
Et quel jouet ! Les petits virages entre Buena Vista del Norte et Masca, à l'ouest de l'île, entre falaises acérées et ravins défoncés, s'enchaînent frénétiquement sous les roues de nos montures. Le sable du sahara, flottant dans l'air de l'île et créant une sorte de smog, se soulève en volutes derrière les machines qui me précèdent. Malgré tout, le rythme est endiablé et Baby Tracer virevolte sans répit. Mon solide petit déjeuner s'accroche comme il peut alors que les cale-pieds rayent l'asphalte au grip hallucinant malgré le sable omniprésent. Je profite du couple inouï du fameux CP2 pour rouler sur le troisième rapport malgré des épingles très serrées, négociées presque à l'arrêt.
Merveille de vivacité, malgré un empattement rallongé de 6 centimètres, la Tracer 700 pivote d'un battement de cil et s'arrache vivement du virage sitôt la poignée essorée. Dépourvue de contrôle de traction, dont elle se passe très bien, la petite routière Yam' profite de l'excellente motricité du Michelin Pilot Road 4 pour fondre sur le virage suivant, qui se trouve en moyenne 4 mètres après le précédent. Et j'exagère à peine.
Très vite, nous arrivons sur un premier spot photo improvisé par l'organisation de l'essai, suite à la fermeture de plusieurs routes à cause de la tempête de sable de la veille. Il s'agit en fait de la micro-route que l'on vient de s'envoyer. Bon, eh bien s'il faut y retourner...
Le temps de laisser passer quelques touristes, on discute de la ligne de la petite nouvelle, que tout le monde trouve épatante. Fini, le look un rien gentillet de l'engin. La Tracer 700 se mue en une sorte de droïde de combat aux airs de sauterelle cybernétique. Le regard, rappelant les R1 et R6, fait son effet. Les plastiques sobres et étirés de la partie avant offrent un gabarit valorisant à la machine, tout en maintenant une impression de légèreté, qui se confirme au guidon.
Un guidon large sur lequel les charmants protège-mains en plastique, bien dessinés et surplombant les fins clignotants avant, viennent se greffer. C'est beau, c'est léger, c'est doux au toucher et on espère que ça vieillira bien, parce que du plastique mat, il y en a partout sur cette moto. La partie arrière reste quasi inchangée par rapport à l'ancien modèle, avec des poignées passager s'intégrant toujours bien à la ligne.
Et c'est tout ? Presque ! Car l'évolution se produit aussi au niveau du bloc compteur, qui adopte un affichage blanc sur noir très lisible et cossu. A défaut d'un écran TFT, qui s'alignerait sur la tendance du moment, mais qui s'avérerait peu utile au vu des informations assez réduites, mais suffisantes, que l'on fait défiler via un bouton sur le commodo gauche. Juste au-dessus, une poignée permet le réglage de la bulle, d'une main et très facilement, sur 6,5 centimètres. Très lookée et protégeant le corps en position basse, elle ne casse pas la ligne en position haute et protège efficacement le haut du buste et la tête du pilote. Simple et efficace.
Après nos allers-retours devant les objectifs, nous reprenons rapidement la route vers notre prochain arrêt... le café ! Sous l'impulsion de notre guide et grâce au rythme très cohérent de notre groupe (précision suisse oblige), le joyeux morceau de route restant est avalé plus vite que l'expresso qui nous attend et nos Tracer continuent d'offrir entière satisfaction.
On s'interroge sur l'ABS, qui se déclenche vraiment tôt en conduite sportive, surtout à l'arrière. L'heure n'est pas encore aux conclusions hâtives et nous attendrons de rencontrer d'autres types de route pour faire un bilan plus concret. Ça tombe bien : le café est fini et chacun est impatient de repartir. Gaz ! La route s'élargit un peu et le rythme reste le même malgré la présence de plus en plus de touristes en errance dans les courbes. L'empattement rallongé et les suspensions revues font merveille et la Tracer 700 remue moins sous la contrainte.
Quelques réglages pourraient sans doute offrir un ressenti de l'avant encore meilleur, le grand débattement accentuant la plongée de la fourche au freinage. Cependant, le phénomène est mesuré et la confiance dans le train avant toujours bonne. L'arrière répond également présent lorsqu'il est sollicité et ne pompe pas de façon alarmante sur les gros appuis. La machine vit entre nos pattes et les sensations de conduite sont enthousiasmantes.
Après un lunch conséquent (oui, deux paragraphes après le café ; quand on vous dit que ça allait vite), miracle : l'itinéraire prévu vers le Teide, pic dont la route la plus haute culmine à plus de 2'300 mètres, est à nouveau accessible! Notre guide bifurque donc au milieu d'un village et nous plonge alors dans une succession de paysages hallucinante.
Sortis du village, on attaque de superbes lacets au coeur d'une forêt de pins verdoyante, dont certaines branches et aiguilles jonchent la route suite à la tempête de la veille. Sur un rythme constant et mesuré (un peu...), nous grimpons rapidement sous ce tunnel de lignes vertes et brunes. Avant de parvenir près du sommet du Teide. Dans un paysage rocailleux où le bitume se confond presque avec certaines roches en bord de route.
Le vent souffle fort et semble transformer le paysage, puisque, quasi-seuls au monde, nous traversons d'abord un désert volcanique, fait de pierrailles accérées comme des lames et aux formes torturées. Puis le sable s'ajoute au paysage. D'abord jaune, il transforme les abords de la route en une sorte de champ post-apocalyptique dont la pierre semble être en train de s'extraire. Puis le gravier brunit un peu, les roches se font plus lisses, prenant des teintes grises et vertes. Notre guide profitant des grandes courbes traversant ces tableaux pour foncer gaz en grand, l'impression de voyager entre plusieurs planètes s'installe. Le vent claquant sur le sommet de mon casque et twin CP2 s'occupent de la bande son de ce moment suspendu dans le temps. Impossible de dire combien de kilomètres nous avons roulé ni combien de temps s'est vraiment écoulé.
Seul constat : nous revenons à présent sur des routes déjà empruntées ce matin et reprenons donc le chemin de l'hôtel. Mes jambes, mon cher séant et mes bras sont en pleine forme. Seule ma tête, ballotée par le vent soufflant fort dans plusieurs sections de l'itinéraire, me rappelle que la journée est déjà bien entamée. Nous reprenons la direction de l'hôtel pour la seconde séance photo et retrouvons la petite route du premier shooting. Tiens, tiens, tiens...
Chauds comme le TCS à l'entrée en vigueur du macaron Stick'Air à Genève, on repart dans le véritable gribouillis de bitume jouissif. Baby Tracer absorbe les irrégularités du bitume en rigolant, le train avant est décidément ravi de collaborer avec le Michelin au profil incisif et le bicylindre semble toujours jouer la bonne partition. Jamais pris de court, il semble toujours avoir cette petite louche de couple qui va pimenter la suite des événements. D'une cirette en sortant des épingles, j'envoie la roue avant se rafraîchir entre deux courbes, jouant du relief pour faciliter ces petits cabrages.
Une voiture croisée un peu large ? D'une pichenette sur le large guidon, la moto écarte ou resserre sans broncher. Dans les pif-paf, une pression d'un genou lance le changement de direction alors que le frein arrière stabilise un peu plus le châssis également très réactif. Plus ça va et plus la petite Tracer prend des airs de gros supermotard. Elle ne demande qu'à jouer! Les derniers lacets avant de rejoindre Buena Vista del Norte, plus larges, me le confirment alors que je tente une ou deux glisses au freinage. L'ABS ne veut rien savoir et je regrette le mode supermoto de certaines machines européennes.
Mais il faut savoir raison garder et les cale-pieds commencent à frôler le bitume très régulièrement. L'esprit freeride bien connu sur la MT-07 est bien présent : la Tracer 700 aime s'amuser et se plie à un sacré panel de styles de conduite. L'ABS, la garde au sol pas insondable et les suspensions au compromis sport/confort préservé limiteront les excès des plus fâchés et c'est tant mieux. Car je n'aurais pas échangé notre monture du jour contre ma Tracer 900 sur la plupart des routes que nous avons empruntées aujourd'hui. Les 75 chevaux du twin crossplane ont fait merveille et s'avèrent parfaitement suffisants pour déjà bien s'amuser. De plus, si la Tracer 700 se veut fun, elle est surtout accessible et sait se faire pattes de velours pour des motards moins enclins à l'attaque constante et navrante de certains essayeurs (un peu de remise en question n'a jamais fait de mal)...
De retour à l'hôtel, c'est un bilan très positif qui se dessine pour la dernière née de la gamme Tracer. Parfaitement équilibrée et dotée d'un look qui veut attirer une clientèle plus jeune, mais surtout plus nombreuse, Baby Tracer n'oublie surtout pas d'être tout à fait conforme à ses valeurs déjà assumées en 2016, mais aujourd'hui sublimées. A savoir être une machine simple, facile à rouler dans toutes les conditions, confortable pour enchaîner les kilomètres et très joueuse pour ne jamais s'ennuyer. Mission accomplie sur tous ces points, la prestation de la nouveauté m'ayant encore plus bluffé que sa première mouture.
Comme soulevé par l'un de mes confrères au soir de l'essai, c'est peut-être cette simplicité, cette sobriété au niveau de l'équipement (pas de traction control, ni de cartographies moteur, ni d'écran TFT...) qui pourrait freiner le succès de la Tracer. Mais si la machine se veut également urbaine et tout à fait dans l'air du temps, je me permets de penser qu'elle conserve à très juste titre cette simplicité technologique pour distiller d'authentiques sensations. Que ce soit virevoltant au milieu de ces micro-virages, restant scotché devant les fantastiques paysages traversés à son guidon ou la regardant se tenir au bord d'une route, tout à fait dans son élément, je n'ai pas eu l'impression d'une moto au rabais. Plutôt une machine certes bardée de plastique et au look très moderne, mais tournée vers les routes, la vie au grand air et toutes ces joies simples que distille une motocyclette.
Baby Tracer a donc grandi, pour le mieux. Et au bon prix, puisque pour moins de 9'500 francs, le Monde et l'horizon n'ont jamais semblé aussi accessibles.