Hyper-centre de Lisbonne. 8h30 du matin. Un centre-ville saturé comme dans bon nombre de capitales européennes. Après une remontée épique entre les files de voitures à l’arrêt, je me retrouve au feu rouge avec mes cinq camarades du jour. Première ligne. Regards croisés. Main sur l’embrayage. 1ère enclenchée. Tension maximum et respiration en stand-by. Vert ! GAZZZZZZ ! Les six motos décollent instantanément. Leurs roues avant aussi. Les trajectoires se croisent et se recroisent dans un vrombissement infernal sur la courte ligne droite jonchée de chicanes mobiles. Jusqu’au prochain feu. On reprend son souffle. Juste quelques secondes. Avec une régulation des feux « écologique » et donc parfaitement désynchronisée, la scène se répète à l’envi. Dans le plus pur esprit JBT. Une fois sorti de la ville, c’est sur le ruban d’asphalte du front de mer que la bourre se poursuivra. Une bourre d’anthologie, au son du gros mono, entre dérives de l’arrière et freinage de trappeur, le tout enrobé de bonnes grosses vibrations et d’un peu de bave au coin des lèvres.
Mais revenons au commencement. Quand j’ai vu la Svartpilen 701 pour la première fois, je me suis demandé ce qui était passé par la tête des ingénieurs Husqvarna. Soyons honnêtes, le design de la moto est peu conventionnel et fait débat, certains adorant son style moderne et osé, quand d’autres n’hésitent pas à clamer qu’elle a été dessinée par un célèbre fabricant de meubles suédois. Pour ma part, elle rejoint clairement ce genre de moto qui, par sa ligne, et quelques soient ses défauts, nous fait tomber sous son charme. Ou pas, d’ailleurs. Le choix du moteur, surprenant de prime abord, mais logique au vu de l’historique de la marque, rend toute classification de la moto impossible. Est-ce un roadster ? Un scrambler ? Un supermotard à peine déguisé ? L’esprit humain ayant grand besoin de catégoriser tout ce qu’il voit, le voilà à présent quelque peu déboussolé. Pourtant, le concept est simple. Husqvarna veut revenir aux origines de la moto et offrir une expérience de conduite basée sur l’émotion avant tout.
Deux-roues, un moteur, un guidon. La moto dans son expression la plus simple. Avec sa Svartpilen 701, qui présente une ligne épurée et un poids ultra réduit, Husqvarna entend bien recentrer le débat sur ce qui fait l’essence d’une moto : les sensations. Rassurez-vous, il n’est pas question pour autant de vous ramener à l’âge de pierre. Nous sommes en 2019, et la Svartpilen embarque tout de même – discrètement – une certaine technologie. Ainsi, ABS (déconnectable), traction control, embrayage anti-dribble, ride-by-wire et shifter sont-ils au programme. Mais le tout enrobé dans une certaine simplicité, à l’image des comodos ou du compteur LCD. Ce qui peut dérouter, c’est le choix de l’architecture moteur : un monocylindre de presque 700cm3. Et ca tombe très bien parce que moi, j’aime ça, le gromono. C’est un bon moteur, bourré de charme mais un rien caractériel, qui a malheureusement presque disparu dans la production actuelle. La faute à des normes toujours plus strictes, à une fiabilité parfois mise à mal et à un certain manque de docilité, donc de polyvalence.
Pourtant, il présente des avantages, et le premier est de pouvoir s’offrir une bonne dose de sensations sans avoir à risquer son permis à chaque sortie ! J’ai d’ailleurs passé le mien sur une 600 XT qui m’a bousillé plusieurs semelles au démarrage (les anciens sauront de quoi je parle) et j’en garde un excellent souvenir. Bien sûr, il fallait éviter l’autoroute et ses 43cv étaient parfois légers pour les dépassements, mais sur les cols, quel plaisir de cravacher ce petit moulin, dans une symphonie de PoumPoumPoum endiablée. Alors forcément, quand la fiche technique m’a révélé une puissance de 75cv, pour un poids contenu (à sec) de 158,5 kg, dans une partie-cycle minimaliste typée roadster, ça m’a carrément causé. Le gromono serait-il de retour ?
Bien qu’elle aie été présentée à l’EICMA, fin 2018, je n’avais encore jamais eu l’occasion de la voir en vrai. C’est donc en arrivant à l’hôtel, en plein cœur de Lisbonne, que je découvre la moto pour la première fois. WOW. J’ai comme l’impression d’être face à un concept-bike, tant la moto est proche du prototype présenté initialement en 2016. Sérieux, elle est homologuée comme ça ? Plaque phare façon dirt-track, feu de jour cerclé de leds, bloc-compteur extra plat, excroissances latérales du réservoir, selle large, plate et peu épaisse… On se croirait sur un stand de designer !
On sent que la recherche esthétique a été poussée, justement sur les lignes du réservoir ou au niveau de la (fameuse) plaque arborant le numéro 701 sur le côté droit. Un rien futuriste, ce look. En termes de finitions, le positionnement de la moto est très clairement premium, même si le plastique reste très présent. Certainement le prix à payer pour un poids contenu. Le soin apporté aux détails est impeccable et rien ne dépasse. Tout est par "Svartpilen" frappé au centre du guidon, ou les multiples sigles "Husqvarna" qui parsèment la moto, des jantes aux poignées en passant par la selle.
Cela contraste avec certains éléments à l’aspect beaucoup plus brut, à l’image de cet arrière tranché net, comme découpé à la tronçonneuse, ou du bloc moteur semblant prisonnier du cadre treillis en acier, et laissant apparaitre une jungle de câbles et de durites. Quelques fausses notes à signaler tout de même, comme les rétros, probablement piqués à un vélomoteur Kreidler qui traînait dans le coin, ou les commodos, grossiers et indignes d’une moto de cette catégorie. Ceci mis à part, la ligne est somme toute plutôt agréable à regarder. On notera que pour une fois, le pot d’échappement d’origine ne ressemble pas à celui d’un scooter et participe grandement au look, à mon sens plutôt réussi de la moto. Si je ne pourrai pas la qualifier de « belle », je dois dire que je trouve un certain esthétisme à ses lignes, entre fluidité et tension.
Il faut rendre cela à Husqvarna : la marque ose sortir des sentiers battus. Et justement, les pneus, des Pirelli MT60 RS au profil plutôt escarpé, semblent presque donner une orientation scrambler à la 701. Pourtant, la moto conserve une certaine finesse. Elle est relativement compacte, et renvoie une impression de petite machine urbaine, maniable et joueuse.