On ze road
Sur sa béquille latérale, le bestiau impressionne. S’étirant sur près de 2m50, l’Eldodrado est longue comme un hiver sans moto. Les repose-pieds laissent la place à de larges platines, avec un sélecteur à double branche. Il serait dommage d’abîmer le dessus de vos bottes, tout de même. L’Eldorado prend soin de son pilote et le met immédiatement à l’aise. La selle, facilement enjambée avec ses 724mm de haut, est aussi confortable qu’elle en a l’air. Correctement assis, les pieds légèrement en avant et les bras détendus, la position est idéale pour un pilotage décontracté. Attention aux cylindres cependant, qui pourraient gêner les plus grands. Mais mon mètre quatre-vingt-deux y trouve parfaitement sa place.
Je tourne la clé et le compteur s’illumine, dévoilant un aigle pixellisé. On peut dire que les écrans LCD ont pris un sacré coup de vieux depuis l’arrivée sur de nombreuses motos du TFT couleur. Le tableau de bord est cependant très complet, avec de multiples informations, de l’heure à la consommation moyenne en passant par la température ambiante ou le rapport engagé. Il faudra en revanche m’expliquer l’intérêt de pouvoir afficher la tension de la batterie en temps réel, plutôt que l’autonomie restante. D’autant que le 1400 peut s’avérer gourmand, comme il nous le montrera sur cet essai. Les commandes, pour leur part, ne sont pas des plus intuitives. Un exemple ? Pour changer les modes moteur, on n’appuie pas sur le bouton « Mode ». Ben non. Ce serait trop simple. Pour passer de « Pioggia », le mode pluie, à « Veloce », le mode le plus sportif, il faut appuyer… sur le démarreur. Moteur allumé bien sûr. Mais on est sur une moto italienne, avec son caractère, et comprendre son mode de fonctionnement semble faire partie de l’apprentissage nécessaire pour rouler sur une moto pour le moins atypique.
Une pression sur le démarreur justement, et le twin s’ébroue. Vous voyez cette image du chien qui se secoue en sortant d’une rivière ? Et bien, sur une Moto Guzzi, c’est pareil. Le couple de renversement est bien présent, et fait tanguer la moto de gauche à droite au moindre coup de gaz. Loin d’être dérangeant, ce phénomène physique lié à la position du moteur dans le cadre me rappelle mes vieilles béhèmes, alors dépourvues d’arbres d’équilibrage, et a totalement sa place sur une moto telle que l’Eldorado. Les vibrations sont bien présentes à l’arrêt, sans jamais être dérangeantes. Tant mieux, c’est pour moi l’essence d’une moto, et encore plus d’une Guzzi. Le V-twin a pris vie, et est prêt à me montrer la voie vers l’Eldorado. Jeu de mot pourri, mais complétement assumé. Passons, voulez-vous.
Les premiers tours de roues s’effectuent sans appréhension. Il faut compter avec une certaine inertie liée au poids et à l’empattement extrême de la moto, mais le grand guidon offre un important bras de levier et permet de balancer efficacement la machine lors des changements d’angle, même si le poids invite à la retenue. On ne déplace pas un cruiser de quelques 330kg (sans le pilote !) aussi facilement, tout de même. Malgré tout, l’adoption de pneumatiques en 130 à l’avant et en 180 à l’arrière favorise une bonne maniabilité et soulage l’Eldorado d’une certaine lourdeur, par rapport aux enveloppes de 200mm généralement montées sur ce type de moto.
Je profite d’une belle courbe pour ouvrir les gaz en grand, et il ne faut pas attendre longtemps pour voir le couple arriver. Il y a en effet quelques 120nm qui sont disponibles à… 2750 tr/min. Autant dire que ça tracte fort. Mais sans violence aucune, avec un savant mélange de poigne et de douceur. Avec elle, la vie sera une longue route tranquille, au rythme des coups de pistons. L’Eldorado est à la moto ce qu’un David Brown est aux tracteurs. Intemporelle !