Autant dire que je fais le plein de sensations, entre le soleil qui brille de mille feux, la fraîcheur matinale et les senteurs de la forêt que je traverse. Bien calé sur la selle de la moto, je laisser le gros v-twin donner de la voix et me guider vers mon paradis à moi : la Barillette, ses 1528 mètres d’altitude, son panorama exceptionnel et sa fondue d’anthologie. Mais ça, c’est une autre histoire.
Cet essai commence la veille, lorsque je passe récupérer la moto chez Harley-Davidson Geneva. Une Fat Bob, équipée du dernier moteur Milwaukee Eight. Ce bicylindre en V, dévoilé en 2016 et qui remplace le fameux Twin Cam, équipe donc cette année la Fat Bob qui rejoint la famille Softail (la gamme Dyna n’existe plus en 2018). Elle est disponible en deux versions : 107 ou 114 Cubic Inches (Ci), soit 1745 ou 1868 centimètres cubes. Pour ma part, ce sera une version 114 Ci (la plus largement diffusée) avec une peinture « Bonneville Salt Denim ».
Blanc cassé mat, en langage courant. Cette couleur lui va comme un gant. De boxe bien sûr. Car Harley semble vouloir entretenir cet aspect brut de décoffrage. Il est d’ailleurs renforcé par le réservoir qui arbore sur le côté droit un simple sigle de la marque, dépourvu d’écriture, alors que le côté gauche est carrément vierge de tout logo. Sur le dessus en revanche trône un large « Harley-Davidson » inscrit en grosses lettres, qui se prolonge en une bande noire faisant le tour du réservoir et contribue à donner un petit côté sportif, comme un clin d’œil aux bandes blanches des muscle cars des seventies. La peinture semble de qualité et la finition de la moto renvoie une première impression plutôt positive.
Les jantes en aluminium coulé sont gravées au laser sur plus de la moitié de leur circonférence et en jettent carrément, soyons honnêtes. Seul détail qui dérange, le faisceau qui fait des va-et-vient autour de la colonne de direction, avec des colliers en plastique pour le maintenir en place. Indigne d’une moto de cette catégorie et de ce prix. Le concessionnaire genevois m’assure toutefois que cela est lié à cette moto de démonstration car les motos qu’ils reçoivent et livrent à leurs clients ont un câblage plus propre. Ce petit détail mis à part, le look de la moto est plutôt agréable et valorisant.
L’optique avant à LED divise toujours autant, mais elle contribue à l’aspect ramassé de la bête, qui tranche d’ailleurs nettement avec les versions précédentes qui se montraient plus consensuelles. Bien qu’imposante avec une longueur de plus de deux mètres trente et un poids 300kg en ordre de marche, la ligne de la moto est très fluide. Ici, plus le moindre chrome ni le moindre élément tape-à-l’œil. On s’éloigne de l’image du cruiser pour se rapprocher clairement de celle d’un dragster, prêt à laisser de la gomme sur la route à chaque feu rouge.
Le double silencieux d’échappement légèrement relevé achève de donner une touche de sportivité à l’ensemble. Fini le garde-boue arrière enveloppant des premières versions ou celui biseauté du modèle 2014. Place à des éléments courts, voir minimalistes, qui renforcent le côté trapu de la machine. Une impression à laquelle participe d’ailleurs grandement le gommard de 150 à l’avant, monté sur une roue de 16 pouces.
Seule faute de goût : un support de plaque d’origine aussi massif qu’inesthétique. Sûrement très efficace par temps de pluie, vu le garde-boue arrière tronqué, mais carrément disgracieux, pour rester poli. « 100% des clients qui l’ont achetée l’ont fait changer », me glisse le vendeur. Une évidence qui est semble-t-il partagée par la marque elle-même, puisque dans sa vidéo de présentation, elle apparait pourvue d’un superbe support de plaque latéral. Hormis cette faute de goût, la Fat Bob a un design affirmé et assumé. Presque trop japonaise pour certains d’ailleurs, qui hurlent au scandale et crient à la perte d’identité. Alors, cette Fat Bob 2018… une américaine à la sauce nippone ?
Ce n’est pas tout de l’admirer sous tous les angles, mais une moto, c’est fait pour rouler. Alors on s’installe. 1ère impression, les poignées sont très grosses et le guidon est large, très large, et presque droit. On empoigne la moto comme on empoigne des haltères. Comme si Harley avait voulu nous faire comprendre dès la prise en main qu’il allait falloir de la force pour la maîtriser, cette bête-là.
Une fois bien calé dans la selle, on a la sensation d’être assis dans la moto, et non dessus. Bon, si le moulin arrache vraiment autant les bras qu’il nous laisse l’imaginer, c’est plutôt rassurant pour la suite. Il faut dire qu’avec un couple annoncé de 155 nm à seulement 3500 tr/min, il doit sacrément déménager, même avec plus de 300kg à tracter. La position de conduite est un peu déroutante. Les pieds ne sont pas franchement en avant comme on pouvait s’y attendre, sans pour autant être assis comme sur un roadster. Il semblerait que Harley aie cherché le compromis idéal. Pour mon mètre quatre-vingt-deux, il en résulte une cassure au niveau de la cheville qui n’est pas très naturelle. Mais peut-être est-ce une habitude à prendre.
Allez, on appuie sur le démarreur. Et là, on est presque déçu. Les vibrations, maitrisées par un double balancier d’équilibrage, sont assez discrètes, mais c’est surtout la sonorité qui est presque trop feutrée. Idéal pour traverser les villages sans réveiller la population, mais à mon goût bien trop silencieux et surtout pas vraiment en phase avec l’image que la moto renvoie. Aucun doute qu’après un passage par la case « Stage 1 », la moto respirera bien mieux. Le porte-monnaie aussi au passage, tiens. On enclenche la 1ère dans un grand KLONG évocateur et c’est parti pour rallier Chicago à Los Angeles par la Route 66… ou plutôt Plan-les-Ouates à Dardagny par les petites routes du canton de Genève.
En roulant, la première chose qui frappe, c’est la vue dégagée sur la route. En effet, le compteur, positionné sur le réservoir, oblige à baisser les yeux pour avoir la moindre information. Du coup, le champ de vision est libéré de tout élément parasite, et seul le ruban d’asphalte se présente devant vous. Au guidon de la Fat Bob, on vit la route. On la ressent. Elle se jette carrément sur vous. Un peu déroutant au début, mais on en vient très vite à déterminer à l’oreille la vitesse à laquelle on évolue et on se laisse griser par les sensations tant l’immersion est totale.