Marc m’envoie un message me demandant quels sont mes temps à Magny-Cours. Son coéquipier pour les 500 miles de Magny-cours 2014 s’est malheureusement cassé la clavicule lors d’un entrainement. Whoao !!!! C’est à moi qu’il a pensé. Je suis super flatté mais je reste sur la réserve… Je roule entre 1’58 et 2’00 mais honnêtement, j’ai un peu peur de me lancer là dedans, peur de ne pas avoir le niveau et de passer pour une brèle…
Après que l’on se soit échangé quelques messages et après que j’ai pris conseil auprès de ma chérie Caro, c’est OK, j’accepte. J’ai 800'000 questions dans la tête ! Je ne poserais à Marc que les questions concernant l’organisation et le matériel. Nous serons 2 pilotes sur une moto (pas en même temps hein !). Sacré défi !
De mon côté, je repars rouler à Magny-Cours une journée histoire de m’entrainer. Cette journée confirmera mes temps fluctuants entre 1’58 et 2’00. Nous nous retrouverons également sur le circuit du Lédenon où, lors de la dernière session, je ferais connaissance avec la S1000RR de Marc.
Quelques jours avant le grand départ, j’organise une petite grillade à la maison avec le Team AcidMoto. Deux éléments de l’équipe ont un contretemps et ils ne pourront pas être là. Ni ce soir là, ni pour la course. Mon grand ami Zed sera notre seul soutien avec ma chérie qui nous rejoindra le vendredi soir. Je ne dis rien mais je stresse à mort !! Je me demande comment gérer les ravitaillements, les changements de roues et tout le reste avec un si petit team.
Jeudi 24 juillet, 14h00, nous nous retrouvons tous les trois chez Marc et c’est parti. Nous chargeons le fourgon AcidMoto et nous partons pour la Nièvre et sa météo légendaire. Sur place, nous rejoignons les « Ducat’boys », le team qui partagera notre box tout au long du weekend. Précisons également que ce sont des amis de Marc. Trois Panigale (une S et deux R) tiendront donc compagnie à notre teutonne N°78, genre de box de rêve.
Une fois tout installé, je prends un peu de recul, et, devant ce box N°20, je réalise que j’y suis. Les 500 miles… J’en avais parlé, rêvé et là, j’y étais… petite charge d’émotion et de stress. D’autant qu’il y a des têtes que l’on connait qui viennent nous saluer, comme les frères Labarthe. Des pilotes qui, en temps normal me coachent sont là, à me demander si ça va aller pour la course. Nous serons dans la même catégorie qu’eux… Dans ma tête résonne pour la première fois du weekend une phrase qui reviendra de temps à autres : « qu’est-ce que je fous là ??? »
Ce soir là, une bonne charbonnade me fera oublier mon stress. Les bonnes rigolades que nous partageons ensemble aident également. Nous dormirons tous les trois dans le box et la palme du premier endormi qui ronfle reviendra à Zed.
Vendredi 25 juillet, nous nous réveillons relativement tôt. Marc et moi finissons les formalités administratives pendant que Zed part faire son footing, soit trois tours du tracé nivernais. Nous apprendrons que les essais libres du matin sont annulés. Le virage du Château-d’Eau est inroulable et il est en train d’être re-surfacé. Nous n’aurons qu’une seule séance d’essais libres mais qui durera de 13h00 à 16h30 !
Un dernier petit briefing avant de prendre la piste à 13h00 nous apprendra que malgré les travaux effectués, la trajectoire du virage du Château-d’Eau doit être modifiée. Il faudra contourner le point de corde relativement loin dans le virage sous peine de se mettre par terre, faute de grip.
Je monte le premier sur la moto de Marc. Elle vaut bien la peine d’être présentée. C’est une superbe S1000RR de 2013. Elle est équipée d’un superbe ensemble amortisseur et fourche BiTubo qui devrait la rendre plus stable dans les phases difficiles. Pour le grip, nous ferons confiance aux excellents slicks Pirelli Diablo Superbike en gomme SC2.
Premiers tours de roues, premiers tours de piste. Zed m’annonce que je roule en 2’01. Je rentre. Cet avion de chasse est totalement différent de ma moto, d’habitude je roule sur une RSV4, et je suis presque choqué de la façon dont elle plonge à la corde. L’accélération, progressive dans un premier temps devient démoniaque ensuite. C’est presque jouissif. Cela me vaudra d’ailleurs quelques très beaux wheelings… Sur ces premiers tours de roues, je n’aurais pas encore l’occasion de ressentir le travail des BiTubo ni de l’électronique. Marc part rouler à son tour et il est bien. Il fait plusieurs tours en 1’58 – 1’57.
Je reprends la moto et m’engage sur la pitlane bien décidé à descendre sous les 2’00. C’est rapidement chose faite. J’enquille les tours plus ou moins régulièrement en variant mes temps entre 1’58, 1’59 et 2’00.
C’est là qu’arrivera le premier incident du weekend. Dans le droite du virage du Lycée, mon slider se bloque dans le vibreur. Je ressens une douleur à l’abducteur droit, et surtout, je sens l’arrière de la moto se dérober. Le genou ainsi « planté » dans le vibreur fait office de point de rotation pour la moto et je chute. Doucement, mais le cale-pied droit est cassé. Je suis dépité. Je m’en veux.
En rentrant au box, Marc et Zed auront les mots pour me réconforter et on attaque les réparations. La moto sera prête pour ma première séance qualif mais Marc n’a pas pu faire sa première qualif. Et le demi-guidon droit est légèrement tordu. On le changera plus tard, il faut partir. Je roule la boule au ventre et je n’arrive pas à me libérer. Je suis tendu, je roule avec les bras.
Lorsque Marc part faire sa séance qualif, c’est la libération pour moi. Il l’a fait. Un bon temps. Je n’ai plus qu’à imiter celui qui m’a fait confiance et me qualifier correctement. Pour lui, pour Zed. Ce dernier me panneautera en 1’57. Ca y est, je retrouve le sourire. Lors de mon dernier tour, je rentre dans la chicane du Nurburgring et, à la ré-accélération, je sens l’arrière qui se dérobe et qui raccroche. Dans le même temps, le pilote devant moi tire tout droit alors que devant lui, on assiste à une chute. Qu’est-ce qui se passe ? Je n’ai pas le temps de finir mon raisonnement que la pluie s’abat sur moi. Ouf… il était moins une ! Je rentre au box tout doucement et on peut changer ce bracelet droit. Ma chérie nous rejoint à ce moment. Ca me fait du bien.
On partira plus tard pour les essais de nuit. A nouveau, un léger pic de stress et d’excitation. Je n’ai jamais roulé de nuit sur circuit. Marc part le premier et il revient enchanté : « C’est génial !!! »
« Bon, ben… y’a plus qu’à ! » comme on dit. Les repères sont plus durs à voir et ceux qui sont au sol ne sont plus visibles. Je raterais justement mon repère de freinage à l’entrée du 180. J’arrive à m’arrêter sans souci. Cela me fait comprendre que je peux y aller sans arrière-pensée. La suite n’est que plaisir, adrénaline et sensations jusqu’alors inconnues. Mes repères sont maintenant trouvés. La sensation de vitesse, la lumière, cet éclair qui déchire le ciel alors que je prends les freins à Adélaïde… c’est magnifique, sensationnel.
C’est maintenant l’heure des qualifs de nuit. Marcouille se qualifie sans souci en 2’01 et je ferais la même chose. JOB DONE !!! Le plus impressionnant, c’est que j’ai réellement eu l’impression de rouler « tranquille », sans forcer. Mon objectif était d’assurer et c’est chose faite.
Ce soir là, ca sera un bon gueuleton avec l’équipe des Ducat’boys. Une équipe vraiment sympa que j’ai appris à connaitre tout au long du weekend. Et au moment de se coucher la palme du premier endormi qui ronfle reviendra cette fois à Marc. J’ai beau être crevé, le stress m’empêche de fermer les yeux tout de suite.
Samedi… c’est ce soir que la course commence. La journée est calme avec deux warm’ up. Je ferais le mien l’après-midi après avoir mangé. Mais surtout après la sieste. Mauvaise idée. Je ne suis pas assez réveillé sur la moto, je me sens pataud et peine à la faire tourner. Les temps ne sont pas bons. Hé oui, même avec 200 chevaux, une bonne moto n’avance pas si c’est un âne qui la pilote !!!
Zed nous change les roues et les plaquettes de la BM. Marc prendra le départ avec des balles neuves. Alors qu’il part pour son tour de chauffe, Zed se prépare. C’est lui qui tiendra la moto pour le départ type 24 heures. De mon côté, le stress atteint son pic maximal. Je rejoins ma chérie dans les tribunes en face de la ligne droite des stands pour assister au départ et immortaliser ce moment.
« Qu’est ce que je fous là ??? »
Le départ… je ne pense malheureusement pas trouver les mots pour décrire l’émotion qu’il a créé en moi. Lorsque je vois Marc courir vers la moto, Zed essayer de pousser la machine pour lui faire gagner du temps, j’ai le souffle coupé et le cœur qui bat à 13'000 tour/ min. Le départ est splendide. Une vingtaines de places sont gagnées à ce moment là… L’émotion est forte, j’ai la boule au ventre et la gorge serrée. Il faut le vivre pour le comprendre.
« Qu’est ce que je fous là ??? »
Je pars au box pour enfiler ma combi et attendre mon tour. Je suis stressé, j’ai soif, j’ai envie de faire pipi (hé oui, celui de la peur…), j’ai re-soif. Je me repasse le tracé dans la tête alors que je vois à l’écran que Marc fait son meilleur temps sur le tracé nivernais (1’54). Je me dis que je n’ai pas le niveau et que je vais foirer la course de Marc.
« Qu’est ce que je fous là ??? »
Je dois avouer que mon partenaire du moment s’appelle « Rescue ». Ca calme, ça fait du bien. Zed et Caro m’annoncent que je vais partir. Mes premiers tours de roues pour la course des 500 miles…
Marc descend de la moto après un relais d’un peu plus de 40 minutes, euphorique. « C’est génial ! Fais-toi plaisir! » Zed fait le plein de la machine et je pars, concentré comme jamais. Dans la pitlane, le feu rouge s’allume et on annonce un safety car. J’éteins le moteur, je pense aux pneus qui refroidissent.
« Qu’est ce que je fous là ??? »
« Ok les gars allez-y doucement ! » La voix du commissaire de piste me sort de mes pensées. J’enquillerais 4 tours derrière le safety car. A la chicane d’Imola, les feux de la voiture s’éteignent. Ce qui veut dire que la course repart au prochain passage dans la ligne droite des stands. Je participe alors à un vrai départ lancé. Les moteurs hurlent, les dépassements sont serrés. Je n’arrive pas à prendre le rythme. Je me cale dans la roue de la moto qui me devance pendant deux tours.
Si le chrono ne ment pas, le panneautage est cruel. Je vois Zed qui m’annonce que je suis en 2’01… Dans le virage d’Estoril, je me déporte sur la gauche en faisant l’extérieur à la moto qui se trouve devant moi puis j’accélère franchement. Je sens l’arrière de la moto qui travaille, l’électronique qui se met en branle. La roue avant déleste légèrement. Là, je sais que je suis bien sorti de mon virage. Je descends alors mes chronos jusqu’à trouver mon rythme de croisière en 1’57. Je ferais même quelques descentes en ’56. Zed et/ou Caro seront là, à chaque tour pour m’indiquer mes temps et surveiller mon passage devant les stands. La moto est super stable. Enfin, je ressens la moto. Je veux dire que je ressens le travail des BiTubo, de l’électronique, des pneus, je ressens la horde de chevaux qui me propulse à chaque accélération… et c’est bon !!!
Plus tard, alors que la jauge d’essence m’indique je suis sur la réserve, je rentre au stand. Je suis heureux, fatigué mais heureux. Une tape dans le dos de Marc et Zed a déjà fait le plein de la moto. Put… il est bon. Il se démène pour que tout aille pour le mieux. Marcouille repart alors pour son relai.
Je prends le temps de beaucoup boire, de manger un peu et de me détendre. La moto N°78 est réglée comme un coucou suisse et enchaine les tours avec une régularité rassurante. Plus besoin de rescue. Je regarde autour de moi, je vois Zed qui court dans tous les sens, Caro qui se tient les mains devant l’écran des temps et Marc qui roule.
« Qu’est ce que je fous là ??? » Non, maintenant, je sais ce que je fous là. Je suis là pour cette aventure et surtout pour ces trois personnes qui, chacune à sa façon, veille au bon déroulement de ma course. Pour marc, qui m’a fait confiance, qui me met sa moto dans les mains sans crainte, pour Caro qui stresse, qui me soutient dans ma démarche malgré les craintes légitimes que cela apporte et pour Zed qui meurt d’envie de rouler et qui se démène pour nous au panneautage, à la mécanique, à l’essence. Maintenant, c’est pour eux que je roule !
« Ho Steve, ça va être à toi » C’est reparti. Marc arrive et en accord avec Zed, je fais le plein. Lui change la roue arrière à une vitesse hallucinante. Je repars avec un pneu neuf pour ce qui devrait être notre dernier relai de jour. Immédiatement, je retrouve le rythme et je suis régulier en 1’57. Je prends du plaisir et découvre encore d’autres sensations. Les dépassements que j’effectue maintenant sont propres, je n’appréhende plus les dépassements que je subis. Les quelques passes d’armes que je me suis offertes sont magnifiques. On se touchera involontairement avec un pilote lors du freinage à Adélaïde. Il s’excuse maintes fois en roulant et je ne lui en veux pas.
Le soleil se couche et je découvre un soleil couchant orangé qui s’ouvre à moi à chaque fois que je suis dans la descente du Lycée. C’est la première fois de ma vie que je contemple un coucher de soleil aussi beau en slick à plus de 200 km/h. C’est aussi ça les 500 miles.
Quelques tours plus tard, alors que je prends mon virage du Lycée, je sens soudainement un gros choc accompagné d’un bruit sourd. Je suis projeté et, dans la même seconde je glisse avec mon pied gauche coincé sous le sabot de la S1000RR. Je comprends que j’ai été percuté. Mon pied se dégage et je prends un gros coup dans le dos. Une moto orange glisse alors à coté de moi. La moto du pilote qui m’a percuté une première fois m’en voulait vraiment puisque c’est elle qui me tapait le dos une seconde fois.
Roulé boulé pour Steve. Je me relève dès que je peux, mais je ne tiens pas sur mes jambes et je suis à nouveau par terre. Je suis sonné. Assis, je vois l’autre pilote qui relève sa CBR orange frappée du numéro 39 reprendre sa moto et repartir. Je suis dégouté. Un commissaire de piste vient vers moi, m’aide à relever la moto et à la mettre à l’abri. Là il me dit « il t’a percuté comme un enc… ! il le prend jamais son virage à cette vitesse ! »
Cela ne me réconforte pas et je n’ai qu’une chose en tête. Repartir. Pour Marc, pour Zed et pour Caro. La moto démarre. Il lui manque un cale pied. Pas grave, on trouvera ! Le réservoir est endommagé. Il n’est pas percé, on peut finir !
Mais l’araignée a sacrément morflé et là, j’ai peur que la course soit terminée. Je ramène la BM au box N°20. J’aperçois la moto qui m’a percutée. Mon sang ne fait qu’un tour. Je donne mon casque à Caro et me précipite vers le box de l’équipe 39. Pas pour en découdre, on n’est pas là pour ça. Mais pour comprendre. Le comportement antisportif de cette équipe ne mérite pas que j’en parle. Je ne veux pas donner de crédit à des gens comme eux.
Je rentre alors au box. Marc me dit que c’est fini, que ce n’est pas ma faute. Je m’excuse. Je m’en veux énormément.
Trop pour moi. Les émotions et sentiments se mélangent alors et je ne peux pas les comprendre, encore moins les maîtriser. Je pars m’isoler pour me calmer et je me rends compte que je pleure.
A l’heure où j’écris ces lignes, mon sentiment n’a pas changé. Ce n’est pas juste. On ne devait pas finir la course comme ça. Chacun leur tour, Caro, Zed et Marc me réconforteront, avec plus ou moins de succès. José, le père du très excellent Seb Fraga, me parlera alors en compétiteur et m’expliquera que la course, c’est aussi accepter la défaite, même quand ce n’est pas notre faute… Il a raison. Mais j’ai quand même les boules. Je me sens fautif. Je me surprends même à m’excuser auprès de notre monture. Elle méritait mieux.
Il ne nous reste plus qu’à boire une (des) bière(s) et à assister en spectateur à la magnifique victoire des frères Labarthe. A la remise des trophées, on se rend compte que nous avions la seconde place sur le podium dans notre catégorie. Les boules… à nouveau.
Nous finirons la soirée avec les Ducat’boys pour qui tout s’est bien passé. Bravo à eux et à tous les teams qui auront participé à cette édition 2014 des 500 miles. Une demi-meule de raclette pour fêter cette fin de course puis nous nous coucherons. Je rêverais à maintes reprises de cette chute qui a mis fin à notre course.
Le lendemain, sur le retour, nous discutons de tout, de rien, de la course. Si cette chute m’a laissé un gout amer de « vengeance », le reste de la course m’a énormément appris. Au point de vue du pilotage, du ressenti. Et ces émotions ressenties pour le team AcidMoto cette année me font dire que tôt ou tard, je participerais à nouveau à cette course. Nous nous séparons devant chez Marc après avoir vidé le fourgon. Là je ressens comme un vide. L’aventure est terminée.
Toutes ces émotions, ce partage, cet échange vécus pendant les 500 miles me font dire MERCI.
Merci à AcidMoto pour leur soutien.
Merci à Marc, pour sa confiance, son calme, ses mots.
Merci à Zed pour le travail titanesque qu’il a fait sur place.
Merci à ma chérie pour son soutien.
Sans vous, cette aventure n’aurait jamais été aussi belle.
Une fois encore, MERCI.
Steve, un heureux lecteur.