Interview Philippe Coulon - Un moment hors du temps

A l'occasion de mon week-end de roulage avec Philippe Coulon Distribution SA, j'ai eu l'occasion de partager un moment privilégié avec ce personnage qu'est Philippe. Je vous laisse apprécier sa gouaille dans l'interview ci-dessous.

Marc : Salut Philippe, depuis combien de temps es-tu passé à l’organisation de sorties pistes ?

Philippe Coulon : Ouh là ! J’ai arrêté de courir en 1983 et me suis occupé des relations publiques pour Marlboro. Je dirais que j’ai organisé mes premières sorties piste une dizaine d’années après, soit en 1993.

Marc : Justement au niveau de ta carrière sportive, quels sont tes meilleurs souvenirs ?

PC : Sans hésitation mes meilleures souvenirs sont les courses en Finlande, l’ambiance y était extraordinaire et les nuits avec les finlandaises, chaudes ! Du coup, en étant bien dans la tête, tu es bien sur la piste.
Un autre élément important est la confiance en ton entourage : lorsque tu es bien dans ton équipe, que tu as confiance en tes mécanos, tout va bien. Par exemple, je me souviens d’une course à Hockenheim où je venais de changer de mécano et lorsque j’ai entendu mo moto démarrer le matin, je me suis dit : "là, je finis sur le podium" et c’est ce qui a dû arriver ou presque, il me semble avoir fini la course troisième ou quatrième.

Marc : Es-tu plutôt MotoGP ou Superbike ?

PC : Les pilotes des deux catégories ont du mérite, mais il y a eu tellement d’évolutions qu’aujourd’hui, il faut vraiment du pognon. Regarde par exemple Aprilia qui a passé trente-neuf moteurs en une saison pour que Biaggi soit champion.
Même en Moto2, il faut des moyens. Faire une saison avec moins de deux ou trois millions est inenvisageable. On a vraiment de la chance d’avoir trois Suisses à ce niveau de la compétition.
Pour te donner un exemple, quand j’ai commencé à courir en mondial, j’ai payé ma RG500 CHF 24’000.- et c’est une moto qui te permettait de gagner des courses. J’avais par exemple touché d’un grand distributeur CHF 15'000.- en bons d’achat, la moitié de ma moto était donc déjà payée.
Je voudrais également en profiter pour remercier la famille Mettraux pour tout ce qu’elle a fait pour le sport moto en Suisse, tout d’abord avec Michel qui doit bien se marrer là-haut et maintenant avec Olivier.
Pour ce qui est du MotoGP, quand tu regardes les top-pilotes, Lorenzo est un vrai métronome, ce qui est complètement différent de Márquez qui lui est un pilote beaucoup plus instinctif. Mais il a la jeunesse pour lui. On dirait qu’il est fougueux, mais il est bien dans sa tête et est décontracté.
J’ai aussi beaucoup d’admiration pour Randy de Puniet qui n’a pas la partie facile. A la fin de la saison 2011, il devait aller chez Ceccinello, mais Bradl ayant eu le titre suite au forfait de Márquez, Ceccinello a reçu un coup de fil de Honda lui donnant l’ordre de le prendre pour la saison 2012. Suite à cela, Randy essaie le proto Suzuki, mais ceux-ci ne s’engagent pas pour la saison suivante. Il ne lui reste plus qu’à rejoindre le rang des CRT pour faire de la figuration en fond de grille.
Après les premiers essais avec l’équipe d’Aspar, Randy m’a dit qu’il voulait laisser tomber car c’était juste la catastrophe, il a été victime d’erreurs qui ne devraient pas exister à ce niveau, telles que des axes de roues non serrés, l’antipatinage déconnecté.

Marc: Que penses-tu du TT ?

Les pilotes motos sont de toute façon des gens qui sont un peu "débranchés", mais moins que les personnes qui nous ont par exemple pondu l’initiative ViaSecura. Aujourd’hui, tu as plus de risques de finir en prison en roulant à moto qu’en dealant de la drogue et cela me rend malade. Pour un excès de vitesse à 228 km/h, un jeune a pris dix-huit mois de prison, alors qu’un gars qui vend de la drogue restera quelques jours au frais et pourra ressortir pour empoisonner les jeunes.
Pour revenir au TT, il faut effectivement une bonne dose de courage, on m’avait proposé en 1977 de courir le TT mais j’ai refusé, c’est Pat Hennen qui y est allé.
Il faut dire qu’à l’époque, avec Barry Sheene, on se battait pour la sécurité sur les circuits qui n’étaient pas très éloignés de ce que l’on connaît aujourd’hui au TT. D’ailleurs, j’ai encore le record de l’ancien tracé de SPA à mon actif avec une moyenne de 221 km/h.

Marc : Toi qui a couru longtemps sur Suzuki, es-tu content de les voir revenir en MotoGP ?

Ayant passé huit ans en 500 sur une Suzuki et ayant entretenu de très bonnes relations avec la maison Frankonia par la suite, je suis très content pour eux qu’ils reviennent au plus haut niveau de la compétition.
J’ai échangé quelques mots avec Randy suite à son essai, et bien qu’il ne puisse pas dire grand-chose, il m’a tout de même révélé qu’il était très satisfait de la moto.
Par contre, pour la suite, il y a malheureusement peu de chance qu’il finisse au guidon du proto comme pilote titulaire, Suzuki va certainement choisir un pilote espagnol (Espargaro ?). Bien que, comme l’Espagne est en crise, la situation des pilotes ibériques risque de changer d’ici peu...
Le problème pour les pilotes français est le manque de retombées médiatiques, bien qu’un journaliste de l’équipe soit présent sur les Grands-Prix, tu auras au mieux un petit encart le lundi dans le journal. Au pire, si le week-end a été chargé en matchs de foot, tu n'auras rien !
J’en profite pour vous remercier pour ce que vous faites pour la moto en Suisse. Plus on en parlera, mieux la moto se portera et nos pilotes disposeront de moyens.

Marc : Merci Philippe. Raconte-moi encore quelques anecdotes sur ton "époque" où il faisait bon être pilote.

Il est vrai que j’ai vécu une vie bohème, une vie de cirque durant treize années. Pourquoi j’aime la moto et ai exercé le métier de pilote ? Je ne le sais pas, personne dans ma famille ne pratiquait la moto, et encore aujourd’hui, je suis le seul. Par contre, j’ai eu la chance de grandir dans une famille où on avait le porte-monnaie vide et le cœur plein.
J’ai commencé à courir en championnat suisse sur une Yamaha TRB et ai gagné onze courses sur les douze que comptait la saison.
Pour ce qui est de la suite, je me souviens de courses où, avec Barry, on coupait un tonneau en deux, on le remplissait de charbon et on grillait l’agneau qu’on avait acheté à la ferme d’à côté sur nos béquilles soudées ensemble pour faire broche. Le tout accompagné de bonnes bouteilles de vin et de jolies filles et c’était juste le bonheur. Par contre, une fois sur la piste, nous ne nous faisions pas de cadeau.
Regarde aujourd’hui comment sont les pilotes ! Si tu me proposais de revivre ma vie de pilote à l’heure actuelle, je ne le ferais pas, pour rien au monde je n’échangerais ce que j’ai vécu.

Marc : Que comptes-tu faire ces prochaines années ?

J’aimerais vraiment initier un maximum de gens à découvrir la moto, surtout sur la piste car c’est l’évasion totale. On vit dans un monde qui est tellement surveillé, on est en liberté surveillée comme je dis, que pouvoir s’évader sur la piste est merveilleux. La moto est quelque chose de passionnel.
J’aime quand les gens se sentent bien, voir les participants de mes journées piste heureux me remplit moi de bonheur.
Je souhaiterais pouvoir leur en amener encore plus par des moments de partage une fois la journée terminée. Nous organisons par exemple deux apéritifs à Barcelone, mais je rêve de faire une paella géante pour tous.

Et voilà, il y aurait encore des pages et des pages à écrire sur Philippe. Cette interview m’a rappelé une vulgarisation de la relativité par Einstein : mettez la main sur une plaque chaude pendant une minute, ça vous paraîtra durer une heure. Asseyez-vous à côté d’une jolie fille pendant une heure, ça vous paraîtra durer une minute. En l’occurrence, j’ai échangé la jolie fille contre Philippe ; ce moment de partage avec lui m’a également paru durer une minute.

Merci Philippe pour ta bonne humeur communicative et merci également pour tout ce que tu apportes à notre passion : la moto !