Chaque année à la mi-octobre, les membres du Norton Sport Club, et leurs invités, se retrouvent entres amis pour leur messe de la moto à côté de la maison. Les ayant tout fraîchement rejoint, le vendredi soir je m'installe avec les quelques-uns que je connais dans un coin de la cour du barrage hydroélectrique de Verbois qui sert de paddock. L'endroit n'est pas grand, mais cela participe à l'ambiance familiale qui règne entre les pilotes au bas de la côte.
Le samedi il faut se lever tôt, certains passent encore les contrôles techniques et administratifs pendant que d'autre finissent de s'installer. Dans un froid tout automnal, Christophe, le directeur de course, nous fait son briefing avant d'ouvrir officiellement la piste aux premières montées d'essais du week-end.
Les départs s'enchaînent vite, mais les pilotes sont nombreux et avec ma SuperDuke R je suis dans la plus grosse catégorie, c'est-à-dire les plus de 750cm3. Je cours avec le numéro 129, clin d'oeil au nom de ma moto avec son petit zéro après le numéro sur le phare avant. Je vois mon collègue Marc et son numéro 104 s'avancer pour le départ, je peux tranquillement commencer à mettre mes gants et mon casque fraîchement repeint.
Pour une première, je m'étais fixé pour objectif de monter en moins d'une minute. Je suis pas un pilote exceptionnel, c'est ma première course sur route, j'ai quand même 180 chevaux ça me semble honnête de monter 15 secondes plus lentement que Bryan Leu, détenteur du record de la piste.
Mes mécanos ayant fini de chauffer la moto, ils m'enlèvent les couvertures chauffantes et descendent la bête de ses béquilles (à moins que je n'étais seul, je n'ai gardé qu'un souvenir vague de cette période). Etonnamment, j'ai réussi à complètement déconnecter et ne pas ne mettre la pression avant de m'engager. C'est en arrêtant ma roue sur la ligne que je réalise que le moment était venu : je vais faire ma première montée de Verbois.
Je n'ai jamais pratiqué le départ arrêté, il y a beaucoup de temps à y gagner, mais je vais commencer par partir fort on verra plus tard pour un départ de fou furieux. Sous les yeux de dizaines de curieux, le feu passe au vert, j'ouvre les gaz et je file dans la petite forêt de l'entrée du site de Verbois. Au petit matin, il y fait encore sombre et je file dans l'inconnu.
Cet enchaînement du virage de la palisade est quasi inconnu, personne sauf les participants de la course n'ont l'opportunité de passer gaz en grand entre deux murs en bois, avec une trajectoire à trouver pour éviter les bosses. Sans me presser, je cherche une ligne stable et file au virage de l'arche.
A partir de là, je connais le chemin, le reste du tracé emprunte la route de Verbois que tout le monde emprunte le reste de l'année. Seul point que j'appréhende : le changement de revêtement depuis que la montée a été resurfacée. Arrivé sur une route connue mais tout à coup fermée c'est un rien perturbant. D'abord bien sur ma voie, mais totalement hors trajectoire, je me déplace finalement à la corde.
Bien à gauche à l'attaque du pont, je devrais croiser la ligne blanche mais de nouveau je bloque, c'est contraire à tout ce que j'ai pu faire en moto jusque-là. C'est ensuite le virage des vignes qui m'attend, je crois y arriver vite mais j'ai le temps de bien regarder les banderoles AcidMoto.ch qui y sont. Ce virage était connu pour la trajectoire couverte de vague mais c'est de l'histoire ancienne. Place à un billard un rien glissant sur l'extérieur à cause d'un peu de peinture noire.
Je prends ces deux virages sans encombre et fini par franchir la ligne d'arrivée avec un chrono de 1:05.39. Mince, c'était long ! Reste à attendre le dernier concurrent au sommet avant de retourner au paddock avant la seconde montée d'essai. Les runs de la matinée se suivent et je prends peu à peu mes marques sur la piste. J'ai arrêté de penser route et je vois mon temps descendre peu à peu : 1:02.23, 1:01.49. Une grosse pause de midi vient couper ma progression, mais pas d'autre choix que de s'y plier.
Sous un soleil radieux et presque 20°C, les départs reprennent. Pendant que les meilleurs commencent à faire des chronos d'à peu près 47 secondes, je continue à me battre avec ma minute. Je pense donner toujours plus, passe l'arrivée, me tourne pour voir mon temps: 1:00.55. Plus que six dixièmes à aller chercher.
Concentré au départ, au signal je me laisse un instant pour souffler et me lancer. Départ satisfaisant, je m'écarte à gauche pour viser ma trajectoire entre les palisades. Ça passe niquel, remise de gaz, freinage bien droit au stop, la corde, le pont : je ne joue pas avec mes limites, c'est une montée propre. Plus qu'un virage de chaque côté, j'arrive à me focaliser sur le pilotage et ne voir plus que la trajectoire. Dernier gros coup de gaz, verdict : 59.65 ! Grosse joie à partager avec mes amis au sommet, mission accomplie. Dans ma tête, j'ai gagné Verbois sur le dernier run.
Après une bonne nuit de sommeil (et surtout un méchant mal de tête), je récidive à la première montée d'essai : 59.12. Je n'attend plus rien de mieux, ce dimanche de course est un bonus; tout ce que je veux c'est m'amuser et garder ma moto intacte. Nouvelle montée d'essai et nouveau temps : 58.85. En discutant avec d'autres pilotes j'essaye d'appliquer leurs conseils et me fait deux frayeurs.
La première, je veux freiner plus fort et plus tard au stop, finalement je garde le pied sur le frein et écarte beaucoup trop ma trajectoire pour être rapide. La deuxième, je quitte le premier droite plus vite que d'habitude et me déporte de plus en plus vers le champ en sortie de courbe. Je me sens trop près, je coupe pour aborder sereinement le virage de l'arche.
Je garderai un souvenir impérissable de cette 59ème édition de Verbois : ma première participation et ma première victoire personnelle. L'ambiance qui règne entre les pilotes est exceptionnelle. Attendre au sommet lorsque Bryan Leu bat le record de la piste, il jubile dans son intégral et tout le monde se presse pour le féliciter -en famille-. Suivi de près par Bernard Bally et Blaise Labarthe, deux pilotes loin d'être lents et ayant terminé le dernier Bol d'Or. Ce dernier mettra un peu d'huile sur le feu en nous traitant tous de grands-mères au départ, tellement Bryan est parti vite et fort à l'assaut du record.
Rendez-vous est pris l'année prochaine les 15 et 16 octobre 2016 pour fêter ensemble la 60ème édition de cette course. Je n'y serai plus un nouveau et je me fixerai un nouveau défi sur la piste. En attendant, revivez cet événement avec nos album Flickr de plus de 2'000 photos à cette adresse : Flickr.com.