La Yamaha Ténéré 700 a déjà fait couler beaucoup d’encre. Depuis 2016 déjà, elle fait parler d’elle, par le biais d’un premier prototype nommé T7, puis deux ans plus tard avec la Ténéré 700 ‘World Raid’. C’est dire comme elle a tenu son public en haleine. Dans ce même intervalle, entre le prototype et la version actuellement en commercialisation, elle est passée entre de nobles mains, Stéphane Peterhansel et les pilotes du Official Yamalube Yamaha Rally Team comme Adrien van Beveren et Rodney Faggoter, pour ne pas les nommer. Le but ? La tester dans tous les milieux et dans des conditions extrêmes et sans cesse améliorer ses capacités.
Ce tout nouveau modèle 2019 a la lourde responsabilité de perpétuer la lignée des aventurières de Yamaha. La première XT500 a vu le jour en 1976, s’écoulant par dizaine de milliers d’exemplaires partout dans le monde. Chez nos voisins français, en 14 ans, elle s’est écoulée à plus de 60’000 unités, c’est dire le succès qu’elle a rencontré. Elle représentait d’ailleurs la machine prête à tous les horizons, tant en compétition qu’en utilisation loisir. Actuellement, elle est l’une des motos incontournables du 20e siècle.
Les années ont passé, les « XT » se sont succédées. A ce jour, Yamaha compte toujours sur la XT1200Z(E)… et ce depuis 9 ans déjà ! Cette dernière se verra épauler, d’ici quelques semaines, par la nouvelle Ténéré 700, celle qui nous intéresse en ce moment même.
Yamaha nous a conviés à Tortosa, à quelque deux heures de voiture au sud de Barcelone. Au menu de cette présentation presse, pour une moto aux capacités a priori exceptionnelles, Yamaha a mis les petits plats dans les grands : deux jours de roulage, dans toutes les conditions. A l’heure où j’écris ces lignes, je suis à la fois très excité à l’idée de tester cette nouvelle Ténéré 700, mais aussi quelque peu envahi par quelques appréhensions. Il y aura de la boue, des graviers, du sable, de la caillasse, des passages à gué, … et peut-être un peu d’asphalte. Assurément, je ne rentrerai pas propre de cette présentation presse, et j’espère rentrer entier, avec la tête, les jambes et les bras au bon endroit. Dans la catégorie enduriste, je suis plutôt minet que chat sauvage, vous comprenez ? Oui, à mes côtés, il y a des pointures, des gars qui assurent grave et qui envoient du très lourd sans arrière-pensées, façon ‘Dakar’. Moi, je me la joue plutôt cool, tout en gardant une marge de sécurité pour ne pas me mettre au tas méchamment, sans oublier de prendre mon pied. Mon objectif est de tester la moto dans des conditions optimales, de juger de son comportement dans les situations délicates et/ou à adhérence précaire et de vous livrer un compte-rendu objectif. Vous êtes maintenant avisés.
La Yamaha Ténéré 700 se présente comme une toute nouvelle moto. Une fois n’est pas coutume, il ne s’agit en aucun cas d’un update d’un précédent modèle, ni de l’adaptation d’un modèle existant. Enfin, le seul élément repris de la banque de pièces Yamaha, c’est le bicylindre parallèle CP2 (CP pour Crossplane, faisant référence au calage du vilebrequin) de 689cc motorisant les MT-07, Tracer 700 et autre XSR 700 ainsi que la boîte de vitesses. Ce moteur a fait l’unanimité auprès de la presse lors de sa présentation à la sortie de la MT-07, mais aussi et surtout auprès de la communauté motarde. Connu pour être d’une souplesse et d’une douceur exemplaire, il ne manque pas pour autant de punch, tractant sans peine les motos qu’il équipe. Et pourtant, ce n’est pas sa fiche technique qui éveille ses performances. Les 74cv à 9’000tr/min et un maximum de 68Nm à 6’500tr/min feraient presque pâle figure… Pas de quoi casser trois pattes à un canard, diraient certains.
Nous avons un moteur. C’est autour de celui-ci que se construit le châssis, il n’a pas d’égal dans la production Yamaha. Renforcé pour une rigidité accrue et une solidité à toute épreuve, il a été spécialement conçu pour la Ténéré 700. Comme en tout-terrain, il est primordial de limiter le poids, Yamaha a réussi à contenir le poids à moins de 200kg, soit 187kg à sec (comptez 204kg tous pleins faits). En plus, les ingénieurs ont tenté d’abaisser le centre de masse de la moto au possible, de sorte à gagner en maniabilité et en réactivité.
Quant aux éléments suspendus, la Ténéré 700 se dote d’un équipement spécifique, essentiellement dédié à l’évolution sur piste accidentée et dans le terrain, au sens large du terme. La fourche inversée de 41mm de diamètre offre un débattement important (210mm) et l’amortisseur arrière un débattement de 200mm. Des valeurs qui sont dans la norme, certes, mais qui portent la garde au sol à 240mm, de quoi envisager quelques velléités hors des sentiers battus. Puis, les roues sont également adaptées, avec une jante de 18’’ à l’arrière et une de 21’’ à l’avant, toutes deux à rayons et chaussées de Pirelli Scorpion Rally STR (pneus essentiellement off-road).
En fait, à détailler sa fiche technique, on se rend compte que la Ténéré 700 est une moto de conception simple. Hormis un ABS entièrement déconnectable, elle est dépourvue d’électronique de pointe comme nous le rencontrons parmi la concurrence. D’ailleurs, c’était bien le but de Yamaha, proposer une moto efficace, pratique, polyvalente, agréable à vivre, fiable et dédiée à une clientèle allant à l’essentiel. Et finalement, cela permet ainsi à Yamaha d’offrir un prix imbattable de CHF 11’190.- (jusqu’au 31 juillet pour une commande en ligne, puis 11'590.-).
Toutefois, pour ce prix, Yamaha met les bouchées double sur le design. Dans la lignée des Ténéré, celle-ci ne déroge pas à la règle du look ‘Dakar’, sa face avant très droite étant assez haut perchée. Son optique de phare à quatre lentilles LED offrant un puissant éclairage, tant à courte qu’à longue portée, la Ténéré reste fidèle au look du prototype T7 qui avait fait des ravages lors de la publication des premières images. Le tableau de bord n’est pas en reste ; son dessin très carré et son instrumentation très lisible font un clin d’oeil à la machine du pilote Yamaha Van Beveren, notre guide du jour. De quoi vous inspirer un sentiment, voire même une volonté d’aventure !
Dans son ensemble, la Ténéré 700 garde des dimensions raisonnables avec une longueur totale de 2’365mm et un empattement court de 1’590mm. Visuellement, elle apparaît ainsi très compacte et légère. Mais surtout, elle ressemble à une moto… (ne voyez là aucun tacle à la concurrence) !
Et si l’on s’affaire sur les détails « bien pensés ». La Ténéré dispose d’une barrette au-dessus du tableau de bord pour fixer le support GPS, d’une boîte à air logée très haut pour des passages à gué aisés, d’un garde-boue avant réglable en hauteur, d’une mollette de réglage de l’amortisseur déportée, d’une prise 12V intégrée au cockpit, ainsi que d’une multitude d’accessoires Yamaha comme une caisse à outils à fixer au sabot, des crash-bars efficaces (!), des supports de valises latérales (modèle Givi Outback Trekker), des feux additionnels à LED, un support de plaque court, des clignotants LED compactes, … Quant aux accessoiristes, il ne fait aucun doute qu’ils enrichiront leur catalogue à cet effet.
La présentation de la Ténéré 700 à la presse mondiale s’est déroulée à Tortosa, en pleine Catalogne. Pour coller au mieux à la personnalité de la moto, Yamaha ne pouvait faire mieux que de concocter un séjour placé sous le signe de l’aventure. Deux jours complets sont au programme : près de 500 kilomètres de chemins, pistes et pierriers en tout genre, des liaisons sur des routes à l’asphalte douteux, une nuitée en pleine campagne, … Et c’était sans compter un soleil de plomb (jusqu’à 29 degrés en plein après-midi) ! Yamaha a fait le pari de faire tester la Ténéré dans son élément. Mes confrères et moi avons sué, autant que les machines ont souffert. De la fine poussière il y a eu à profusion, de l’entre-dents à l’entre-jambes, comme sur les filtres à air des Ténéré. Des petits chemins de traverse séparant les parcelles d’oliveraies de la verdoyante Catalogne aux zones désertiques et rocailleuses de l’arrière-pays, sans oublier les sentiers de forêt franchement accidentés et les pistes sablonneuses, la Ténéré a vu et nous a fait voir du pays ! Mais finalement, par-dessus tout, j’ai de quoi vous livrer un avis complet sur cette nouvelle Ténéré 700. Alors, est-elle à la hauteur des prétentions que laissait déjà présager le proto’ T7 dévoilé en 2016 ?
Avant tout, je fais le tour de la machine, curieux de découvrir un détail qu’on aurait omis de nous dire lors de la conférence de presse la veille. Un premier tour, puis un deuxième. Rien. On ne nous a pas menti, la Ténéré 700 est une moto brute, sans chichi, mais pleinement efficace dans son style. Elle ressemble aux 450 engagées en Rallye Raid, et ça m’excite. D’une part car je m’attends à de belles performances, mais aussi car elle m’inspire et éveille mon envie d’aventure. Le décor est planté. Il ne reste qu’à grimper sur sa selle. Avec mon mètre septante-quatre, je n’en mène pas large avec les motos orientées tout-terrain. Leur garde au sol importante relève d’autant la hauteur de selle… Finalement, l’exercice n’était pas insurmontable puisque je touche le sol plus qu’avec la seule pointe du pied. Quand on évolue dans le terrain et que la hauteur de selle est critique, il suffit d’un arrêt en dévers pour que ce soit le drame, au mieux la panique ; dans le cas présent, je me sens rassuré, d’autant plus que la moto semble relativement légère.
Je démarre la moto, et, comme tous les autres journalistes, je joue de la poignée des gaz pour entendre roucouler le bicylindre. Amateurs de belles vocalises, passez votre chemin, ce n’est pas la Ténéré qui fera tourner les têtes, du moins avec son échappement d’origine. Enfin, il y a toujours la possibilité d’opter pour un silencieux Akrapovic au look rallye. Dans ce cas, j’admets, ça chante juste, et ce qu’il faut pour que les longs voyages ne soient pas assourdissants, de même que les accélérations en conduite sportive soient révélatrices des performances du bicylindre.
D’ailleurs, parlons de ce bicylindre. Qu’il est docile et prévisible ! Une courbe de couple quasi plate, un comportement d’une linéarité exemplaire, il est en parfaite adéquation avec la moto. Disponible très bas dans les tours, il est aussi exempt de vibrations et ne cogne en aucun cas. Pour l’anecdote, il m’est arrivé plusieurs fois de redonner des gaz alors que j’étais en sous-régime (3e rapport à moins de 30km/h et 4e à moins de 40) ; je vous assure qu’il n’a pas bronché et a relancé sans attendre. En ville, c’est agréable, mais pas seulement, c’est surtout en tout-terrain que j’ai apprécié cette docilité et cette tolérance au sous-régime. La boîte, elle, est très précise et ne souffre d’aucun point mort. Je me rappelle de la boîte accrocheuse des premières MT-07, ce temps est désormais résolu.
Mais revenons à nos moutons, j’aurais tendance à m’emporter. Nous quittons la bourgade de Tortosa. La Ténéré se faufile et joue de la douceur de son moteur et de ses commandes. Alors que certaines motos m’imposent quelques kilomètres d’adaptation, j’avoue que j’ai trouvé mes marques au premier tour de roue. J’apprécie particulièrement la position de pilotage naturelle et décontractée, les commandes d’embrayage et de frein répondant sans brutalité et en toute progressivité.
A peine sortis de Tortosa que nous rejoignons une voie rapide nous menant dans les contreforts catalans. Je dois dire que la stabilité à haute vitesse (jusqu’à 170km/h) m’a surprise. La moto, avec son guidon large et ses pneus à crampons, sa prise au vent latéral importante, s’en sort étonnamment bien et ne pêche pas par des louvoiements désagréables. Quant à la protection au vent offerte par le semblant de bulle, elle m’a pleinement satisfaite puisque je n’ai pas subi de tensions sur les cervicales, malgré le port d'un casque enduro peu aérodynamique.
L'aventure se poursuit, quand soudain notre guide met son clignotant sur la droite. C'est là que tout commence : un chemin de traverse caillouteux, histoire de se mettre en jambe, découvrir la moto dans des conditions d'adhérence précaire, prendre ses marques en position debout et s'assurer que les pneus, les Pirelli Scorpion Rally STR, tiennent la charge. La moto étant très fine, je n'ai aucune peine à l'enserrer entre mes genoux et les possibilités de mouvements sont nombreuses, tant vers l'arrière que l'avant. De même, par ma taille, la position debout est naturelle, le guidon se trouvant à la bonne hauteur et à la juste distance, et les repose-pieds ayant la bonne inclinaison.
La confiance s'installant, le rythme augmente. Bien que l'amortissement primaire soit un peu dur, les grosses dépressions et nids de poule sont avalés avec onctuosité grâce au débattement important des suspensions. Je suppose que Yamaha a dû s'efforcer de trouver le compromis idéal dans le choix des suspensions, la moto étant légère de base mais pouvant aussi emporter passager et bagagerie. Le chemin s'élargit et s'apparente peu à peu à une véritable piste. Plein gaz, je trace entre 90 et 110km/h.
Je me sens à l'aise ainsi, la truffe à l'air, debout sur la moto, la guidant avec précision. Le paysage défile et j'apprécie les points de vue de la magnifique Catalogne. Parfois, la piste est entrecoupée de caniveaux permettant l'évacuation des eaux des cultures. A la vitesse à laquelle je passe, la moto décolle généreusement et retombe sur ses crampons sans surprendre par un basculement vers l'avant ou inversement. La moto est idéalement équilibrée avec 48% du poids sur l'avant, 52 sur l'arrière.
Plus loin, après avoir généreusement "bouffé" la poussière des confrères me précédant, on rejoint une route asphaltée menant vers les crêtes surplombant la vallée menant de Tortosa à Fraga. Tantôt revêtue d'un asphalte sans imperfection, tantôt défoncé, les conditions de roulage sont panachées. Je reste sur mes gardes, d'autant plus que les Pirelli Scorpion Rally STR ont un profil plus tout-terrain que routier. De virage en virage, j'enquille les kilomètres. La confiance prenant le dessus des mes a priori, je me retrouve à rouler comme avec des pneus routiers (quelle bonne surprise !). J'évite seulement de freiner sur l'angle ni d'être généreux sur les gaz en sortie de courbe. La Ténéré 700 est très agile, malgré sa grande roue de 21" à l'avant. Avec son guidon large, je la lance d'un virage à l'autre et elle se laisse ainsi balancer sans broncher. La précision de pilotage est même surprenante pour une moto pareillement haut perchée, avec des suspensions typées tout-terrain. Le train avant, quand bien même plongeant à souhait lors de gros freinage, garde sa trajectoire. Après une courte prise en main, je me mets à lécher la roue arrière de mon prédécesseur et je prends plaisir à emmener la moto avec une nervosité surprenante. Le freinage avant étant dosable et généreusement puissant, je peux attaquer sans souci. Et s'il faut, le frein arrière vient assoir la moto pour l'aider en virage attaqué avec un peu trop d'optimisme.
A vrai dire, la Ténéré 700 se défend plutôt bien ! Bien pilotée lorsque ça tournicote, il ne fait aucun doute que l'on peut tenir la dragée à bon nombre de motos sur des routes asphaltées de toutes les qualités...
Comme notre guide est plutôt axé off-road (le pilote Adrien Van Beveren), il n'a pas fallu attendre des dizaines de kilomètres pour que nous bifurquions à la prochaine intersection. Cette fois, c'est un chemin rocailleux qui nous est réservé. Cailloux de taille suffisante pour s'envoyer en l'air à la moindre erreur de trajectoire, racines traîtres, buissons envahissants, épaisseur de gravier à l'adhérence proche de celle offerte par le sable, ... il y a de quoi se faire plaisir, mais peur aussi ! Et pourtant, la Ténéré a fait fi de ces sols accidentés et parfois piégeurs. Naturellement, il ne faut pas tenter le diable, ni rouler au-dessus de ses pompes. Le rythme est soutenu, je m'accroche et mets du gaz sans demi-dose. Le moteur a un comportement si linéaire qu'il ne vient jamais perturber la maitrise de la traction. Parfaitement dosable et très coupleux dès les bas régimes, il permet d'offrir la motricité nécessaire dans les situations délicates, en côte ou dans les bourbiers, de même qu'une généreuse dose de gaz permet de faire drifter la roue arrière tout en gardant un contrôle précis de la dérive en plein virage. Et le freinage, dans ces conditions, il se montre progressif et sans violence. Pour ceux qui roulent sans ABS en off-road, c'est appréciable. Notez que lorsque l'ABS est déconnecté, ça l'est sur les deux roues ! Pour l'anecdote, un confrère l'a appris à ses dépens... Quant à la suspension, elle fait son travail, absorbant les gros chocs sans sourciller. Elle manque toutefois un peu de souplesse, notamment au niveau de la fourche ; ça tape un peu dans les poignets. Notez que j'aurais pu procéder à un réglage de la suspension, à défaut de me plaindre !
Les kilomètres défilent. Je me sens franchement à l'aise sur la moto. Et je dois admettre que je m'essaie à toujours plus de velléités, tant j'ai confiance en la moto. A aucun moment je ne me suis fait surprendre. Très prévisible, homogène et dans tous les cas très saine, la Ténéré 700 est une vraie partenaire pour partir à l'aventure en toute quiétude. D'ailleurs, celui qui ne s'est jamais vraiment essayé à une moto tout-chemin, cette Yamaha est une belle entrée en matière.
Son prix ultra compétitif, ses qualités sur route comme en tout-terrain, la dose de fun qu'elle procure, sa capacité à emporter de nombreux bagages, les accessoires déjà disponibles, son moteur aussi efficace et adapté que discret à l’usage, sa simplicité appuyant sa fiabilité, sa légèreté contribuant à son agilité et à sa facilité, … ce sont autant de caractéristiques qui me font craquer pour cette Ténéré 700 !