
D’emblée je noue une relation toute particulière avec cette moto que je lorgne dans le garage de mon père du haut de mes 5 ans ! Non seulement elle me fait rêver mais elle devient ma première figure de référence dans mes connaissances moto. Autant vous dire que lorsque j’ai eu 18 ans, je ne me suis pas fait prier quand j’ai pu enfin prendre son guidon ! Mon père me met toutefois en garde : elle ne freine pas, elle se tortille dans les virages et elle est particulièrement lourde comparée à nos motos modernes. En d’autres termes je dois y aller prudemment. J’accepte ses conditions, j’enfile mon plus bel équipement. Et hop, c’est parti !
Le réservoir rouge candy en “goutte d’eau” et la pureté de ses lignes me plaisent. Des chromes partout, des jantes à rayons, le phare ainsi que les clignotants parfaitement ronds : un look inimitable ! La selle digne d’un canapé de cuir vintage, moelleuse et très confortable. Le guidon est haut, la posture droite, si bien qu’on y resterait des heures. On est à des années-lumière d’un streetfighter, côté confort.
Surprise : à l’heure du keyless, je ne suis pas initié au rituel de démarrage des années 70. Marche à suivre : ouvrir le robinet d’essence sous le réservoir à droite. Pour rappel, la CB 750 a un carter à sec avec réservoir d’huile séparé. Il faut donc mettre 2 ou 3 coups de kicks avant contact afin de mettre sous pression le circuit de lubrification et remplir les cuves. Ouvrir le chock à fond, à la droite des carbus. En longeant le réservoir de la main gauche, chercher la clé et mettre le contact. Enfin, mettre un très léger filet de gaz et presser le bouton démarreur. Moteur ! Tout de suite, le son caractéristique des 4 sorties d’échappements HM300 vous rugit dans les oreilles : quelle musique !
Le moteur m’impressionne vraiment par sa rondeur et son onctuosité. Du Honda tout craché, en somme. La grand-mère en a décidément encore dans le ventre ! Les 4 sorties d’échappement rugissent dans un son envoûtant. Après quelques minutes à son guidon, je constate en revanche que la moto ne freine quasiment pas de l’avant malgré son frein à disque hydraulique, parmi les premiers pour une moto de série. Le frein arrière à tambour est quant à lui plutôt bon, et heureusement !
Je dois donc anticiper deux fois plus que sur une machine moderne, que ce soit la vitesse d’entrée dans un virage, l’arrivée d’un rond-point ou les distances avec les véhicules environnants. Malgré tout, l’accélération est très satisfaisante de 4'000 à 7'500 trs/min. Au-delà, inutile de titiller la zone rouge entre 8'500 et 9'200 trs/min. Nettement moins engageante est la partie cycle. Il y a même de quoi prendre peur en regardant la fourche qui a davantage sa place sur un vélo que sur une moto d’un quart de tonne. Mon père ne se trompait donc pas en me disant qu’elle se tortillait dans les virages et il m’est compliqué de faire pleinement confiance aux Dunlop K81 chaussant la belle en dépit de leur confection moderne. J’ose à peine imaginer sa tenue de route avec des pneus d’époque. Bref, autres temps, autres mœurs !
Finalement, la CB avec ses 67 chevaux a beau avoir 51 ans, elle continue à faire honneur à sa réputation de première superbike en offrant un plaisir de conduite qui ne ressemble en rien à nos motos modernes.
Pour rappel, la 750 four et son 4 cylindres en ligne 4 temps fait figure d’épouvantail à sa sortie en 69, dans un marché moto archi-dominé par les bicylindres de conception anglaise. Avec un prix accessible, une fiabilité au-dessus de la moyenne et ses 2 cylindres supplémentaires, elle va porter un coup de massue aux marques européennes qui étaient en tête du marché mondial. Très vite elle remporte des courses majeures comme le Bol d’or en 69 et les 200 miles de Daytona en 70. Présente au catalogue Honda entre 1969 et 1977 elle s’écoulera au nombre impressionnant de 553’100 exemplaires !