Avec les fortes chaleurs annoncées pour cet été caniculaire, quoi de mieux que de prendre le large et d’aller chercher l’air frais de la Méditerranée ? Aussitôt dit, aussitôt fait, me voilà à bord de l’Indian Roadmaster. Le choix de la destination a été simple. Lorsque j’ai montré la moto à ma femme en lui demandant où elle voulait aller pour la tester, sa réponse fut instantanée : « Ben tu as pris un bateau, alors on part à la mer ! » Et oui, les femmes ont toujours raison. Et si elles ont tort, c’est qu’elles ont raison d’avoir tort. Direction, donc, la mer pour une petite escapade de 4 jours ayant pour destination la station balnéaire du Grau-du-Roi. Sur le fleuve autoroutier qui nous y emmène, un petit crochet par le plateau du Vercors sera effectué, afin de vérifier les capacités de changement de cap rapide de l’embarcation. Enfin, un test de flottaison sera effectué en direction des Saintes-Maries-de-la-Mer. L’Indian tiendra-t-elle le choc ?
Lausanne, samedi 21 juillet. Température ambiante 23°. Légère pluie. En gros, les conditions idéales pour prendre en main un monstre de métal de 421kg. Je suis impressionné en faisant le tour de l’engin. Par le gabarit, bien sûr. C’est la moto la plus lourde que j’aie jamais essayée ! Mais surtout par l’allure de la bête. Il faut dire que tout est fait pour vous en mettre plein la vue ! Selle en cuir très travaillée, avec surpiqûres et rivets ; bloc moteur sculptural de 1811cm3 ; chromes à profusion… Les belles pièces ne manquent pas et le degré de finition est excellent. La marque de Springfield vise le haut de gamme avec cette Roadmaster et n’a rien à envier à la concurrence. Les sigles et logos de la marque se comptent d’ailleurs par dizaines, parsemant quasiment chaque pièce qui la composent. Et puis, il y a la tête d’indien, sur le garde-boue avant. Elle s’illumine la nuit, ce qui confère aux motos de la marque une signature visuelle reconnaissable entre mille. Quand on roule Indian, on s’affiche Indian.
Une fois dans la moto (je dis volontairement « dans » et non « sur » la moto), on constate que l’équipement embarqué est pléthorique. Vous êtes prêts ? On y va ! Système audio avec quatre haut-parleurs développant 200 watts, ordinateur de bord ultra complet avec un écran tactile de 17.7 centimètres de diagonale, GPS intégré (mises à jour gratuites), système de démarrage sans clé, pare-brise électrique, régulateur de vitesse, capteur de pression des pneus, verrouillage centralisé des coffres, poignées chauffantes réglables sur dix niveaux et selles chauffantes avec réglage indépendant avant/arrière… et j’en oublie sûrement. Ne manque que la marche arrière (ne rigolez pas, j’aimerai vous y voir !) et surtout l’antipatinage. Cela m’a d’ailleurs valu quelques belles frayeurs tant le bicylindre déborde de couple. Je reviendrai en détails sur chacun des équipements au fur et à mesure de l’essai mais il faut admettre que la dotation est plutôt généreuse, et digne de ce qu’on attend d’un navire de cette catégorie.
Démarrage, et là, la magie fait son effet. La sonorité du twin de 1811cm3 est une pure symphonie. Moi qui reproche souvent aux motos de cette catégorie d’être trop discrètes et de nous obliger à passer par la case « stage 1 » pour en profiter pleinement, je suis ravi. Sans être exagérément exubérant, le son est rond, sourd et colle parfaitement à la philosophie de la marque. C’est un régal pour les oreilles ! On s’installe à bord, et on constate que l’on va être choyé pendant les prochains milliers de kilomètres. Les énormes poignées bien en main et les pieds bien à plats sur les larges platines, on est parés à lancer la manœuvre d’appareillage. Les premières évolutions à basse vitesse se font avec appréhension et il faut calculer large pour pouvoir virer de bord. L’équilibre est plutôt bon, mais l’inertie est importante et si l’engin échappe à son capitaine, ce dernier sait qu’il n’aura aucune chance de la retenir. Evitons donc de faire échouer la Roadmaster dès le départ et laissons la nous emmener au large.
En la ramenant à Dardagny (GE), son port d’attache, et malgré une température « clémente » de 23°, je sens bien la chaleur du moteur remonter le long de ma jambe droite. Il ne fait pas si chaud et j’ai pourtant pris soin d’enclencher la climatisation manuelle avant le départ. Bon, ne rêvez pas, il s’agit en réalité simplement d’aérateurs que l’on peut ouvrir sur le bas des carénages avant afin de favoriser les flux d’air. Et si une fois fermés, ils vous protégeront des projections, leur seule utilité une fois ouverts sera de refroidir l’imposant bloc de 111 cubic inches.
Avant d’embarquer pour la Camargue, il faut charger le navire. A l’heure d’ouvrir la cale, je suis agréablement surpris. D’abord, le top-case est vraiment immense, avec un revêtement moquetté, un éclairage et une prise 12V intégrée. Deux casques peuvent y prendre place sans problème. Du côté des valises, la capacité est correcte mais la forme est plus torturée et l’accès par le haut pénalise le chargement. Sacs obligatoires. Ou alors, il faudra les démonter (c’est possible), mais accepter d’en payer le prix sur l’esthétique de l’américaine.
Au rayon pratique, on découvre trois rangements, soit deux écoutilles situées dans les bas de carénages avant et une petite trappe juste sous le pare-brise. Dommage que ces trois-là ne se verrouillent pas à clé comme les autres. Dans celui du haut se trouve la fiche USB permettant de charger ses MP3 ou de recharger son smartphone. Bien que protégé par un revêtement en silicone, ce rangement n’est pas exempt de vibrations, ma clé USB s’étant tout simplement déconnectée après quelques 600 miles nautiques. De plus, le revêtement antidérapant gardera inéluctablement votre ticket de péage collé au fond du vide-poche. Dommage, car c’était une bonne idée. Au passage, attention à la catégorie lorsque vous arrivez au péage : à plusieurs reprises, la Roadmaster a été détectée comme une voiture. Ah oui mais non ! Être traité de matelot, passe encore, mais de caisseux, jamais ! Vigilance donc.
Départ en direction de Grenoble, et des petites routes du Vercors, sur ce canal de bitume ennuyeux que l’on appelle autoroute. La Roadmaster porte bien son nom. C’est la reine des Highways. Avec une tenue de cap imperturbable, un confort d’assise digne d’un fauteuil de capitaine et un pare-brise réglable électriquement, la corvée de l’autoroute devient une simple formalité.
Chargez un bon gros rock sur votre clé USB et vous pourrez cruiser au son de votre groupe préféré. La qualité sonore est bluffante, et la musique est parfaitement audible jusqu’à 130km/h. De quoi largement taper un duo avec James Hetfield au son des guitares de Metallica. L’asphalte défile en toute sérénité et le moteur ronronne à 3000tr/min, à une vitesse stabilisée de 120km/h. A ce jeu-là, le régulateur de vitesse sera un précieux allié. Une fois les commandes assimilées, son utilisation est très intuitive, avec la possibilité de le couper par une petite contre-rotation de la poignée de gaz. Cela présente l’avantage de limiter les à-coups, mais surtout de ne pas allumer le feu stop intempestivement.
Le pare-brise n’a pas l’air imposant mais il fait parfaitement son boulot et en position haute, je n’ai plus le moindre remous dans mon casque. En plus, j’ai le regard qui porte juste au-dessus, ce qui m’assure une vision parfaite, même en cas de pluie. L’écran TFT de 17,7’’ est bien lisible et les indications sont nombreuses. Tactile (et fonctionnant avec des gants !), on peut y naviguer facilement via des molettes situées à l’index, sans lâcher le gouvernail. Plusieurs écrans sont disponibles, selon les besoins. Tous regorgent d’informations, que ce soit au niveau de la conduite, de la navigation, de la gestion du véhicule ou de la musique. Mention spéciale pour l’écran partagé qui permet d’afficher de façon simultanée les données nécessaires à la conduite sur la gauche et le guidage GPS sur la droite.
Le GPS d’ailleurs, c’est pratique. On a pris l’habitude de le laisser nous guider en se disant que de toute façon, on arrivera forcément à destination. Mais lorsqu’on évolue avec un véhicule au gabarit tel que celui-ci, on peut avoir de bien mauvaises surprises ! Alors que je navigue en direction de Villars-de-Lans, pour monter sur le plateau du Vercors, je ne me rends pas compte immédiatement que le GPS, qui a certainement trouvé là le moyen d’optimiser mon trajet de quelques centaines de mètres, m’envoie en plein centre-ville de Grenoble.
Coffres pleins et équipage au complet, voilà l’occasion de tester le cargo en navigation portuaire rapprochée. Sans surprise, la ville n’est pas son univers. Pas très agile et mettant du temps à réagir du fait de son embonpoint, la Roadmaster impose une anticipation sans faille. Le freinage, s’il est progressif, manque de mordant et de puissance. On ressent bien l’inertie de la moto et le poids à arrêter. De plus, le levier est placé loin de la poignée et même réglé au plus près, il impose d’aller chercher son extrémité pour pouvoir utiliser efficacement l’entier de son bras de levier. Simple question d’habitude, mais là, c’est au pilote de s’adapter à sa monture.
Le plus gros problème, comme je le supposais déjà, provient de la chaleur dégagée par le collecteur d’échappement. Une moto qui chauffe, c’est normal, pensez-vous. Sauf que jusqu’à preuve du contraire, je ne suis pas un pavé de rumsteak ou une brochette marinée. Je ne blague pas. Le moteur chauffe tellement qu’on a l’impression d’être assis sur un barbecue. Je suis arrivé « à point » en Camargue après 500km de route, avec un mollet bien rouge. Pour une moto conçue pour le marché américain, je me demande comment ils font sur la Route 66. C’est peut-être une tradition là-bas de marquer les clients au fer rouge ?
Enfin extirpé de l’enfer du centre-ville de Grenoble, je file retrouver un peu de fraîcheur sur les petites routes sinueuses du Vercors. Dans les grandes courbes rapides, question maniabilité, on est plus proche du chalutier que du hors-bord. Il ne faut pas trop forcer le rythme car il y a un certain poids à balancer d’une vague à l’autre. Mais le châssis est sain et la moto est très équilibrée. Il faut juste anticiper les petites épingles serrées car le rayon de braquage peut parfois se révéler un peu limité. Mais dans l’ensemble, on se cale rapidement sur le rythme de l’Indian et on prend du plaisir à jouer avec le gros élastique qui sert de moteur et qui permet des belles reprises dans un ronronnement extraordinaire. Pourtant, au premier abord, ce gros twin m’avait presque déçu. Il faut dire qu’avec un bicylindre de plus de 1800cm3 et 15mKg de couple, je m’attendais à des accélérations plus franches et plus bestiales.
Le Thunder Stroke III tracte avec force et vigueur dès les bas régimes mais j’aurais malgré tout apprécié un peu plus de hargne et de vivacité. Sauf qu’il faut composer avec un poids de plus de 400kg et une puissance de seulement 84cv. On note tout de même comme une sorte d’« effet turbo », soit comme un léger temps de réponse quand on visse la poignée à fond. Surprenant, mais pas désagréable, loin de là. Pour le coup, le 111ci de Springfield est un moteur souple et onctueux, une véritable force tranquille qui saura apporter à l’équipage un réel confort de conduite. On sent bien que l’on est sur un cruiser, et qu’il ne faut pas être pressé pour réussir à l’apprécier. Ça tombe bien, on a du temps !
Depuis Villars-de-Lans, on pénètre dans les gorges de la Bourne. Nous voilà dans le vif du sujet. Cette route est splendide, le bitume en bon état, mais on circule à vitesse réduite, émerveillés par le spectacle que l’on découvre. La route est taillée dans la montagne et serpente en fond de canyon aux côtés de l’impétueux torrent. En camping-car, ce serait risqué, mais moi, j’ai une frégate alors ça passe… Et avec le sourire, tant on en prend plein les yeux au passage. La D531 nous mène tout droit à Pont-en-Royans, superbe village comme suspendu dans le vide, idéal pour une petite pause en terrasse.
L’occasion de reprendre des forces car sur des courbes aussi serrées, l’américaine demande de la force et de la concentration à son pilote. Direction St-Jean-en-Royans, puis la Combe Laval (D76) en direction du Col de la Machine. Cette route est un incontournable pour qui veut profiter du Vercors : datant du 19ème siècle, c’est une corniche qui surplombe de plus de 600 mètres le vallon du Cholet et offre un panorama à couper le souffle. Alternant passages rétrécis et tunnels creusés dans la roche, il faut toutefois rester attentif car elle est très fréquentée en saison et son revêtement a pu faire les frais de chutes de pierres. Prudence donc, surtout avec une embarcation assez large comme l’Indian.
On redescend ensuite sur Die par l’immanquable col de Rousset (D518). Un conseil, juste après la sortie du tunnel qui suit la station du col, tournez tout de suite à gauche. Point de vue garanti, avec un sympathique aperçu des virages qui vous attendent ! Sans surprise, la Roadmaster est peu à son aise dans cet exercice, la faible garde au sol amenant à faire frotter la béquille latérale dans la moindre épingle à gauche. À ce petit jeu, l’américaine se montre clairement fatiguante et nous fait comprendre qu’elle a besoin de plus d’espace pour s’exprimer.