Les modèles phares pour 2020 y étaient présentés et proposés à l’essai : ce sont les Street Triple RS, Thruxton RS, Tiger 900, ainsi que les Rocket III R et GT. Nous en avons profité pour jeter notre dévolu sur ces dernières.
Revue des détails : équipement et finition
La Triumph Rocket est née en 2004 et « cubait » à l’époque 2’294 cm3, pour 142 ch à 5’750 trs/min. En soi, cette valeur de puissance n'était pas exceptionnelle mais ce qui l’était (et ce qui l’est encore maintenant…), c’était celle du couple. Débordant, stratosphérique, avec 200 Nm à 2'500 trs/mn. Le plus impressionnant dans tout ça était que 90 % étaient disponibles dès 1’800 trs/min ! Aujourd’hui, posée sur le bord de la falaise, sa descendante fait face à l’Océan. Sereine, confiante, comme un boxeur poids lourd conscient de sa force à la veille de monter sur le ring.
La Rocket reste un monument dans la production motocycliste moderne, une ode à la démesure mécanique. Un truc hors norme, et totalement subversif par les temps qui courent.
En effet, son « big block » cube désormais 2’459 cm3, pour développer 167 ch à 6’000 trs/mn et distillant pas moins de 221 Nm de couple à 2’500 trs/mn, le tout toujours transmis par un cardan. L’équipement est pléthorique et différencié sur les deux motos. Sont en commun sur la R et la GT : assistances électroniques (avec plusieurs modes de conduite, traction control, cruise control, aide au démarrage en côte appelé « Hill Hold Control », etc), système de démarrage sans clef (surtout… ne pas égarer cette dernière…), écran couleur TFT, ABS, freinage couplé avant et arrière… Les poignées chauffantes sont livrées de série sur la GT (inutile de dire que l’on ne s’en est pas servi…). Les étriers avant sont des Brembo Stylema tandis que les pneumatiques sont Avon Cobra Chrome (150 mm à l’avant et 240 mm à l’arrière !).
La nouvelle boîte est désormais à 6 rapports. La version « R » abandonne le petit déflecteur et n’est pas équipée de repose pieds en avant et le sissi-bar. Sur la GT, le guidon est plus cintré et aussi plus rapproché du corps et, surtout, la position est plus « feet forward », comprenez par là « pieds en avant ». A noter enfin que les repose-pieds peuvent être réglés sur deux positions verticales (0 mm/-15 mm) sur la R, contre trois positions horizontales (-25 mm/0 mm/+25 mm) sur la GT. Sur les deux versions, le niveau de finition est à tomber par terre. Un exemple ? Celui des repose-pieds passager, qui disparaissent complètement quand ils sont repliés! L’ensemble est design et totalement intégré à la ligne de la moto.
La version 2020 est allégée de 40 kilos par rapport à celle de 2004. Le travail a été mené sur le cadre, désormais en aluminium, mais aussi sur le moteur, et le réservoir, dont la contenance passe à 18 litres. Au final final, les chiffres sont de 317 et 321 kilos pour les R et GT, respectivement, tous pleins faits.
En résumé, c’est tout simplement le plus gros et le plus coupleux trois-cylindres jamais produit pour une moto de série. Et visuellement, on a juste l’impression que ce moteur hypertrophié déborde dans tous les sens, de tous les côtés. Et que le reste de la moto vient juste s’articuler, se greffer malgré tout hamonieusement autour de cette pièce maîtresse.
Si bien qu’au final, ce « power cruiser » possède un design sublime. Pour les puristes enfin, ce modèle renoue avec le double optique aux phares ronds, que souligne une nouvelle signature visuelle. L’allure générale transpire la puissance, dégage une impression de raffinement et de force brute.
« Sinon, sur la route, ça va ? »
Et ça roule plutôt bien, oui. En fait, c’est plutôt à la chaussée et au pneu arrière qu’il faut poser cette question. Car ils prennent cher avec la masse et le couple de l’engin. En parlent de couple, déjà, à l’arrêt, on peine à rester droit. Car chaque rotation de la poignée de gaz pousse la moto sur son flanc gauche, couple de renversement oblige. Étonnant, et flippant. Et la seule fois que j’ai vu ça c’était quand High Side (l’émission) avait testé le monstrueux Boss Hoss V8 (saison2, épisode6)…
Premier acte : s’installer à bord, garder le transpondeur (la clé) dans une poche – mission : ne pas le perdre. Enjamber est facile avec la R, tandis qu’il faut faire attention au sissy-bar avec la GT. La terre est basse et mes pieds touchent à plat.
Deuxième acte : procédure de départ avec pression sur le bouton et levier d’embrayage tiré – le colosse s’ébroue. Aucune vitre a éclaté, aucune alarme s’est déclenchée, déception… Le gros block a un ralenti feutré, un peu trop peut-être pour une mécanique de 2 500 cm3. Cependant quelques coups de gaz bien sentis trahissent la nature de la bête : c’est bien un tigre qui ronronne au ralenti dans les entrailles de la bête.
Troisième acte : trouver les reposes-pieds. Ils sont situés à des kilomètres, on dirait, loin, loin devant, façon cruiser sur la GT. Ils sont plus près, un peu plus vers la verticale sur la R. Le guidon est large et bien cintré sur les deux versions, celui de la GT revenant plus vers le pilote. Pour grossir le trait, on est sur un cruiser avec la GT et sur un gros roadster avec la R. Première enclenchée, c’est parti.
Problème : je n’ai jamais roulé sur un cruiser, et celui-ci est qualifié de « power cruiser ». Oups.
Je démarre par la GT.
Les premiers hectomètres sont bizarres : les pieds sont tendus, un peu loin, les fesses bien calées sur le rebord postérieur de la selle. La moto est basse et maniable, le large guidon tombe bien. Je trouve assez facilement mes marques et apprends à faire corps avec la moto. Les manœuvres à faible vitesse ne sont pas un pensum, la bête est conciliante.
Nous sortons d’un village et les espaces se libèrent. Que les routes de l’Algarve sont belles ! La petite troupe s’étire entre les somptueux lacets brodés d’eucalyptus.
Le ronronnement feutré se transforme en feulement lourd et caverneux, la GT grimpe dans les tours et se heurte au rupteur, sur les 7’500 tours/min. Oh, ce n’est certes pas explosif, ponctué par un gros kick dans le derrière mais le trois-cylindres pousse velu, de façon continue. Herculéenne. Un bout de ligne et je recolle (un peu) aux furieux de devant. Une rotation de la poignée plus tard et on on se retrouve vite, très vite, propulsé dans un autre espace temps, naviguant à des vitesses inavouables sans même s’en rendre compte. Pas besoin de rétrograder, même si un « pop pop pop » accompagne chaque descente de rapport.
Le couple est gargantuesque, mais délivré avec vigueur et raffinement, sans l’ombre d’une quelconque brutalité. So british.
Pause, et changement de montures : je suis maintenant sur la R. Et commence à comprendre le mode de fonctionnement. Malgré leur gabarit hors norme, les deux Rocket III sont étonnamment à leur aise dans les grandes courbes, ou leur stabilité sans faille et grâce à leur chassis assez rigide. Il convient cependant de bien anticiper les entrées en courbe, décomposer les trajectoires, de les enrouler. D’accompagner le flow et faire corps avec la moto. Avant d’envoyer la grosse patate, en sortie de courbe. La Rocket R virevolte ainsi d’un virage à l’autre, comme une ballerine sous anabolisants.
Les étriers Brembo Stylema pouvant arrêter un super-tanker, le freinage se révèle puissant, endurant, et dosable. La fourche ne plonge pas exagérément, pas de tanguage prononcé. Et des suspensions bien calibrées procurent un confort de bon aloi, tout en absorbant les ondulations de la route et fournissant un bon retour d’informations.
Notre groupe arrive à Almodovar pour la mi-journée. L’ambiance y est printanière. On se pose. Pause et changement de montures.
En résumé
L’expérience vécue à bord des Rocket 2020 reste concentrée autour de leur sublime mécanique. Ce moteur est très raffiné dans sa façon de délivrer couple et puissance. La puissance est suffisante, omni-présente et jamais débordante. Le couple, lui, est monumental et paraît inépuisable. La « R » se mène presque comme un (très) gros roadster. Une énorme main de fer dans un écrin ganté de velours. C’est ma préférée des deux.