
Les deux motards qui bricolaient le réservoir d’essence d’une bécane dans un local de l’immense hangar de Cortaillod devaient savoir qu’ils courraient le risque de mettre le feu à la bâtisse. Ce constat a amené le président du Tribunal de police, à Boudry, à condamner les deux prévenus. Ils écopent chacun de 20 jours-amendes, à CHF 60.- l’un et CHF 80.- l’autre, avec sursis pendant deux ans. Cette sentence suit les conclusions du ministère public, qui avait prononcé la même sanction dans ses conclusions (voir notre édition du 20 novembre).
La peine peut paraître légère pour ceux qui ont tout perdu dans l’aventure, mais elle ne tient pas compte de l’ampleur des dégâts. Ce sera à la justice civile de trancher sur les demandes d’indemnisation: les prétentions des lésés (le propriétaire de l’entrepôt et la cinquantaine de locataires et sous-locataires) chiffrent leurs pertes entre 20 et 25 millions de francs. Une somme plus que considérable pour ces deux bricoleurs du dimanche dont l’assurance responsabilité civile les couvre à hauteur de 5 millions de francs chacun. Pour leur défense, les deux prévenus avançaient que le propriétaire des lieux avait mal entretenu ses locaux et qu’il fallait y voir là les causes de l’incendie. Le juge suppléant extraordinaire, après avoir longuement épluché les factures d’entretien de l’édifice, a balayé cet argument. "Cet immeuble a été régulièrement entretenu et l’expert qui a mené l’enquête constate que la cause de l’incendie n’est pas contestable: le phénomène est dû à la manipulation d’essence et d’un chiffon", a précisé Rocco Mauri. Le juge est donc convaincu que c’est bel et bien une étincelle provoquée par une pompe bricolée par les deux motards et utilisée pour finir de vider le réservoir d’essence qu’ils avaient entrepris de réparer qui est à l’origine du sinistre. Toutes les autres hypothèses avancées par la défense – effets des rayons de soleil lors de cette journée caniculaire, auto-explosion de la batterie utilisée pour actionner la pompe, explosion d’un néon, électricité statique ou intervention d’un tiers malintentionné – ont été exclues.
Avocat d’un des plaignants, Michel Bise salue ce jugement: "Immédiatement après les faits, les prévenus avaient admis que le problème venait de la pompe. Et compte tenu de leurs compétences en mécanique, on peut bien parler de négligence." Défenseur du plus jeune des prévenus, Jean-Claude Schweizer n’a pas la même vision et annonce d’ores et déjà qu’il fera appel du jugement. "Deux heures après le début de l’incendie, il ne restait plus rien du hangar. Le tribunal tape sur deux lampistes. Les vrais responsables n’étaient pas sur le banc des accusés", soutient l’avocat, en précisant qu’il entend exiger des expertises supplémentaires.
Son confrère Oscar Zumsteg soutient que la version officielle ne tient pas. "La physique ne fait pas de cadeaux... L’incendie se serait déclaré dans la même fraction de seconde s’il était le fait d’une étincelle; ce qui n’a pas été le cas. Mais les inspecteurs n’ont pas reçu mandat de réaliser une enquête complète de la part du Ministère public. Et on nous a refusé toutes les preuves", déplore l’avocat.