C’est au guidon de la Speed Twin 2021 prêtée par Triumph Suisse que j’arrive à Süderen, au départ de la route du Schallenberg Pass, après une journée de réunion à Berne. La route est fermée, je baragouine quelque chose comme « Akkreditation », et « Pass » pour voir le gardien du temple esquisser un sourire, puis opiner du chef et m’ouvrir le passage tant convoité. Je suis arrivé à destination claqué mais un brin excité.
Flashback.
Je me disais que vouloir sortir de la Capitale un vendredi fin d’après-midi relève soit de l’Inconscience soit de la Folie, ou des deux... Mais ça se passe dans le calme des gens résignés. L’Ostring roulait au ralenti et les travaux, omniprésents, n’ont rien arrangé à la chose. Trafic chaotique, rythme en accordéon, et patience en dents de scie… Puis, d’un seul coup, la circulation est devenue fluide, et la vue s’est dégagée. Il fait chaud. Tous les zips du blouson sont ouverts, et là, il faut impérativement que ça roule, faut que ça ventile. « 60 » puis « 80 » puis « 100 », pour finir à un bon vieux « 120 », c'est la valse des chiffres et les limitations s’égrènent et remontent, tandis que le martèlement du Twin devient plus enjoué, plus affirmé. Je retrouve ce timbre de voix qui m’a fait tant vibrer lors de son essai en juillet, au Portugal. Mais ici point d’océan, point de senteurs d’eucalyptus mais des sommets, multiples et encore enneigés, et des flancs de montagnes, verts et abrupts. Et de ci et de là, du vert encore plus profond mais déjà les couleurs de l’automne pointent le bout de leurs pigments.
Bientôt Thoune, il est temps de quitter l’autoroute. La route reste encore encombrée, puis elle tournicote gentiment. Ensuite elle enroule même franchement, au milieu de paysages somptueux et baignée par une lumière de dingue. Je suis fatigué par la journée de travail et le trajet du matin, dans le froid et le brouillard, mais reste hypnotisé par la beauté de la route choisie. Par moment, pénètre dans le casque l’odeur envoûtante de l’herbe fraîchement coupée. Et j’avoue que cela vaut tous les eucalyptus du monde ! Et, parfois même, les machines agricoles sont encore à l’œuvre dans l’anticipation d’un hiver qui peut se révéler blanc et rigoureux. C’est un spectacle reposant. Fascinant. Un théâtre de la vie rurale, déterminé et millénaire.
Bref, lorsque je franchis le Rubicon tant convoité et parvient au poste administratif, Jean-Luc m’aperçoit et m’interpelle. L’administrateur du Swiss Moto Legend Trophy était déjà affairé, et bien stressé. Pilote, directeur de course, chaperon (pour moi), l’homme-orchestre, avec ses multiples casquettes, ne va pas chômer de tout le weekend. Quasiment tout le monde était déjà là, ou presque. Parfois depuis le Jeudi soir…
Les contrôles techniques et l’administratif battaient leur plein.
Les mégaphones des machines d’antan faisaient retentir leurs chants d’airain, qui mettent à mal les tympans et rendraient sourds tous les sonomètres du monde. Accréditations « Journalist » autour du cou, je circule dans les allées et fais un petit tour dans le paddock/village, pour finalement m’apercevoir que quasiment toutes les architectures moteur étaient présentes, de presque toutes les époques, comme autant de preuves de ces périodes de foisonnement et d’expérimentation débridée. Dans cette veine historique, je me dis que le martèlement de ce twin de 1200 cm3 fait parfaitement sens. Et ce son de son gros bicylindre fera dresser plus d'une oreille durant ce weekend.
Le tout se déroule dans des valses à deux et quatre temps. Et à deux, trois et quatre roues. Des machines rutilantes, comme autant de témoins roulants de notre passion.
Sous un barnum, on entamait l’apéro sous les rires et dans la joie de se retrouver. Sous un autre, un peu plus loin, l’ambiance était plus studieuse et l’on fignolait les derniers réglages ou contrôlait les dernières fois les serrages de vis. Des rires, l’odeur et le « wiiiiin » du 2-temps, une belle ambiance décontractée d’arrière-saison. Ah, la fameuse magie des apéros… Toujours s’en méfier… C’est ainsi que lors de la manche de Marchaux, dans la Doubs (France), qu’on se donnait ainsi rendez-vous à la suivante, celle de Frangy, en Haute-Savoie (F), pour finalement se retrouver au Schallenberg Classic. Ces trois événements/épreuves ont la particularité d’héberger le championnat SMLT. Jean-Luc me glisse peu après Frangy que tout était arrangé pour la Schallenberg Classic, en me confirmant que je monterai avec lui rechercher les pilotes après leurs runs et leur série. J'avoue avoir eu comme un petit (euphémisme!) pincement au ventre à ce moment précis.
Justement, les habitués du SMLT, ainsi que ceux des courses de côte ont répondu présents : Christian Ronchi, Cédric Meylan, Laurent Gaberrel, Jean-Daniel Schneiter, Olivier Chabloz, Séverine Gothuey, Olivier Audetat, Serge Gasser, Jean-Marie Gerber, Nicolas Baumgartner, Willi Sigrist, Claude Volet, les frères Seiler, les Baer père et fils, et pardon à ceux et celles que j’ai oublié(e)s, sans omettre les nombreuses stars locales qui mettent du gros gaz, à l’instar de Bruno Kernen.
Je récupère Jean-Luc, et on monte justement à la rencontre de Bruno… N’ayant pas l’habitude de passager, je décompose au maximum les mouvements, les freinages et les changements de vitesse pour être le plus coulé possible. Résultat : on monte sur un rythme tortuesque ou touriste trop bouffi (!). Mais cela permet de vraiment imprimer le tracé. Et… Pu...rée. La vache, quel tracé ! Technique, aérien, voire vertigineux, parfois délicat, sans jamais être traître et vouloir vous satelliser. Mais sélectif, fort en sensations et haut en dénivelé. Avec des endroits où il ne faut pas se rater, comme au niveau de ce gauche serré après la ligne d’arrivée.
On arrive au restaurant de Bruno. La route d’accès est fermée, les bénévoles sont déjà à l’œuvre. On discute avec le patron. Les motards sont là, en force – grâce à une météo clémente, bar et restaurant étaient pleins à craquer. Il y règne cependant une ambiance assez bon enfant, détendue mais respectueuse.
Puis je redescends Jean-Luc et regagne mon hôtel, qui est situé à Marbach, de l’autre côté de la vallée. Donc pour cela, reprendre l’entièreté du tracé, sur une route fermée… Et, yess, j’ai le parcours pour moi tout seul. La beauté du site, la fluidité du tracé, les parties délicates comme ce gauche serré et humide, me sautent aux yeux. Le Twin gronde, vocifère, et ses martèlements rageurs résonnent dans la vallée. Et moi, je jubile. Arrivé en haut, on me laisse passer, avec un grand sourire. Et yess, j’avais encore la banane sous le casque lorsque je parviens à l’hôtel…
En totalité, il sera donné plus de 1200 départs sur le week-end et pas d’accident… Mais on y reviendra dans la deuxième partie.
À suivre.