
Hirofumi Fukunaga, qui s'est battu pour que le premier constructeur mondial cède enfin aux sirènes de la mode néo-rétro, le reconnaît bien volontiers dans la presse spécialisée: En travaillant sur le projet à partir d'un concept bike reprenant la plupart des codes esthétiques de la célèbre CB1100, l'une des Honda les plus iconiques de l'histoire de la moto, son équipe a pourtant rapidement décidé de s'en écarter. "Nous sommes rapidement arrivés à la conclusion qu'il fallait trouver les lignes d'une moto intemporelle, qui plaise qu'elle que soit la mode, et qui ne soit pas une copie de notre passé."
De fait, ceux qui espéraient un gros réservoir rondouillard, des jantes à rayons et les fameux quatre pots d'échappement com-parent la démarche à celle de Triumph pour la Bonneville, et se disaient déçu. Honda pense donc à eux cette année avec une version SA, qui cumule un nouveau bloc compteur, un phare redessiné, des jantes à rayons (mais nécessitant une chambre à air), une selle old school (mais sans doute moins pratique après une averse), un réservoir plus gros et un prix plus coquet : CHF 14'830.- au lieu de CHF 13'200.-, la version de base, prenant trois cents francs pour sa seconde année de commercialisation.
Cependant, pour nous, c’est bien la CB1100 "normale" qui correspond pleinement à la démarche originelle de Honda.
Plusieurs jours en selle permet de s'en persuader: ce que miss CB perd en nostalgie, elle le gagne sur la route. Les ingé-nieurs ont dû se creuser les méninges (et consentir à des coûts de développement importants) pour sortir un haut (le bas, lui, provient de la CB1300) moteur refroidi par air (matez ses somptueuses ailettes, les "plus fines qu'Honda ait jamais construites", dixit encore Fukunaga San) qui respecte les normes antipollution actuelles et privilégie davantage le couple et le plaisir que la performance.
Le V4, autre emblème de la marque, date de 1983 et la caractéristique de Honda, comme le prouve sa très riche histoire en compétition, a toujours été la recherche de l'excellence mécanique. Il fallait ici quitter cette logique, et revenir au quatre-cylindres en ligne, "la" mécanique emblématique de l’industrie nippone que Hirofumi Fukunaga connaît bien puisque depuis sont entrée chez Honda en 1978, 20 des 24 modèles qu’il y a développé en sont équipés. En revanche, une fois installé sur une selle droite et plutôt confortable (même si du côté passager, elle est un peu plus dure), le pilote s'aperçoit vite que le travail sur la partie-cycle ne fait guère de concession (et là on revient au "total control" inscrit dans l'ADN du constructeur) au passé: le poids (247 kilos quand même) s'efface dès les premiers mètres, grâce aussi aux pneus étroit qui offrent une maniabilité à basse vitesse depuis longtemps oubliée sur les grosses cylindrées, le freinage ABS-CBS se montre pleinement actuel, et même si la position détendue invite à la balade détendue bercée par le souffle doux et iné-puisable du quatre-pattes, cette moto peut aussi suivre votre humeur plus énervée: un roulage avec des roadsters affûtés (et leurs pilotes, pas manchos !) type CB1000r l'a prouvé: lorsque ça tournicote, la 1100 reste capable de suivre la jeune génération au coeur d'hypersport. Mais toujours avec cette décontraction qui fait tout le charme de cette machine.
Bref, la CB1100 apparaît bien plus polyvalente que sa classification dans la nouvelle famille des néo-rétros ne le laisserait supposer sur le papier. S'il faut avoir renoncé à tout autre usage que des balades bucoliques et tranquilles avec une Kawasaki W800 ou une Bonneville, la CB offre objectivement un champ d'action plus large. Et, avis plus subjectif, son moteur gorgé d'un couple arrivant de manière linéaire et inépuisable reste pleinement dans l'esprit et la définition du quatre-cylindres japonais, alors que les bicylindre vintage de la Triumph ou de la Kawasaki ont tout de même perdu l'essentiel de leurs sensations et de leur caractère d'autrefois (rendus de toute manière inaccessible à l'époque de l'injection et des normes Euro 3 !). La comparer avec une XJR1300 semble alors plus pertinent: moteur moins démonstratif sans doute, mais aussi consommation un tiers moins élevée (on parle ici d'un peu plus de cinq litres à peine aux cent kilomètres, soit environ la moitié de ce que consommait sa grande soeur dans les années septante !), et surtout partie-cycle bien plus agile (clairement, la Yamaha date sur ce point et paraît camionesque à emmener en comparaison). Mais, au final, il s'agit surtout d'une excellente routière à l'ancienne, emplie d'un charme suranné mais aussi d'un comportement actuel. Voilà sans doute là où réside son charme vintage: rappeler une époque où l'on parlait de belles motocyclettes, tout simplement, et non de segments marketings et de découpage de marchés entre sport-gt, roadsters ou gros trails. Honda a mis tout son savoir-faire pour permettre au motard d'aujourd'hui d'oublier la technologie et les contraintes techniques (tout comme les radars, cette machine n'incitant pas à vous mettre immédiatement hors-la-loi) pour retrouver un peu de cette légèreté et de ces plaisirs simples oubliés.
Honda CB1100 modèle 2013, toujours en vente cette année chez Honda Suisse. 1140 cm3, 4 cylindres en ligne, 4 temps, double ACT et 16 soupapes, refroidi par air et huile. 13'200 francs, en rouge, noir ou blanc.