
Prendre des claques, au sens figuré, c’est parfois cool. Parfois, comme lors d’une présentation presse en Californie, pour essayer le dernier distributeur à taloches made in USA sorti par Indian ? Exactement. Des claques, j’en ai prises pas mal pendant ce véritable trip, surtout de la part de la FTR. Une machine surprenante à plus d’un titre, qui mérite qu’on pose un peu le décor, qu’on remette les choses dans leur contexte. Pour mieux casser les codes. Mais j’y reviens, donc.
Tout d’abord, Indian, fondée en 1901, est la première marque de motocyclettes américaine. Suite à une histoire légendaire mais tumultueuse, elle disparaîtra puis renaîtra plusieurs fois. Jusqu’à son acquisition en 2011 par le groupe Polaris, qui investira sans relâche pour ramener la marque au premier plan. Petit à petit, la gamme s’étend pour proposer aujourd’hui 23 modèles et représenter 9% du chiffre d’affaires global du groupe.
Ça, c’est fait. Mais chez Indian, on ne pouvait revenir aux affaires sans… revenir aux affaires. D’où leur inscription au championnat américain de Flat-Track, qu’ils vont remporter deux fois d’affilées, en 2017 et 2018. Pour fêter ce retour en course et étendre leur gamme, l’idée de produire un modèle inspiré de la discipline germe. Deux ans plus tard, la FTR 1200 S est dévoilée.
C’est ainsi qu'après 3 heures de train, 11 heures 30 d’avion et 45 minutes dans un ENORME SUV, je découvre Santa Monica. De larges rues, des immeubles pas démesurés, quantité de V8 passant bruyamment et des gens plutôt serviables et souriants. Une ville vue et revue au cinéma, à la TV ou sur console, mais qui réussit à surprendre. Dans le lobby de l’hôtel, on se plaît à détailler la FTR installée comme à la maison.
Dans son coloris race replica, elle en jette pas mal. Le long réservoir, prolongé par la selle aux belles surpiqûres, est superbe et donne toute son identité à la machine. Le grand guidon ProTaper trône au-dessus de l’ensemble, accueillant le bloc compteur à écran tactile TFT 4.3 pouces. Les réglages des différents modes de conduite peuvent s’effectuer d’un effleurement de gant, mais également via les commodos au guidon, plutôt intuitifs. On note l’agréable prise USB, qui permet de charger son portable ou autre appareil électronique, ainsi que la possibilité de synchroniser son téléphone et sa musique avec l’ordinateur de bord. Appels, choix de morceaux et recharge, tout ça s’annonce fort pratique.
Revenant au réservoir, on apprendra que celui-ci de situe en fait sous la selle et la coque arrière. La centralisation des masses est optimisée et les techniciens ont pu idéalement positionner la boîte à air du gros twin. Les 1203cm3 du bestiau dérivé de la Scout proposent un petit 123 chevaux et 120Nm de couple. De quoi défriser un conseiller national en pleine séance et déménager le contenu de votre salon plutôt brutalement. On peut donc remercier Indian d’avoir sollicité Brembo pour le freinage. Les étriers 4 pistons M4.32 ne seront pas de trop pour arrêter les 220 kilos tous pleins faits.
On se permet de remarquer la forme des tubes d’échappement, qui rappellent une certaine Ducati Diavel. Mais on remarque surtout la fourche Sachs de 43mm, ainsi que le monoamortisseur, placé horizontalement, réglables en tous sens. Enserrant un treillis tubulaire, sur le cadre comme le bras oscillant (magnifique), le tout offre un look très sportif à la moto. Look parachevé par les Dunlop DT3R, inspirés du pneu de course utilisé par Indian sur le championnat US. Cette machine a l’air faite pour glisser. On n’a pas été déçus.
Sous un soleil matinal tout ce qu’il y a de plus californien, je prends possession de la FTR 1200S qui m’accompagnera toute la journée. Certains veinards montent sur des Race Replica, à la peinture unique et équipées d’un échappement Akrapovic au look sympa. L'échappement d'origine, un peu volumineux, s'intègre tout-de-même bien à la ligne. Les coloris de la S se veulent plus classes, mais sont tout aussi sexy. Elle dispose d'un logo Indian en relief, sur les flancs du réservoir, du plus bel effet. Mes mains trouvent naturellement les poignées du large guidon, je règle les très jolis rétroviseurs et mets le contact. Après l’introduction, USA obligent, qui nous rappelle le danger de la conduite sur motocyclette, je peux choisir entre deux configurations d’écran, ainsi que le mode jour ou nuit (qui changent aussi automatiquement). Le soleil brillant, j’oublie immédiatement la cartographie Rain et me concentrerai sur le mode Street pour démarrer la journée.
Les V-twins s’ébrouent relativement discrètement, normes Euro4 obligent, et notre petite colonne, emmenée par Geoff, notre guide, s’insère dans le trafic californien. Les premiers mètres sur Ocean Avenuesont sereins et déjà enthousiasmants. Le couple, très présent et culminant à 5'900 tours/minute, permet d’évoluer facilement en ville. La maniabilité est satisfaisante et l’aspect massif du moteur n’est finalement que visuel, même à l’arrêt. Le pneu de 19 pouces y est sans doute pour quelque chose aussi. Mention spéciale à la boîte de vitesses, dont les rapports passent en douceur et rapidement.
Sur la Pacific Highway, nous avions été prévenus du comportement erratique de certains conducteurs. A leur décharge, ils ne devaient pas spécialement s’attendre à se faire doubler de tous les côtés par des machines semblant sorties d’un ovale de flat-track, lancées à tombeau ouvert sur les multiples voies à disposition… J’avoue que si le compteur est bien fichu, je n’ai pas spécialement osé le regarder, de peur d’avoir à mentir à un officier de la Highway Patrol. La pêche du gros bicylindre aidant, nous arrivons heureusement vite sur un terrain de jeu plus adapté et relativement désert. Les canyons nous tendent les bras.
Après quelques virages sur une route tortueuse à souhait, plusieurs évidences me sautent aux yeux. D’abord, notre guide Geoff est complètement fou. Le mot "limitation" semble complètement dénué de sens pour cet homme, que nous suivons ventre à terre avec une certaine exaltation. Deuxièmement, la FTR 1200 S est vraiment un sacré jouet, qui m’a mis en confiance dès les premiers virages. Le train avant s’avère d’un équilibre assez stupéfiant dans des dimensions pareilles et le feeling est excellent. Troisièmement, les canyons californiens sont clairement dotés de routes aussi jouissives que dangereuses. Les virages semblent dessinés sans aucune progressivité, les rochers omniprésents garantissent une addition salée en cas de faux pas et la bande centrale est pourvue de reliefs qui feraient bondir un comité européen de sécurité routière.
Quel pied ! Le feeling de l’accélérateur ride-by-wire permet d’utiliser au mieux le potentiel du twin. Ha ! Ce moteur ! Le comportement à bas-régimes est simplement délicieux: on enroule en sixième sans même s’en rendre compte, bercé par un léger poum-poum très américain. A mi-régimes, le moteur s’excite et offre des accélérations façon gros élastique, avant que l’aiguille s’affole et envoie les chevaux jusqu’à 9'000 tours/minute. Les sensations sont au rendez-vous mais le comble, c’est que comme sur un bon moteur destiné à la performance, la puissance est en tout temps dosable et exploitable. Oui enfin, ça, c’était jusqu’à ce que je débranche l’antipatinage…
Ayant senti dès les premiers mètres le potentiel fun de la FTR, c’est à la faveur d’un bref arrêt photo que je déconnecte ABS et contrôle de traction, via un mode spécial appelé Track sur le compteur de l’Indian. Nous repartons aux trousses de Geoff, qui ne s’est évidemment pas calmé, pour une nouvelle portion de route zig-zaguante. Cartographie sur Sport, je profite de la meilleure réponse des gaz possible et de la pleine puissance du V-twin. Le pneu arrière m’indique par quelques remous qu’il fait ce qu’il peut, mais que l’électronique apportée sur cette FTR était bien là pour quelque chose. Devant mon entêtement, il me faxera le message à la compression suivante, sur l’angle, sur laquelle je m’offre un décrochage plutôt acrobatique.
Désarçonné mais pas catapulté, je tiens les gaz et termine miraculeusement la courbe sur mes deux roues. Collé au feu arrière de Geoff, je me concentre sur la progressivité de ma main droite jusqu’au stop suivant, qui arrive heureusement très vite. Je réactive l'électronique. Idiot. C’est pourtant goguenards que nous arriverons au terme de la première boucle matinale. Je reste très impressionné par la sportivité de la machine, qui propose un comportement vraiment très sain et progressif. Le feeling est omniprésent, dans toutes les phases de la conduite, conjugué à de super sensations.
Le train avant évident et le freinage vraiment costaud mettent en confiance, tandis que la position, légèrement basculée sur l’avant, bras écartés, offre un contrôle permanent. L'arrière mérite un poil de dureté en plus et l'amortisseur Sachs est heureusement totalement réglable. Les cale-pieds un poil large peuvent dérouter sur certains positionnements du pied, mais le grip est bon et la mobilité des jambes n’est pas pénalisée. On pilote vraiment cette Indian et c’est ce qui me plaît : elle n’entre pas dans la case où on aimerait la mettre.
Pendant le lunch, en échangeant avec mes confrères et le staff, nous tentons de déterminer le positionnement de la FTR sur le marché. Elle n’est sans doute pas un cruiser, même si elle en conserve certains charmes. Elle n’est pas un roadster sportif, même si ses caractéristiques s’en rapprochent. Elle n’est pas un scrambler, ni une machine dite lifestyle. Ou bien justement, le style qu’elle propose (voire impose...) n’existait-t-il simplement pas encore ? C’est dans une envie de compréhension que j’aborderai l’après-midi.
Sur des routes toujours aussi remuantes, au propre comme au figuré, le comportement de la FTR m’aura à nouveau bluffé. Vraiment excellentes, les suspensions offrent un très bon ressenti : la machine vit, bouge, mais reste d'une stabilité exemplaire. L’électronique travaille bien et permet de compenser l’adhérence parfois légère du pneu arrière sur les fortes contraintes : la motricité est excellente et la répartition des masses aide à jouer avec la moto. Qui ne rechigne pas à s’extraire des courbes sur une roue. Ni à y entrer en glisse, m’étant offert un ou deux essais (plutôt navrants) après avoir à nouveau débranché les aides électroniques… Idiot.
Mon cerveau est pris entre deux pensées à mesure que l’essai avance : la FTR 1200 n’entre dans aucune case vraiment définie et l’envie de lui coller à tout prix une étiquette me titille. Ensuite, comment une machine de cet acabit peut pousser à tester autant de bêtises sur des routes inconnues ?
La réponse se trouve là, en fait. Indian a réussi à produire une machine authentique, légitime au vu de l’histoire de la marque et son palmarès en flat-track. Une machine performante, l’ensemble moteur et châssis fonctionnant à merveille, aidé par une électronique loin d’être superflue. Une machine extravagante qui, derrière un look très étudié et classieux, se mue sans aucun complexe en gros jouet pour enfants pas sages. Indian a réussi à produire quelque chose de différent, qu’on n’attendrait pas forcément d’une marque à laquelle on colle trop volontiers un calque. USA = cruiser. Eh bien non. Plus maintenant.
Au vu du tarif de la machine, 17'490.- tout de même, on la placerait dans le secteur des roadsters premium, tendance rétro. Pour l’opposer à des BMW R NineT ou des Triuph Thruxton R ? Pourquoi pas ? Je me demande finalement si la FTR, comme toute moto, ne doit pas être simplement appréciée pour ce qu’elle est. Ce qu’elle offre. Car son histoire et les idées retenues dans son développement me font penser à celle de la Husqvarna Vitpilen. Une autre machine relativement inclassable, qui assume sa différence et casse les codes sans complexe.
Une chose est sûre, la FTR 1200 S, avec une ligne reconnaissable au premier coup d’œil, un moteur débordant de sensations et une forte identité, est bien une américaine. Une américaine qui s’affranchit des clichés qu’on lui prête, qui peut fièrement revendiquer son héritage tout en osant ouvrir la voie vers une gamme jusque là inédite chez un constructeur US. Comme une pionnière, peut-être, qui propose son lifestyle à la dure, sans concessions. Affaire à suivre sur nos routes du Vieux-Continent, où la FTR 1200 S trouvera clairement sa place.