
J'arrive au bout de la longue ligne droite, avant le dernier long gauche du circuit d'Aragon. J'exulte en voyant le compteur afficher 198km/h. Une ZX-10R me frôle à une vitesse stratosphérique, avant de planter les freins pour plonger dans la courbe. Je lâche les gaz et je me jette derrière lui. Je n'ai pas freiné. Pas besoin. Je le passe à l'extérieur et je me demande si j'aurais osé faire ça avec une autre moto. Sans doute pas.
Complètement enragé, le pilote de la Kawa me met une valise dans le bout droit des stands. Je m'en fous! Relevant la tête sous le panneau de la ligne d'arrivée, il ne me voit pas fondre sur lui, à nouveau presque à fond de six, pour tout planter à 70 mètres du virage et emmener la R3 à la corde. Je sors le pied comme Rossi, sans doute complètement inutilement. Je m'en fous. Je suis à fond.
Du haut de ses 42 vaillants chevaux, un peu plus grâce à la préparation du YART, la R3 n'a aucun complexe. Elle se paie le luxe de ne rien pardonner. Une imprécision, tout le tour est foutu : on perd de la vitesse dans les 3 virages qui suivent sans pouvoir refaire son retard. La machine de route était une petite école de pilotage. La R3 "Cup" est un véritable coach sportif bien sadique. Elle ne laisse rien passer. Et on aime ça.
Si le moteur peut sembler poussif sur un tracé comme le Motorland Aragon, on apprend à en tirer constamment la quintessence. Coincé entre 9'500 et 12'500 tours, on joue du sélecteur en permanence. Pas de shifter, mais une boîte rapide et qui verrouille heureusement bien. Malgré une ligne Akrapovic complète, le bicylindre de 42 chevaux reste très limité. Sans jamais couper les gaz ni les soulager plus que nécessaire, on reste plutôt soudé à fond dans des sections vraiment incongrues.
Heureusement, le châssis suit le rythme. Les cartouches de fourche Öhlins, réglables, améliorent grandement la précision du train avant ( le Pirelli Diablo Supercorsa SC1 aussi ) et permettent aussi de généreusement solliciter l'étrier avant, doté de plaquettes Brembo et de durits aviation. A l'arrière, l'amortisseur, également de chez Öhlins et tout aussi réglable, fait le travail (tout comme le Supercorsa SC2). On durcira bien vite ce dernier, car la petite Yam' pompe un peu sur certaines compressions.
Légère et facile, la R3 se faufile entre les grosses cylindrées et vient lécher les vibreurs. On repouse constamment ses points de freinage et on relâche de plus en plus tôt pour conserver de la vitesse en courbe. Un mode de pilotage déroutant au début... mais jouissif dès les premières entrées "en catastrophe". Pas de puissance démesurée à gérer, un châssis tellement évident qu'on a l'impression de pouvoir sauver n'importe quoi, n'importe où : on tente des choses avec cette R3 sans même s'en rendre compte.
L'autre aspect essentiel du pilotage qu'exige la R3, c'est la fluidité. Elle n'aime pas être brusquée et le fait savoir à grands mouvements peu agréables. Décomposer ses mouvements tout en gardant une bonne vitesse d'exécution permet de jouer avec le déplacement des masses, très perceptible sur une machine aussi légère. Une fois qu'on sent l'avant rivé au sol, on se sent capable de lui faire faire n'importe quoi.
Trop de brusquerie dans les gestes engendre du mouvement. Le mouvement empêche la conservation de la vitesse idéale et péjore l'accélération. La sanction est immédiate. Dans un BEEEEEUUUUUUU très humiliant, la R3 vous fait constater que vous n'êtes plus dans les hauts-régimes et que vous pouvez sortir les pédales, pendant que vos petits camarades, qui n'en demandaient pas tant, vous déboîtent de tous les côtés. Mais si le geste est bien exécuté... ooooh, là! Votre tour n'est plus qu'une succession de micro-événements, émanant chacun du précédent avec un naturel désarmant et s'emboîtant dans le suivant à la perfection.
Bref, piloter cette R3 Cup peut, d'un tour à l'autre, être une promenade de santé comme un parcours du combattant. Seul avantage : aucune fatigue à déplorer malgré mon manque d'activité sportive ces 6 derniers mois et l'engagement au guidon. Grave inconvénient : la troisième et dernière session touche à sa fin.
Il me faut regagner le box (impressionnant) du YART et descendre de la petite machine, qui m'aura donné de bonnes leçons du haut de ses 42 chevaux. Basique de conception et de préparation, elle se concentre sur l'important. Une bonne pression des pneus. Des réglages fins. Et surtout un pilotage de manuel. La machine idéale pour s'entraîner ou découvrir la compétition, justement.
En discutant avec Robin Mulhauser, ambassadeur romand de la R3 bLU cRU Cup / Switzerland, on se demandait ce qu'une telle petite machine donnerait sur un tracé plus étroit, comme Bresse ou Alès. Ou une piste de karting. Ou un parking. Hem... dites... M.YART? Vous n'auriez pas une petite machine du genre qui traîne, dans un coin?