
Déjà, à la sortie de l’Aprilia Performance Ride Control (APRC), la marque avait jeté un bon pavé dans la marre des motos sportives. À l’époque, l’ABS et le contrôle de traction n’étaient pas aussi performants, mais permettaient déjà aux amateurs de faire progresser leurs chronos. En 2017, on atteint un nouveau palier, le nombre de paramètres augmente encore et le conducteur pourrait bien se sentir mis sous tutelle tant ses actions sont surveillées.
Le nouveau réglage du contrôle de traction (ATC) a été affiné et gagne en précision. C’est désormais sur 8 niveaux que le pilote peut le régler, à la volée et sans couper les gaz. Même liberté pour l’anti-wheeling (AWC) et ses 3 niveaux autorisant plus ou moins de hauteur. L'accès facilité aux fonctions est rendu possible grâce aux nouvelles touches du commodo gauche. Avec les gâchettes +/- on ajuste la valeur très facilement, le bouton du régulateur de vitesse, mais alternativement aussi du contrôle de wheeling, est sous le pouce, le limiteur est un un peu au dessus et inratable. Enfin un joystick est un peu plus à l’écart pour naviguer rapidement dans les menus.
L’arsenal de pilotage est complété par l’ABS Bosch 9.1MP calculant son fonctionnement avec les paramètres venant de 5 capteurs. De la pression appliquée au levier de frein à l’accélération latérale en passant par l’angle de la moto selon 3 axes, la moto n’a pas d’yeux mais sait où elle se trouve dans l’espace. Le cornering ABS travaille notamment à garder la roue arrière au sol pour maximiser le grip au moyen du Aprilia Rear Liftup Mitigation (santé!).
Comme si cela ne suffisait pas, la Tuono exécutera des départs arrêtés plus ou moins violents selon 3 niveaux. Une fois lancé, c’est avec le shifter (AQS) que vous pourrez passer les vitesses comme si poursuiviez Max Biaggi. Au freinage, la fonction blipper vous épargnera la manipulation de l’embrayage. Cette V4 est aussi dotée d’un limiteur de vitesse utilisable dans les stands comme sur la route, plus de détails à son sujet plus loin.
Devenus banals dès qu’une moto est techniquement avancée, l'Aprilia ne déroge pas aux riding modes. Que ce soit en Sport, Track ou Race, la puissance maximale de 175 ch. reste la même. C’est la façon dont le moteur réagit aux ordres de la poignée de gaz qui varie. Passer d’une loi à l’autre se fait hélas en coupant les gaz et en appuyant de nombreuses fois sur le démarreur.
Dans son châssis double poutre en aluminium, qui combine pièces embouties et coulées, l’Aprilia renferme son excellent V4 à 65° développant donc 175 chevaux en configuration Euro 4, qui chante toujours mélodieusement bien. Les 4 corps d’admission Weber-Marelli de ø 48 mm obéissent au Ride-by-wire à nouveau revu. Cette dernière version fait gagner plus d’un demi kilo sur l’admission en éliminant des composants maintenant devenus inutiles.
Le rupteur a pu être déplacé de 500 tr/min et atteint maintenant 12’500 tr/min, tandis que le moteur devrait mieux se porter dans le temps grâce à de nouveaux traitements de surface. L’échappement fonctionne selon les principes imposés par Euro4. Sous son imposant silencieux, un système à 2 sorties est séparé par un clapet. Ce dernier, sur ordre de l’ECU, laisse passer plus ou moins de gaz dans la seconde chambre. À bas régime, tout passe par la petite sortie, créant ainsi une pression favorable à plus de couple.
Au sujet du freinage, le train avant a droit aux toutes dernières galettes de 330mm de diamètre, dont le centre est en alu, pincées par des étriers monoblocs Brembo M50, plaquettes BRM 10B et actionnés par un maître-cylindre radial (enfin, diront les puristes!). La Tuono 2017 s’offre aussi une paire de jantes coulées chaussées de Pirelli Rosso III en 190/55 pour la RR et surtout des Supercorsa en 200/55 pour la Factory!
La suspension n’a pas été négligée non plus. La RR est montée en Sachs: fourche inversée ø 43 mm “One-by-One, mono amortisseur monté sur biellette pour un mouvement progressif du bras oscillant (APS), le tout réglable en précharge, compression et rebond. Ajoutez-y encore un amortisseur de direction et le set est complet. Sur la Factory, ces composants viennent de chez Öhlins avec une fourche NiX30 et l’amortisseur TTX36. Les réglages sont identiques à l’exception de l’amortisseur dont la longueur peut être ajustées.
L’high-tech s’invite jusque sur le tableau de bord couleur de 4.3”. Ce combiné est très complet, avec la télémétrie des freins et des gaz, ainsi que de l’angle maximum atteint. Des données qu’on retrouve sur la RSV4 naturellement. Tous les réglages de l’APRC sont toujours à vue, on navigue d’un point à l’autre avec le joystick pour en changer la valeur. Enfin, un écran dédié au circuit affiche le chronomètre à la place de la vitesse.
Dernier héritage de la RF et non des moindres, le système V4-MP peut-être installé en supplément sur la RR comme sur la Factory. La connectivité bluetooth avec un smartphone ouvre la voie à des banalités tels que contrôle vocal, intercom avec le passager et réponse aux appels depuis le guidon. La partie réellement intéressante est la fonction de réglage de votre moto virage par virage, avec la bibliothèque de circuits préenregistrés par Aprilia. Une fois de retour au box, vous envoyez les informations sur un ordinateur ou les analysez directement sur votre smartphone.
D’aveu d’ingénieur, la première trace de Tuono à Noale remonte à 2002, lorsqu'ils avaient décidé de virer les carénages d’une rsv1000 et de lui mettre un guidon haut. Mis à part les phares, qui ont été étudiés avant de les poser, le concept n’a pas vraiment changé en 2017. La particularité de ce roadster, c’est que son bloc optique est relié à la moto et non à la fourche! Quand vous tournez le guidon, la moto éclaire vers l’avant. C’est un choix assumé car favorisant la stabilité en roulant.
La face en 3 optiques fait partie de l’identité de la marque, on reconnaît immédiatement l'Aprilia. Toute la partie arrière est spécifique à la Tuono, pour accueillir un passager. Sur la Factory, un arrière complet de RSV4 s’est installé, réduisant à un timbre poste la surface octroyée au passager. La RR peut-être prise en gris Portimao ou noir Assen tandis que l’autre n’a que le look Superpole au catalogue. Dernière surprise, même si ce roadster est ce qui se fait de plus proche d'une sportive nue, la position ne m'a jamais dérangé !
Dès le début de la journée, nous avons droit à un gros briefing sur le nouveau commodo gauche et l’instrumentation de bord. On y découvre des détails comme le Pit Limiter, qui ne fonctionne qu’en première et à une vitesse définie dans le sous-menu d’un sous menu. Oubliez dans ce cas de le mettre sur 50 pour ne pas vous faire avoir en localité, une fois en 2e, il se désactive automatiquement.
Dans les sous-menus se choisit aussi si le bouton de gauche sert pour le régulateur de vitesse ou le wheelie control. Devinez quel mode on a pris… même moi j’ai réussis à faire des lèves ! Au niveau 3, avec un franc coup de gaz, l’avant déleste encore dans la microseconde qui suit. En prenant la route, j’avais immédiatement réalisé que le moteur 1100 est prêt à exploser, la réalité est au delà de mes attentes.
Par acquis de conscience, j’avais commencé en cartographie Sport, qui s’avère plus un mode pluie où la réponse de la poignée est très lente. Pour passer en Race, il faut presser sur le démarreur, gaz fermés. Je n'ai d’abord pas réussi à le faire, mais c’est en fait très simple: presser une fois ouvre le choix, presser une seconde fois, toujours sans toucher les gaz, fait passer au mode suivant.
Selon les dires d’un confrère propriétaire du modèle 2016, le confort de la suspension a progressé grâce aux ressorts plus souples de 0.5 N/mm sans concéder à la tenue de route. Ce set Öhlins est probablement le meilleur qui puisse être monté de série à l’heure actuelle, même si j’aurais aimé pouvoir le confronter au système actif de la MT-10SP. La stabilité et le retour d’informations sont hors-pairs. Alors qu’on empruntait ce fameux raccord de bitume de 80 cm de large, exactement sur la trajectoire, la Factory n’a pas laissé transparaître une once d’instabilité. Si la route est irrégulière, vous le ressentez, mais la conduite ne semble pas affectée.
Lors de la conférence de presse, il nous a été dit, je cite “ Encore en 2015, vous (ndr. les journalistes) râliez car le freinage était bon mais que le maître-cylindre était axial. On en a eu assez on en a monté un radial. Contents ? ”. Moi qui aime avoir du mordant et une poignée ferme, j’allais être servi. J’aime autant vous prévenir : fermez la bouche quand vous saissisez le levier, au cas où ça vous déchausserait une dent… L’ensemble Brembo est tout simplement démoniaque et inépuisable. Je voyais la corde se rapprocher un peu vite et finalement un boulevard se former entre moi et le virage tellement le freinage est puissant. Les Supercorsa bien en température n’y sont pas non plus étrangers. Je pense à titre personnel avoir ma nouvelle référence du gros freinage.
Les 3 niveaux d’ABS sont en fait plus que l’anti-blocage des roues. Le niveau 3 est ultra intrusif, à la façon d’un mode pluie. Il surveille les deux roues, est pleinement actif en virage et empêche le soulèvement de la roue arrière. 2 est un niveau standard, surveillance des deux roues, ABS sensible à l’angle, délestage limité de la roue arrière sauf au dessus de 140 km/h. En 1 tout est libre sauf la roue avant qui ne peut pas se bloquer.
Depuis le début de l’essai, j’ai le plaisir de suivre des virtuoses de la roue arrière. Menant déjà un rythme d’enfer dans les virages, ils me gratifient en plus d’un lève très propre à chaque bout droit. Eux ont totalement désactivé le AWC, mais profitent pleinement du shifter pour monter les vitesses pendant qu’ils économisent le pneu avant. Puis au freinage, c’est la fête au blipper. Les nouveaux capteurs dans la boiîe de vitesse ont une telle précision qu’ils savent en permanence où ce trouve chaque pièce mobile ce qui permet de baisser les rapports sans à-coups dès 4000 tr/min. En dessous, c’est un peu moins propre mais ça fonctionne.
Ca parait fou, mais on nous a assuré que le blipper pouvait être actionné avec la poignée soudée. Imaginez, à 80 en 5e, vous devez tout à coup mettre plein gaz. Ne réfléchissez pas, ouvrez à droite et du pied gauche pressez 2 fois. Alors que la moto accélère déjà, le 3e rapport va s’enclencher et le V4 vous catapulter vers l’avant dans un grondement d’outre-tombe. Je commence à croire que conduire cette Tuono n’est pas très raisonnable.
Il reste d’ailleurs un 3e mode de conduite inexploré, le mode Track! Encore plus affûté que le Race, celui-ci a la réponse des gaz la plus franche. Alors que sur certaines motos, cet aspect est poussé au delà de l’utilisable, Aprilia a simplement réussi à en faire le mode le plus fun de son roadster. Sur tout le parcours où je m'en suis servi, nous étions dans une vallée avec le mur à notre droite, de quoi faire résonner l’échappement qui est justement à droite... je crois que ça ressemble au paradis du motard.
Chaque nouvelle Tuono se vend bien l'année de sa sortie en Suisse. Les chiffres ne sont pas impressionnants ( c’est à se demander ce que les gens achètent à la place ) mais se portent bien. Je n'avais que très peu goûté au V4 jusque là, en une journée je suis conquis. Je m’attendais à un gros roadster comme j’en ai roulé plusieurs ces temps, mais non! Même mon adorée Super Duke me semble tout à coup fade tellement la Tuono Factory envoie du lourd. Quant à la différence avec une simple RR, difficile de vous répondre sans l'essayer aussi.
Sur cette italienne, j’ai pris un plaisir fou à: faire du bruit en restant d’origine, provoquer l’anti-wheeling, freiner tellement fort que mon entre-jambe a dû laisser une marque sur le réservoir, me jeter dans les virages à des vitesses inavouables, m’extraire des virages avec une roue avant qui cherche le ciel, avoir la liberté de configurer seul chaque paramètres de la moto. En un mot comme en mille, j’ai pris un pied énorme à piloter cette Tuono!