ESSAI
Cet essai aurait très bien pu ne pas avoir lieu. C’est une succession d’opportunités qui se sont alignées et ont permis cet essai extraordinaire. D’abord il y a l’invitation de EYBIS à participer au roulage au Red Bull Ring. Avec AcidTracks, nous sommes partenaires depuis la saison 2024, c’est une occasion de rencontrer l’équipe, de passer plus de temps avec eux et faire connaissance. Seulement, Spielberg c’est tout un périple pour s’y rendre, il faudrait un peu plus qu’un roulage pour me convaincre de faire le trajet.
Le hasard veut que je raconte cette invitation au responsable du parc des motos d’essai de BMW. Lequel me dit qu’il a ce week-end-là, une M 1000 RR disponible alors que les BMW Motorrad Days ont lieu en même temps. Si le service des relations presse en Suisse donne leur accord et que je récupère la moto chez eux à Munich, je peux l’amener sur circuit. En plus, le chemin le plus rapide pour aller de Suisse Romande au Red Bull Ring passe dans la périphérie de la capitale bavaroise. À croire que je devais essayer cette moto sur un circuit de MotoGP, et durant trois jours, contre les 4 ou 5 sessions qu’on nous octroie habituellement lors d’une présentation.
Moto d’homologation
De 2009 à 2020, BMW engageait une S 1000 RR en Superbike. Sentant qu’ils étaient à la limite, le constructeur a ajouté un modèle plus exclusif à la gamme : la M 1000 RR. Une moto qui n’est pas vraiment faite pour le volume, sa seule raison d’être c’est justifier son utilisation en championnat. Parce qu’elle est au catalogue, STK, SBK, EWC, etc. peuvent s’en servir comme base. C’est aussi ce que fait Ducati avec la Panigale V4 R : un moteur de 999 cm3 pour être éligible contrairement au 1’103 cm3.
La nouvelle M 1000 RR, présentée en octobre 2024, apporte les dernières évolutions nécessaires au modèle pour être plus performante sur les circuits. Alors que la S conserve ses 210 chevaux, BMW en place 218 dans la M RR. Où sont-ils allés chercher 6 chevaux ?
- Taux de compression augmenté de 13.5: à 14.5:1
- Admission et échappement de forme ovale, avec une nouvelle forme de chambre de combustion
- Papillon d’admission de ø 52 mm au lieu de 48 précédemment
- Nouveaux pistons
- Fermées, les soupapes épousent parfaitement leur siège, dont l’angle est ramené à 40° au lieu de 45°
- Nouveau collecteur d’échappement, ligne complète en titane, qui tient compte de la forme ovale des conduits d’échappement
- Boîte à air plus grosse
Le châssis Flex Frame a subi quelques changements au passage, le point d’ancrage haut du moteur côté gauche s’est déplacé de la culasse au bloc moteur. La rigidité dans la zone de l’axe de direction a été optimisée.
Il y a aussi du changement dans l’aérodynamique. Les ailerons à l’avant sont différents, ils apportent 30 kg d’appui sur la roue avant, soit 24.6% d’augmentation comparé au modèle précédent. Le pare-boue avant intègre un nouveau canal d’air pour refroidir les étriers de freins. Les flancs de la moto sont globalement plus larges, un écart plus important peut être observé entre le carénage et les carters moteurs. Vue de face, la M RR fait plus bouffie, tandis que la S est svelte et athlétique. S’ils ont fait ce choix, c’est que c’est plus efficace ainsi.
Sauf pour « avoir la plus chère », pourquoi raisonnablement choisir la M 1000 RR ? On peut mettre des accessoires sur une S 1000 RR pour l’améliorer après tout. En effet, pour un usage loisirs, les 8 chevaux de différence ne changeront pas la face du monde. En revanche, la suspension Marzocchi se règle exclusivement de façon mécanique, elle est dénuée de toute électronique contrairement à la S qui embarque le Dynamic Damping Control. Sur l’amortisseur, on a les réglages usuels (précharge, compression, détente) et en plus une vis excentrique pour changer l’assiette de la moto sans avoir à mettre de cale ou autre.
Le point de pivot de l’axe de bras oscillant peut être abaissé ou élevé de quelques millimètres, mais suffisamment pour modifier l’empattement de la moto. Plus stable à haute vitesse ou plus maniable, à régler en fonction de la piste.
J’ai donc rendez-vous à Munich, où les VIP et les journalistes sont accueillis pour recevoir un véhicule en prêt de BMW. C’est une M 1000 RR blanche, donc sans le kit compétition, qui m’attend. Elle a été préparée pour un usage sur circuit uniquement : les rétroviseurs sont absents et remplacés par des caches Gille Tooling, le support de plaque qui a également les éclairages arrière a été démonté et le trou dans l’arrière obstrué. J’ai des slick Pirelli sur les jantes en carbone et un second jeu de roues, également en carbone avec des ContiRaceAttack 2 Street, au cas où la piste serait séchante. Une fois chargée, je prends la route du Red Bull Ring, à 4h d’ici environ.
Un circuit Moto GP court et rapide
La région de Spielberg, dans le Murtal au centre de l’Autriche, est le théâtre de nombreux changements climatiques chaque fois que la Formule 1 ou la MotoGP s’y installe. Les monoplaces ont quitté les lieux en début de semaine, mais en ce jeudi le démontage de la Energy Station de Red Bull est toujours en cours, ce qui retarde l’accès au paddock. Il faut savoir que le circuit n’est utilisable par les motos que 6 semaines par an. Le reste du temps, il y a de petits bacs à gravier immédiatement derrière le vibreur de certaines sorties de courbe pour décourager les voitures de repousser les limites de piste. Les F1 viennent de partir, le personnel du circuit s’est affairé à changer la configuration de la piste, nous serons les premières motos à rouler en 2025.
La météo pour le vendredi est incertaine, les orages menacent et ont déjà frappé durant l’installation. Pour ne pas bêtement perdre de séance, je préfère installer d’office les pneus rainurés. Je peux voir un peu plus en détail la conception des axes de roues de la BMW. À l’arrière, une douille de 34 est la seule nécessaire pour sortir l’axe. En plus, avec l’étrier en position basse et des guides de chaque côté, la roue reste sagement en place. Un régal pour enlever et remettre la chaîne sans avoir à installer le frein d’une main en tenant la roue de l’autre.
Pour la roue avant, il faut les Torx 50 pour les étriers, 45 pour les pieds de fourche et un 6 pans intérieur de 24. BMW utilise intelligemment la forme de l’axe pour se passer d’entretoise. Comme à l’arrière, on présente facilement la roue sans souhaiter avoir plus de deux mains.
Assez contemplé la M RR, il faut se pencher sur son électronique. Les modes Rain, Road et Dynamic sont relégués pour faire de la place aux modes Race et surtout Race Pro 1, 2 et 3. Une fois compris où ces paramètres sont accessibles, on le fait sans trop réfléchir, mais certainement pas en roulant. Race, c’est le plus extrême proposé clés en main. Avec Race Pro, le pilote peut ajuster ses paramètres et facilement faire des tests comparatifs entre les trois versions, simplement en pressant le bouton Mode du pouce droit en roulant. C’est de cette façon que je me ferai une idée de l’effet de tel ou tel paramètre changé d’un niveau.
Les paramètres à disposition sont les suivants :
- Moteur : admission des gaz plus ou moins directe, avec limitation du couple sur les premiers rapports ou non (5 niveaux).
- Frein moteur : 3 niveaux de frein moteur, 1 est le minimum.
- Motricité : permettre le Slide Assist ou aucun glissement de la roue arrière.
- Wheeling : wheeling haut possible, wheeling maintenu au plus bas pour l’efficacité ou pas de wheeling du tout.
- ABS : intrusif ou réduit au minimum à l’avant et désactivé à l’arrière. Cela conditionne l’utilisation du Brake Slide Assist.
Slide Assist et Brake Slide Assist sont les deux dernières aides introduites avec le capteur d’angle placé sur la direction. J’en avais déjà parlé fin 2022 lors du lancement.
Rapidement prendre ses marques
La piste ouvre à 8h30 et je dois l’emprunter la première fois à 9h00. J’ai déjà roulé ici, mais en voiture et avant l’introduction de la chicane. J’ai fait un mode Race Pro très sage : moteur et ABS repris du mode routier Dynamic. Pour la motricité, les réglages les plus extrêmes (1 et 2) ne sont pas adaptés aux pneus routiers, donc je suis au niveau 3.
Dès que je sors de la pitlane, je suis de nouveau frappé par la pente pour aller à la chicane et au virage 3. C’est la sensation qui nous accompagne durant tout le tour, combien le tracé monte ou descend. Pour un premier roulage, on a été informés de la sortie de piste très particulière pour la pitlane. On se retrouve au ralenti pile à la corde de l’avant-dernier virage. Il s’agit de voir in situ comment il est fait, pour l’emprunter en sécurité en fin de séance. Bien se coller à droite dès le virage précédent et indiquer son intention est primordial.
Grâce à Racebox, j’ai trouvé une session publiée par un autre pilote pour me faire une petite idée des points de freinage et vitesses de passage. C’est un chrono en 1:44, mais je n’ai aucune idée si c’est rapide ou non. Cette première séance, la peur me dicte les points de freinage. Au point où je dois réaccélérer avant chaque virage, surtout ceux en montée. Avec sa selle M, je suis plutôt bien installé sur la M 1000 RR. Comme elle est homologuée avec rétroviseur et plaque, elle est bien plus confortable qu’une moto en poly. Il s’agit maintenant de pousser un peu le curseur des réglages de la moto pour commencer l’essai et la chasse au chrono.
Sans hésiter, je réduis le frein moteur, car j’aime les motos qui conservent leur élan. Je ne serai pas trop perturbé par ce paramètre. Je libère aussi un peu plus le moteur, tout en gardant une limite de couple sur les premières vitesses. Après deux sessions, je fais des tours en 2 minutes ou un peu moins. À la 3e session, je suis plus à l’aise et peux gagner jusqu’à 4 secondes pour tourner en 1:56. Lors de la pause, un gros orage s’abat sur Spielberg, mais la piste sèche incroyablement vite et je peux déjà repartir avec mes pneus sculptés. La réalité me rappelle à l’ordre après un tour et demi : le témoin de réserve m’intimant à vite rejoindre le paddock. Il ne restait que 3.5 litres après 40 minutes en piste, les 218 chevaux ont bon appétit !
Le prochain réglage que je souhaite tester, c’est au niveau du freinage. En Dynamic, la moto envoie de la force de freinage de l’avant vers l’arrière, pas en Race. Arrivé dans Rauch, le virage 4, on vient de prendre plus de 200 km/h et on freine fort, en descente, pour réussir une corde propre qui conditionne le virage 5 qui suit immédiatement. Le feeling du levier est bien différent, rapidement ferme lors des sessions précédentes, il est là plus mou. La force de ma main est envoyée sans filtre aux freins avant. Je dois être plus précis et déployer plus de force si je souhaite être aussi efficace. Cependant, pas de risque de voir l’arrière se lever trop haut, le anti-rear lift est activé.
Dans l’entrée du 6, prudence, c’est le premier gauche depuis la chicane. Le virage est ouvert, on peut prendre beaucoup d’élan dans cette courbe, mais je freine quand même. Depuis le début de la journée, je sens ici l’action d’une nouvelle aide électronique présente sur les S et M 1000 RR. Celle-ci interprète les données de la poignée de gaz et, si elles sont incohérentes en phase de freinage, les ignore. Chaque fois que je lâche le frein ici, j’ai un petit coup d’accélérateur. J’ai fini par comprendre, c’est mon levier de frein trop haut qui m’oblige à lever les doigts et entraine la poignée de gaz vers l’arrière.
Balles neuves
La météo se stabilise pour le week-end, je me dois d’installer les pneus slick. J’ai droit à un SC1 à l’avant et un SC0 à l’arrière, de quoi rêver d’un nouveau record personnel. Avant de faire de la mécanique, j’ai pu signer un 1:54.38 un peu tiré en avant par mes amis d’EYBIS.
Quand je discute avec d’autres pilotes en BMW, ils me disent tous descendre le seuil de déclenchement du DTC avec le bouton dédié. On peut aller de -9 à +9 en fonction du revêtement de la piste, de l’état du pneu, etc. Avec un pneu neuf et tendre comme j’ai, je pourrais en tirer le maximum vers -6 et ne pas risquer de glisser.
Les courbes 5 et 8 sont une vraie torture pour le pneu, on met gaz à fond sur l’angle. Les 218 chevaux maltraitent la gomme pour être le plus rapide possible. Il faut être sûr de ses appuis sur la moto et avoir pleine confiance pour oser mettre la poignée en butée. J’ai progressivement descendu le DTC pour constater combien je perdais avec le contrôle de motricité.
À mesure que j’enchaîne les tours, je prends conscience de combien de temps je passe avec la poignée en butée. Je dirais même que ça me surprend d’oser souder autant avec une moto si puissante. À chaque tour, je passe 4x la barre des 200 km/h. C’est aussi une nouveauté de ce millésime, la poignée à tirage court M installée de série. Il ne faut que 58° de rotation pour atteindre les 100% contre 72° sur le modèle précédent.
Le dernier partiel du circuit est particulièrement spectaculaire, on passe une butte à plus de 200 km/h avant de freiner en descente face à une grande tribune qui domine un dégagement peint en rouge et blanc. Dégagement que je visiterai jusqu’au 20 derniers centimètres avant le bac à graviers. Un peu trop téméraire, j’ai cru avoir trop de vitesse pour prendre le virage. Une grosse frayeur, mais pas de mal. Ce virage sous la pub « Servus TV » accepte beaucoup de vitesses en entrée , mais il faut à nouveau freiner en descente avant le dernier virage. Le relief est à couper le souffle quand on voit la topographie des lieux, en se jetant dans la ligne droite des stands.
Bien caché derrière la grande bulle ronde de la M RR, je fonce à 250 km/h vers le premier virage. La montée est improbable, tellement lissée par les caméras de télévision. Le relief cache la sortie de courbe, donc j’avais tendance à entrer trop lentement. Au fil des tours, j’ai pris confiance et sortais de plus en plus large, allant sur le vibreur et sentant même la roue avant chercher le ciel à l’accélération. Mais, par deux fois, j’ai emprunté le long lap peint au sol, car je me surestimais au freinage. Heureusement, ici ça pardonne.
Après le dépassement d’un pilote qui entrait en piste, j’ai encore surestimé mon freinage à l’approche de la chicane. Là, pas de dégagement, j’ai fini dans les graviers. J’ai eu très peur pour les jantes en carbone, fort heureusement je n’avais presque plus de vitesse et suis entré au ralenti dans le bac. Le niveau de sécurité sur ce circuit est élevé, deux commissaires ont immédiatement accouru pour m’aider à sortir. Aucune trace sur la moto, j’ai vraiment eu chaud.
Le SC0 n’aura pas rempli toute sa mission, je devais attendre la dernière session de chaque journée pour encore un peu améliorer mon chrono : 1:53.33 le samedi, 1:53.43 dimanche. Le sommet de la courbe de performance du pneu était passé depuis longtemps.
Après quelques freinages ratés, je n’ai plus osé baisser encore le niveau d’ABS Race dans mes réglages. J’ai encore réduit le frein moteur, mais il devenait pratiquement inexistant et ça devenait presque flippant. J’aurais beaucoup aimé mettre en pratique le Slide Assist et le Brake Slide Assist, là c’est mon cerveau qui refusait de céder le contrôle à la moto. Pour moi une glissade se finit au sol alors qu’en pratique ce n’est pas forcément le cas. C’est clairement une limite à mon pilotage. D’un point de vue général, une moto à CHF 33’700 que je dois ramener n’aide pas à se lâcher.
L’arsenal d’aides au pilotage est impressionnant, mais c’est surtout le cas de cette moto qui pourrait repartir par la route si j’avais les clignos/rétros et que je remplaçais les slick. Solide performance pour une moto à peine sortie de la concession. J’aurais sincèrement aimé essayer les commandes reculées qui sont dans le pack compétition, mais la moto devient noire avec tout un tas de carbone. Ne reste qu’à prendre des repose-pieds comme accessoires après la livraison. Comme il faudra ajouter une protection de radiateur : les deux sont très exposés et déjà bien marqués en seulement 1765km. Avant ce test, la moto avait 1280 km, je l’ai rendue avec 485 km de plus, exclusivement sur piste. Sans le témoin de réserve j’aurais pu faire les 500.
Tout ceci est-il vraiment nécessaire ? Évidemment non, mais c’est tellement satisfaisant d’emmener cette M RR sur la piste, de l’admirer dans le paddock et en photo. Elle a d’évidents atouts pour performer en championnat, mais aussi pour simplement se faire plaisir. Les aides électroniques sont présentes aussi sur la S, toutefois elles n’ont définitivement pas le même look. Tellement de regrets d’avoir à rendre une machine aussi extraordinaire, je m’y étais attaché en trois jours.
GALERIE
BILAN
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Des aides qu'il faut appréhender, mais terriblement efficaces
Un look ravageur en blanc
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Une clé c'est fiable, inutile d'y mettre un transpondeur
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1 seule option à 8'000.- qui oblige de l'avoir en noir
Pas de mode Enduro Pro (oops !)