jested, à 1'000 mètres d'altitude. La vue panoramique est à couper le souffle. Mieux, il n’y a que les piétons et les deux roues qui peuvent rejoindre le sommet. Pour la descente, je coupe le moteur. Je suis au point mort sur 1,5 km. Devant moi, un écureuil saute d'arbres en arbres. C’est une vision surréaliste. Derrière lui, la République Tchèque se montre accueillante, charmante, luxuriante. Pour mieux en profiter, je fais 50 km de routes sinueuses où j'oublie d'attaquer, parce que le paysage me fait penser au Canada (dans l’intensité de ses forêts).
Les maisons me donnent l'impression d'être au Danemark (même si je n'y suis jamais allé, mais c'est ainsi que je les imagine). La route, elle, est dans un état similaire à celle que j'emprunte au Mugello pour aller de mon hôtel au circuit (dans la partie descendante de la forêt, là où il y a un petit pont). Sous le casque, j'ai le sourire en arrivant à Harrachov, autre lieu magique en saut à skis. Là, c'est des larmes qui coulent. Ce sont des larmes de joie et elles recommenceront à couler quand j’irai me coucher. Et je m'en fiche, si cela fait ressortir mon côté féminin.
Après avoir cité Sardou, cela fait peut-être beaucoup à encaisser, mais je ne vais pas modifier mon texte, pour ne pas altérer ce que je ressens à l’instant. J'ai 32 ans et je réalise mon rêve de gosse : avoir ma propre moto, mettre le cap à l'est, découvrir l'inconnu. En fait, je découvre que plus j’avance seul, plus l’inconnu, c'est moi.
Pour la première fois de ma vie, je vis et je respire la plénitude. Sans la chercher, j’ai trouvé la zénitude. Je nage en pleine ivresse et m'épanouis déjà dans ce voyage express. Je sais qu'en si peu de temps, je ne pourrai pas tout voir (surtout avec ce défi que je me suis lancé: 10 pays en 9 jours), mais le but n’est pas là. J’ai juste envie de rouler dans ces pays et de ressentir leur beauté. Ce voyage me rend déjà différent. Je réfléchis à la question des frontières, des pays, des origines; sur l'envie d'être un meilleur père et tellement d’autres choses. Même si cela fait un peu cliché, je sais que l’accomplissement de ce rêve de gamin ne va pas me laisser indifférent.
Désolé de vous déranger avec mes émotions, mais j'ai beaucoup philosophé sous le casque durant toute la journée. Un voyage en solitaire, c’est aussi fait pour cela.