Au bout de la ligne droite, prise de freins à plus de 240km/h, juste dans une compression. On retombe en troisième pour se jeter dans le premier virage, à une vitesse qui varie selon les tours. Car à Portimão, l’investissement doit être exemplaire si l’on veut réaliser ne serait-ce qu’une boucle proprement! Si je me suis fait maltraiter par la piste portugaise pendant une grande partie de ce test, le plaisir a pourtant été total!
Cela, c’est à la Daytona R que je le dois! Comme pour son roadster Street Triple, Triumph a voulu bonifier le comportement de sa supersport pour contenter les fondus de piste. Les plus de la version R? Une nouvelle fourche de 43mm de diamètre et un amortisseur arrière de dernière génération, tous deux de chez Öhlins et réglables dans tous les sens. C’est aussi l’étrier de frein radial Brembo, qui actionne des étriers radiaux monobloc pour planter de gros, gros freinages! Au niveau mécanique, un shifter fait son apparition pour des passages de rapports éclairs.
Alléchante, la 675 R l’est aussi esthétiquement. Se parant de blanc, de noir et de rouge (sur la boucle arrière du cadre), elle sublime le design déjà très réussi de la Daytona. Oh, et tant qu’à faire, elle s’offre quelques pièces en carbone, comme le garde-boue avant ou la protection thermique de l’échappement.
En s’installant à bord, on est directement plongé dans l’ambiance! Les poignets s’appuient sur des demi-guidons très bas et le séant se retrouve juché sur une selle haut-placée. La hauteur des repose-pieds reste confortable (pour mon mètre septante-cinq), mais c’est peut-être le seul agrément qu’on apprécierait au quotidien. Les yeux penchés sur le « cockpit », on retrouve du carbone sur les bordures du carénage et un bloc compteurs qu’on retrouve sur les autres modèles de la marque. Les commandes sont douces et les commodos bien conçus. Bon, ce n’est pas aujourd’hui qu’on en aura le plus besoin…
Il demeure que, même posé dessus, on continue d’apprécier la beauté de la Daytona. Sa silhouette est encore plus fine vue depuis la selle, l’or de la fourche Öhlins et les pièces en carbone flattent la rétine. En posant le regard sur ses pieds, on entrevoit la boucle arrière rouge. La pression monte, cette fois on y est!
Impatients de recueillir l’avis des journalistes, le staff Triumph ne fait pas durer le briefing inutilement et nous envoie rapidement sur la piste pour une première session de vingt minutes. Un guide nous montrera les bonnes trajectoires lors des deux premiers tours, ce qui ne sera pas du luxe tant le tracé est compliqué! Le mot est faible.
Portimão est bien plus que cela! J’aurai passé les vingt premières minutes à chercher des repères, à louper mes points de corde et chercher le bon rapport! Heureusement, la Triumph pardonne beaucoup et procure un ressenti de l’avant fort précieux lorsqu’on a d’autres choses en tête. Comme se rappeler si le prochain déclenchement, en aveugle, se fait maintenant où 40 mètres plus loin…
Grâce à son agilité, la Daytona R reste imperturbable lors des manoeuvres désespérées que je réalise pour rester en piste. Au bout de la ligne droite, ayant l’impression d’avoir freiné bien trop tard, me voilà pourtant à une vitesse misérable une fois au point de corde, la moto à peine inclinée. Bon, j’ai au moins trouvé la trajectoire… Les derniers tours me laisseront augurer d’une amélioration pour la deuxième session, le tracé commençant à s’imprimer dans ma mémoire. Je rentre finalement aux stands, déconfit et déjà exténué. Mais admiratif de la Daytona, qui a su se montrer rassurante et vivante malgré cette première session en mode « promenade ».
En deuxième session, je pars le couteau entre les dents, bien décidé à faire mieux! Je disposais d’un modèle équipé de l’échappement Arrow optionnel, bien évidemment déchicané. Le son du trois-cylindres, ainsi magnifié, achevait de me motiver à rester entre 9’000 et 13’000 tours, où la 675 donne le meilleur d’elle-même. La puissance débarque vraiment autour des 11’000 tours, mais le couple présent un peu plus bas me permet de m’extraire plus sereinement des virages et d’ouvrir à fond plus tôt. Je trouve mes marques sur le circuit autant que sur la moto, qui plonge à la corde au moindre appui et qui semble pouvoir pencher à l’infini!
Au niveau des freins, les ingénieurs anglais nous ont promis une amélioration de 10% de la force d’arrêt, grâce aux étriers Brembo monobloc et au maître cylindre radial. Sur ce point, la Dayto’ est en effet bluffante. On peut freiner toujours plus fort, toujours plus tard, elle en redemande presque! La fourche inversée Öhlins NIX30 encaisse les transferts de masse sans broncher, permettant des entrées en courbe à toute vitesse. Si elle se montre facile et rassurante, la 675 R n’en oublie pas pour autant d’être une sportive radicale! Plus vous pilotez correctement, plus elle vous montre que ses limites sont encore loin, en restant sur sa ligne, sans gigoter de l’arrière à l’accélération, sans jamais se montrer floue sur l’angle. Rigide, mais pas trop non plus, elle offre un compromis idéal entre rigueur et facilité: rassurante pour le débutant et très efficace pour les pilotes plus aguerris.
Troisième session, de retour dans la ligne droite des stands. Ce tour-ci, c’est décidé, je ne freine pas avant de passer les 250 compteur!
C’est chose faite et je tire sur le levier de droite, fermement mais progressivement. Magique, la Triumph encaisse la compression et sa roue avant se plante dans le bitume. Je relâche presque aussitôt la pression pour plonger à la corde. Les deux premiers virages sont avalés à toute vitesse avant un gros freinage pour passer la première épingle, le genou effleurant le bord du vibreur! Pas mal! S’ensuit une petite remontée et un gauche rapide, dont on ne voit le point de corde qu’en y arrivant et qui conditionne une grosse accélération jusqu’à une deuxième épingle.
On freine en descente et le point de corde est pris en montée… Compliqué à négocier! On ressort en première avant d’accélérer jusqu’en troisième, sans couper grâce au shifter de série. S’ensuit une plongée dans un droite serré en descente, un pur régal. Puis c’est un nouveau freinage pour attaquer un second droit qui monte sur une bute. A l’accélération, la moto se cabre toute seule, pour mon plus grand plaisir! On redescend ensuite pour négocier une cassure qui conditionne l’entrée d’un droite assez pervers, qu’on déclenche tôt mais dont la corde est très longue à venir. Nouvelle cassure à gauche, négociée gaz en grand, avant de rentrer dans une épingle en légère montée, pas idéale pour placer le regard. S’ensuit un long droite qui remonte une pente et se prend en deux temps, pour finalement rejoindre la ligne droite des stands. Là encore, une petite bute à la sortie du virage occasionne quelques remous dans la direction, à plus de 150km/h… Woah!
En proposant un essai sur le fabuleux Autodromo do Algarve, Triumph a pris le risque de faire oublier sa sportive face à un grand, très grand moment de circuit. Le pari s’est pourtant avéré payant: loin d’oublier la Daytona, on ne peut que louer ses capacités sportives et le plaisir qu’elle procure en piste quelque soit le niveau du pilote. Les Anglais l’ont développée dans ce but: être encore plus adaptée à la piste que la version de base. Une évolution très réussie, donc, pour la petite Anglaise, qui prend une tout autre dimension dans cette configuration R. Idéale pour débuter sérieusement la piste, elle évoluera en même temps que son pilote, lorsque celui-ci se penchera sur les réglages des suspensions Öhlins. Un conseil, si vous craquez pour la belle Anglaise: prévoyez une boîte pour y ranger le support de plaque, les clignotants et la béquille. Avec le pied que vous prendrez sur circuit à son guidon, vous ne risquez pas d’en avoir beaucoup besoin…