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Ah. Vous vous dites que j’ai craqué après cette introduction tarabiscotée. Peut-être bien. J’avoue avoir longtemps tourné autour de la question en rédigeant cet essai. Où se place la Suzuki Katana ? Probablement du côté des machines qui ne font pas l’unanimité, tant elle rassemble des traits de caractère très marqués et peut-être un poil opposés. Mais assez de théorisation, attaquons-nous à ce que dégage la Katana par l’expérience. La mienne, donc, et la vôtre si vous songez à en prendre le guidon. Premier point, le look.
Oh. On peut en tout cas dire que la Katana divise ! Les « vieux » qui n’aimaient pas la première mouture n’auront pas changé d’avis. Les plus jeunes semblent peiner à s’y retrouver dans ce mélange de lignes tendues et de stature imposante. La partie avant en impose et le tête de fourche semble avalé par l’imposant réservoir. Comme un samouraï en armure, la Suz’ ne semble pas agile, mais cache bien son jeu. Le phare carré fera sans doute déguerpir 30% des curieux, tandis que 5% regretteront qu’il ne ressorte pas plus du tête de fourche, comme le modèle originel. Et c’est là le premier paradoxe des lignes de la Katana : l’avant est finalement harmonieux et chaque partie est là pour sublimer le tout. C’est à ça que doit ressembler l'avant d'une Katana de 2019.
Le second paradoxe apparaît quand on se tourne vers l’arrière. L'ensemble selle/coque très large enveloppe un feu résolument moderne et mis en valeur par l’absence de support de plaque. Ce dernier est déporté sur le bras oscillant pour un effet qui divisera tout autant que le phare carré. Reste que toute la selle est épurée et offre un joli contraste de proportions avec l'avant. Venons-en au coloris de notre modèle d’essai. Le noir est partout, à l’exception du feu arrière, des logos, de l’amortisseur et… du coupe-circuit. Et à titre absolument personnel, c’est dément et ça va à ravir aux lignes de la Katana. Avouez que si Dark Vador ou le Batman de Burton roulaient à moto, ce serait celle-ci.
Ces références très geek ne sont pas là innocemment. C’est ce qui m’a fait réaliser l’esprit que dégageait cette moto à mes yeux. Et peut-être aux yeux de Suzuki. Cette bécane est un vrai easter egg. Traduit, cela donne « œuf de Pâques » et illustre un élément dissimulé dans une oeuvre (tableau, film, jeu vidéo), faisant référence à des personnages, histoires ou événements connus du public. Un clin d’œil du producteur aux spectateurs/joueurs attentifs et friands de surprises. Et l’orientation de la GSX-S 1000 S, c’est exactement ça. Cette ligne tout droit sortie des années 80 me renvoie à la première Batmobile, le noir aidant. Le côté vaisseau spatial de film SF est aussi très présent. Et j’adore. L’éclairage du bloc compteur, bleu électrique sur fond noir, me fera m’esclaffer au premier tunnel emprunté : j’ai l’impression de piloter un chasseur TIE de Star Wars. Chaque détail semble étudié pour nous plonger dans l'univers des eighties (sauf la finition, heureusement de haut niveau).
Si la Katana est peut-être une machine néo-rétro, elle l’est par ce biais assez inédit. Le « vieux » logo Suzuki rouge pétant m’a achevé (surtout parce qu’il ressemble à celui de ma Bandit) et je suis convaincu que les responsables du développement de la marque ont dit à leurs designers « Les gars, éclatez-vous, on vous pose déjà le tampon OK en bas de la feuille ». En bons concepteurs un peu allumés, ils ont sorti ça. Cet hommage aussi assumé à un passé beaucoup moins lointain que d’autres modèles néo-rétro du marché est plutôt brillant et bienvenu chez une marque qui nous aura habitués à peu de remous ces dernières années.
Ah. Cinq paragraphes et le gars ne semble pas décidé à nous parler du comportement de la machine. Pardon les gens. Mais pour une fois que j’ai des choses à dire sur une moto sans grimper dessus… Bon, le hic, ç’aurait été qu’au-delà de cette plastique assumée, la Katana ne vale pas un clou. Connaissant bien Suzuki, il aurait été idiot de parier là-dessus. Connaissant extrêmement bien la base de ce modèle, soit la GSX-S, cela aurait été vraiment idiot.
Mes amis quel engin ! Le moteur de la GSX-S, basé sur celui de la GSX-R 1000 K5, est tout simplement l’un des meilleurs 4 cylindres en ligne jamais conçu. Un onctueux réservoir de couple, à la sonorité reconnaissable entre toutes, qui vous tire comme un gros élastique à mesure que vous ouvrez les gaz. Et avec ce changement de caractère à hauts-régimes, ce hurlement propulsant le barre-graphe dans la zone rouge et vous assénant soudain un uppercut bien placé. N’importe quel autre moteur aurait été déplacé sur la Katana. Pattes de velours au quotidien et en balade, le quatre-pattes montre un autre visage à l’attaque et nous rappelle qu’il peut aussi être une usine à sensations.
L’efficacité de ce moteur légendaire (c’est le descriptif Suzuki qui le dit et je suis d’accord avec ça) est mise à disposition du pilote via deux assistances Ô combien précieuses : d’abord une connexion miraculeuse avec la poignée de gaz dont le feeling est parfait, ensuite un anti-patinage réglable sur 3 niveaux, ajustant également la cartographie d’injection. Simple, efficace et laissant plus de latitude au pilote que les roadsters ultra-modernes. Je n’aurai testé la machine que sur le mode le moins restrictif et également sans aucune assistance. La confiance est totale et on peut exploiter sans se faire peur les 150 chevaux du quatre-cylindres. Les sensations sont présentes et les vitesses atteintes largement répréhensibles. Mais derrière les sensations mécanique, pas de sournoise impression : le contrôle est total. Un peu plus lisse que la GSX-S, le moteur de la Katana est votre ami.
Me voici justement arrivé sur notre spot photo du jour pour rejoindre Denis, derrière l’objectif. Vous serez nombreux à avoir reconnu la montée de Saint-Cergue, agréablement peu fréquentée en ce mercredi de début d’été. Enchaînant les premiers lacets, l’agilité de la Katana saute aux yeux. Le guidon cintré offre un bon bras de levier pour faire tourner la machine sans y penser. Rien à dire sur l’amortissement à cette allure raisonnable : la route est un billard et offre un très bon ressenti, soit le terrain idéal pour le châssis de la GSX-S.
Ce point fort m’avait déjà marqué lors de l’essai du fameux roadster, il y a quelques années sur cette même route : la stabilité permanente de la machine en fait un outil extrêmement adapté pour rouler vite. Aucune réaction imprévue, aucun mouvement parasite, simplement ceux d’une machine qu’on emmène à travers des courbes et réagissant aux commandes.
La position moins sur l’avant et l’assise plus « dedans » de la Katana offrent un sucroît de confort et un ressenti moins sportif. Le feeling de l’avant reste excellent et il n’y aura que la selle un peu large qui demandera un temps d’adaptation pour déhancher librement. Le freinage Brembo fait toujours merveille, alors que la fourche KYB de 43mm est absolument imperturbable. L’ABS n’aura pas eu à se manifester pendant la plupart des mes allées et venues. Il n’y a qu’en forçant un peu le système à s’activer qu’il se sera fait sentir : rien à signaler, donc.
Au fil des kilomètres, le confort reste impérial malgré le peu de protection offerte par le tête de fourche plus esthétique que pratique. Le volumineux réservoir ne s’avère pas plus gênant que cela et le naturel avec lequel on emmène la moto limite la fatigue. L’autonomie plutôt limitée de 180 kilomètres offriront autant de pauses passées à contempler la Suzuki, décidément incroyablement décalée.
Reste qu’après quelques pleins d’essence et un tour dans les superbes petits coins du Jura vaudois et de la Vallée de Joux, la Katana me ramènera à un sentiment aussi peu explicable que rafraîchissant. Cette impression d’être suspendu dans le temps, de simplement profiter du chemin se déroulant devant soi et ses roues. Au-delà de la recherche de vitesse et des sensations dynamiques, il y a dans le plaisir à moto cet insaisissable quelque chose qui nous pousse à ne pas rentrer tout de suite. A continuer de rouler, encore un peu. A la recherche de la réponse à une fameuse question qu’on ne s’est pas encore posée ? En quête peut-être, justement, de tout le contraire, de ce bout de « rien » qui se situe entre un instant et le suivant ? L’essence de la moto, sans doute à titre personnel, s'y trouve peut-être.
C’est peut-être ça qui aura rendu cet essai si ardu à écrire. La Suzuki Katana est une excellente machine, à l’identité très assumée et paradoxalement inédite : c’est un vrai gros roadster japonais à quatre-cylindres. Derrière une ligne savamment dessinée et un clin d’œil à la fois au passé de la marque et à la mode du néo-rétro, elle tire simplement la quintessence d’une plate-forme éprouvée pour proposer un produit abouti et séduisant. Ce fameux look en fera sans doute une machine de niche, dont les ventes ne représenteront qu’une part symbolique. Egalement parce qu'elle ne sera que trop réduite au rang de simple "quatre pattes" japonais classique.
Tout l’esprit est justement là. La GSX-S 1000 S Katana est un symbole. Une icône de Suzuki et de la moto en général. Pourquoi est-elle géniale ? Parce qu’elle est là. Parce qu’elle existe. Peut-être envers et contre tout. Paradoxalement, c’est ce qui fait tout son intérêt. Son petit truc en plus.
Pour utiliser encore une fois la formule, à titre personnel, elle m’aura retransmis au quintuple ce sentiment si particulier que je ressens au guidon de chaque bécane. Elle a changé cette formule consacrée que je prononçais à la fin de chaque essai, « J’en veux une », en « Je veux une moto ». Je veux un engin qui me parle et me procure des sensations. La Katana m’a parlé et je l’ai entendue. En souhaitant qu’elle puisse vous évoquer les mêmes sentiments, je vous encourage à aller essayer cette sacrée machine chez votre concessionnaire.