Cinquante kilomètres. C'est la distance qu'aura parcouru cette Speed R raide de neuve avant de se retrouver sur sa seule roue arrière... Honte à toi, vilain journaliste! Et le rodage?! J'aimerais vous y voir, avec un tel engin entre les pattes: chez Triumph, la série « Triple » a dû être conçue exprès pour faire le zouave! Ils sont fous, ces anglais: ils nous collent des trois-cylindres géniaux dans des châssis joueurs... évidemment, il ne faut pas longtemps pour réaliser le potentiel délirant du mélange.
Et ça finit généralement sur une roue, ou avec des angles de porc, genou parterre. Ce que tout bon roadster sportif doit être capable d'endurer, en somme! Triumph, au vu du succès de la petite Street Triple R, a décidé d'appliquer la recette à la grande soeur. Un peu secouée par une concurrence hyper affûtée, Tuono V4 en tête, la Speed se devait d'évoluer. C'est chose faite dans cette version R!
Fourche et amortisseur Öhlins NIX 30 et TTX 36 entièrement réglables, jantes en alu forgé PVM, étriers Brembo monobloc à l'avant... il y a de sacrés noms qui se bousculent sur le châssis de la Triumph! Sans oublier les écopes de radiateur, une partie du garde-boue avant et un cache-réservoir en carbone, ni ce sublime coloris blanc qui donne un air terrible à la Speed' R. Notons aussi l'arrivée d'une boîte retravaillée, qui vient réduire l'un des défauts de la Speed Triple 2011: sa lenteur et son manque de précision. Pour le bonheur de tous, la nouvelle boîte est également installée sur la Speed Triple 2012 « de base ».
L'ABS est déclenchable sur la version « Launch Edition » proposée par Triumph Suisse à 30 exemplaires seulement. Un contrôleur de pression des pneus est également présent sur ce modèle, qui dispose d'un sabot moteur et d'un saute-vent couleur carrosserie.
Pour ce qui est du coup de crayon, rien n'a changé. Le nouveau style de la Speed Triple aura réussi à s'imposer, même si beaucoup avaient douté lors de sa refonte. La boucle arrière du cadre, peinte en rouge, souligne le côté sportif de l'engin, ramassé et prêt à bondir... c'est le mot!
Dès les premiers mètres de roulage, le buste penché en avant et les mains posées sur le large guidon noir, on se sent prêt à tout! Le trois-cylindres, à la sonorité toujours aussi impressionnante, permet d'évoluer tranquillement en ville, sur le couple. S'il se montre toujours un peu moins rempli que le précédent 1050, il reste tout de même prêt à vous extraire de toute situation inconfortable d'une rotation de la poignée.
Cette poignée, parlons-en, car elle devient rapidement une obsession sur cette Speed Triple R! Dès 6'000 tours, on déleste facilement l'avant, même en deuxième, pour un résultat plus ou moins maîtrisé suivant la situation. On s'extrait avec force des virages et la Speed nous en met plein la gu... figure! On se régale à chaque accélération, poussé au vice par la sonorité virile du trois-pattes: impossible de rester insensible à un tel charme! S'il manque presque un poil de chevaux (on en a largement assez pour faire l'idiot), le moteur de la Speed R est incontestablement l'un des plus jouissifs de la production roadster. La nouvelle boîte s'avère plus précise. Ça claque encore un peu, mais il y a du mieux. Mais ce qui change vraiment sur la R, ce n'est pas le moteur, c'est le châssis...
Sur la Speed Triple de base, on bénéficie d'un châssis costaud, qui encaisse un pilotage sportif comme une conduite plus tranquille. Mais la Triumph manque d'un peu de vivacité et de suspensions plus fermes pour lutter en termes d'efficacité pure avec les canons de la catégorie. La Speed' R remet les pendules à l'heure! D'abord, on se dit qu'à part être beau, le matériel Öhlins réglable de partout ne va pas non plus nous changer la vie.
Tout faux, Paulo! Le travail de la fourche NIX 30 (la même que la terrible Daytona 675 R) fait merveille. Même un peu souple en réglages d'origine, le train avant s'avère beaucoup plus facile à faire tourner, surtout sur les freins. La présence des jantes en aluminium forgé PVM n'y est pas étrangère non plus. L'avant encaisse donc très bien vos velléités sportives et sera ajustable à l'envi selon vos goûts ou les conditions de roulage. On n'y a pas touché, même si en fin d'essai, on aurait pu durcir un peu le tout. L'amortisseur arrière, avec deux molettes de réglage très pratiques à l'usage, permet également un ajustement aux petits oignons, sans aucun outil!
Si la Speed demande toujours une certaine poigne pour se poser sur l'angle, sa précision en courbe est très, très appréciable. Les Pirelli Supercorsa n'étaient pas là pour rien: les possibilités de l'engin sur route semblent largement mériter de telles gommes. C'est ici que je dois faire mon mea culpa, chers lecteurs. Effectivement, je suis resté bien coincé sur la Speed'R toute neuve au moment de prendre de l'angle pour les photos! On ne peut pas toujours être au top, mais là, même Patrick (notre photographe) me l'a dit: « C'est un peu timide... ». Je ne pouvais décemment pas rester sur un tel échec et, dès le lendemain, je suis retourné rouler le couteau entre les dents!
Ouf! En attaquant méchamment, la Speed Triple R se révèle enfin! Le sport, elle adore, surtout avec la cravache! Hyper stable lors des changements d'angle, elle n'a pas le côté parfois fuyant de sa petite soeur Street Triple. L'avant remue moins, l'arrière reste imperturbable une fois freiné en détente et compression. Le châssis bonifié de la Speed Triple R assure, et c'est du lourd! On peut se jeter de gauche à droite sans arrière-pensée et angler jusqu'à plus soif!
Seul bémol: l'ABS qui s'enclenche vraiment tôt quand on commence à freiner très fort de l'avant. Évidemment, n'ayant pas trouvé comment le déconnecter, c'était bien fait pour moi! Reste qu'un système ABS réglé pour une conduite « normale » posé sur un freinage et une fourche de cette qualité, c'est presque... Quoi? De mauvaise foi, moi?! Bon...
Woah! Difficile de ne pas être emballé par cette Speed Triple R. Un roadster qui en a, qui en veut et qui en jette, pour sûr. Un roadster à ne pas mettre dans toutes les mains et qui demande de l'expérience autant que du sang-froid pour se livrer entièrement. L'apport des pièces spéciales de cette version R satisferont les plus saignants arsouilleurs, qui auront à loisir de régler leur châssis au quart de poil (ils débrancheront l'ABS, eux, aussi...). Pour un rouleur plus sage, à part un sex-appeal encore plus prononcé, elle n'apportera pas plus qu'un modèle de base. Et avec 3'000 francs d'écart, la question devra se poser. Car la Speed'R fait payer cher son châssis... en or!