
Si on remonte à ses origines, un trail, c’était une machine légère, simple et robuste. Et au fil des décennies, quelque chose a déconné. Il n’y a qu’à voir la fiche technique d’une certaine bavaroise pour se rendre compte qu’on est à des années lumières de l’esprit original. Fini, la possibilité de réparer sa moto facilement au fin fond de l’Afrique. Et je ne parle même pas du prix, tant un gros trail bardé d’options voit son prix se rapprocher de celui d’une GT. Et c’est précisément là où les japonais de Kawasaki font la différence. Involontairement, diront certains. Par choix, répondront les autres. Toujours est-il qu’avec une simplicité qui se retrouve dans l’absence de débauche technologique et un prix défiant toute concurrence, la Versys 1000, testée ici dans sa version Grand Tourer, semble une être une sacrée bonne affaire. Cela fait un moment que cette moto, qui n’est pas une nouveauté, ni une moto que l’on croise à chaque coin de rue, m’intrigue. Pourtant, chaque fois que j’ai rencontré un motard à son guidon, il me disait en être pleinement satisfait. Alors j’ai voulu essayer, moi aussi. Juste pour voir. Attardons-nous donc un peu plus sur la bête.
Une touche de sportivité
Malgré une ligne générale assez chargée et un look un brin daté, la grande Versys flatte la rétine. Notamment grâce une élégante robe verte teintée de noir, soulignée par de discrets liserés sur les jantes et sur les valises. Bien que sans audace particulière, le design reste assez fluide et est accrocheur, avec une petite touche de sportivité amenée par le « vert kawa » et l’image racing qu’il véhicule. Il faut dire qu’avec son regard en amande, elle adopte un style nettement plus consensuel que celui de la version antérieure, plus osé, mais qui était loin de remporter l’unanimité. La finition de l’ensemble est bonne et inspire confiance. On regrettera juste que les autocollants sur les carénages ne soient pas vernis et que le bouton des feux additionnels soient si mal intégrés. Le tableau de bord, quant à lui, prend un coup de vieux par rapport à la concurrence, avec un affichage à cristaux liquides désuet et un compte-tour à aiguille classique. Simple et efficace, mais l’ensemble manque de fun et nous ramène 10 ans en arrière. Sans compter qu’il va falloir se pencher en avant pour manipuler les boutons de trip directement sur le tableau de bord. Pas très pratique, d’autant que l’ordinateur de bord est plutôt complet. L’ensemble valises et top-case est d’excellente facture, avec un design franchement sympa, en harmonie avec les lignes dynamiques de la moto. Le message est clair : c’est une voyageuse, mais cela reste une Kawa ! Dans l’ensemble, la qualité perçue est très bonne, et encore plus lorsqu’on la positionne par rapport à son prix. Car à 17'450.- telle que vous la voyez, le rapport qualité-prix est clairement imbattable.
Un équipement de série plutôt complet
En effet, cette version « Grand Tourer » est richement équipée, et prête pour la virée de votre choix, que ce soit la balade du dimanche ou un trip de 3 semaines en direction du Cap Nord. Il s’agit en fait d’une Versys 1000 classique (14'700.- à 14'900.- CHF selon le coloris choisi) auquel vient s’ajouter un pack tourisme, à 2550.- CHF. Lequel comprends un équipement plus que complet. On y trouvera donc un ensemble de valises latérales et top-case (peint dans la couleur du véhicule), des sacs de transports dédiés, des pares-carters, des feux additionnels LED, une béquille centrale, des pares-mains, une prise 12v au tableau de bord, un support de GPS (TomTom) et même un tankpad aux couleurs de la moto. Ne manque qu’un régulateur de vitesse et des poignées chauffantes, si l’on veut vraiment pinailler… quoique sur une moto à la vocation voyageuse aussi prononcée que celle-ci, cela peut sembler mesquin que cela ne soit pas livré de série. En tous les cas, l’équipement est pléthorique et se concentre sur l’indispensable. Pas de système keyless, par exemple, et ce n’est pas forcément un mal. Une panne potentielle de moins. Pour le vieux motard que je suis, rien n’est plus angoissant que de s’imaginer à l’autre bout du monde avec une clé électronique non reconnue. Dans l’ensemble, cela respire la qualité. Allons donc tester tout cela.
Une 1ère impression… déroutante
Au moment de monter à bord, un autocollant bizarre attire mon attention. Sur les valises, une inscription en anglais stipule qu’il est formellement interdit… de s’asseoir dessus. Anecdotique bien sûr. Mais je reste curieux de savoir par quel cheminement intellectuel cet autocollant a fini apposé ici. Bon, cela m’aura au moins donné le sourire. J’enfourche la moto et suis immédiatement à l’aise. Les commandes tombent naturellement sous la main mais la hauteur de selle relativement importante (840mm) pourra en rebuter certains. La selle semble d’ailleurs confortable, malgré une inclinaison assez prononcée sur l’avant. Démarrage de la belle verte, et on a beau s’y attendre, le bruit du moteur surprend. Bien que discrète au ralenti, la sonorité du bloc de 1043cm3 est typique d’un quatre-en-ligne, avec un timbre presque métallique. Le fait d’avoir quatre pistons entre les jambes est déroutant, et ce n’est que le début. Je vais être franc, la Versys a complétement chamboulé mes repères. Je me suis très fréquemment fait surprendre à rouler bien plus vite que la législation ne l’autorise. Pas parce que je suis un rebelle, mais simplement car j’ai pris l’habitude de rouler à l’oreille, et que sur un trail, on a généralement entre les jambes un bon gros bicylindre, voir un gromono et que le cocktail sonorité/vibrations est en général assez prononcé. Ici, rien de tout cela. J’ai l’impression que la moto dans son ensemble est enveloppée dans de la ouate. J’enclenche la 1ère, sans un mot, sans un bruit. Elle passe comme dans du beurre. Décollage en douceur, et me voilà parti à la découverte d’un monde nouveau.
En ville, on frise la perfection
L’impression qui domine est bien celle de la douceur. Douceur de la boite, donc, mais aussi douceur de la selle, des commandes et du moteur. Ce dernier est quasi exempt de vibrations, hormis dans le haut du compte-tour, et offre une onctuosité à laquelle je ne suis pas habitué sur un trail. Très agréable dès les plus bas régimes, il est docile et offre une souplesse bienvenue en milieu urbain. Associé à une partie-cycle équilibrée et à un train avant agile, je m’extirpe avec aisance du centre-ville congestionné de Genève. Il faudra juste faire attention aux valises, car la largeur de l’arrière dépasse de peu celle du guidon. Gaffe lors des dépassements ou des remontées de file. Le peu de que j’entrevois du moteur dans ces conditions est vraiment positif. La Versys 1000 Grand Tourer, avec armes et bagages, est d’une polyvalence rare pour un usage quotidien. Très maniable, facile à béquiller, avec une bonne capacité d’emport et un échappement discret à bas régime, elle semble à l’aise partout. Le Japon aurait-il réinventé le couteau Suisse ? Je prends la direction du canton de Vaud, afin de voir ce que la Versys a vraiment dans le ventre.
Autobeurk
Qui dit touring dit trajets autoroutiers. Et c’est là, à mon grand étonnement, que ses principaux défauts m’ont sauté au visage. Et le premier que j’ai ramassé en pleine face, justement, c’est le vent. Malgré un pare-brise réglable en hauteur sur plusieurs positions. L’opération se fait à l’arrêt en quelques minutes, très facilement via deux molettes. Mais cela n’a rien changé. Les turbulences m’ont secoué sur l’ensemble du parcours, générant une forte pression sur le torse. Paradoxalement, la tête n’était pas trop impactée. Peut-être est-ce dû à ma taille (1m84) mais je n’ai pas réussi à trouver de bon réglage afin de limiter ces turbulences. Au niveau des jambes par contre, la protection semble assurée de façon plus que correcte, bien que je n’aie pas eu la chance de tester la Versys sous la pluie. Dommage, encore une fois, que les poignées chauffantes ne soient pas – plus, selon le concessionnaire – incluses dans cette dotation « Grand Tourer ». Idem pour le régulateur de vitesse, qui prends tout son sens sur de tels trajets, souvent un mal nécessaire pour rejoindre des contrées plus excitantes.
En route !
Me voilà sur les petites routes du Jura. Et là, la belle verte est dans son élément. Les suspensions, si elles ne sont pas de plus rigoureuses en conduite sportive, amènent un confort bienvenu, de bon augure pour de futurs voyages. D’ailleurs, au terme de 300km, la fatigue ne se fera absolument pas sentir et on pourrait aisément repartir pour un tour. La selle est un juste compromis entre moelleux et fermeté, et seule sa pente m’a quelque peu dérangé, pour l’interdiction de changement de position qu’elle impose. Reste qu’on prend du plaisir à la balancer d’un virage à l’autre. On pourrait penser que son poids (250kg tout plein faits) pourrait donner quelques sueurs froides mais non, l’équilibre est parfait, le train avant vif et la moto assez joueuse dans les enchainements. La répartition des masses est idéale et on ne ressent pas la moindre inertie. Elle se laisse guider du bout des doigts et met immédiatement son pilote en confiance. Le freinage est facilement dosable, et suffisamment puissant pour rouler avec fluidité sans arrière-pensée. Equipée de l’ABS et d’un contrôle de traction réglable sur trois niveaux, on se sent en parfaite sécurité quelques que soient les conditions. D’autant qu’en cas d’adhérence précaire, on peut compter sur un mode « Rain » apaisant encore le caractère du moteur. Mais celui-ci fait déjà preuve d’une grande souplesse, inégalable dans la catégorie, avec des reprises possibles au plus bas du compte-tour. Les montées en régimes sont progressives et les 120 chevaux annoncés sont bien là, distillés de façon assez linéaire. Attention, je ne dis pas que le moteur est mollasson. On peut compter sur sa force pour s’extraire des épingles. De discrète au démarrage, la sonorité est devenue plus présente, avec un feulement typique d’un 4 cylindres, qui participe d’ailleurs grandement aux sensations procurées. Ne cherchez pas ici d’explosivité, de rage ou de hargne, le moteur vous emmène avec force et vigueur d’un virage à l’autre, dans une douceur de fonctionnement très agréable. J’aurai personnellement apprécié une plus grande vivacité, avec un bon coup de pied au c… à mi-régime. Mais la Versys tire sa force de son homogénéité. Son moteur est une force tranquille et son châssis est un savant équilibre entre tenue de route et confort de suspensions. Une main de fer dans un gant de velours, comme on dit. Sauf que dans ce cas précis, on a l’impression qu’une couche de ouate supplémentaire a été rajoutée tellement l’ensemble est doux et agréable. Il n’y a que sur la gestion de la poignée de gaz que le tableau s’assombrit un peu. Le ride-by-wire donne en effet des petits à-coups, tant à la coupure et qu’à la remise des gaz. Pas rédhibitoire, mais gênant à la longue. Encore un petit détour par les chemins de traverse, juste l’occasion de vérifier que malgré son côté routier prononcé, les chemins et les cailloux n’effraient pas notre belle japonaise. Ce n’est pas sa destinée première, mais elle s’en accommodera avec aisance, pour le plus grand plaisir de son pilote.
Aspects pratiques
De ce côté-là, c’est du tout bon. La Kawa a été d’excellent compagnie et m’a fidèlement accompagné lors de différents reportages. Agréable surprise pour une moto si haute, elle se béquille vraiment facilement sur la centrale, sans forcer. La bagagerie d’origine a confirmé sa solidité en embarquant avec courage mon sac contenant mon appareil photo et mes lourds objectifs. A noter : vous y glisserez aisément deux casques pour peu qu’ils ne soient pas, comme le mien, des modulables en taille XXL. Les valises, de par leur forme biscornue, ne sont pas très logeables, malgré la présence bienvenue de sangles pour maintenir vos affaires à l’intérieur, l’ouverture se faisant latéralement. N’essayez pas de profiter discrètement de sa capacité d’emport pour aller chercher quelques cartons de vin chez le vigneron du coin, vous ne pourrez en embarquer qu’un seul, dans le top-case. Je le sais, j’ai essayé. Et on ne rigole pas ! De nuit, sur le chemin du retour, c’est l’occasion de tester l’éclairage, sur les routes forestières étroites parsemées de feuilles mortes. Déjà efficace d’origine, le faisceau s’élargit davantage avec l’enclenchement des feux additionnels à LED, et seule la différence de chaleur (ampoule classique sur le phare) peut perturber la rétine. Mais c’est du tout bon, et l’arrivée à l’étape de nuit ne devrait pas vous effrayer. Cela risque d’ailleurs souvent d’être le cas, car avec une consommation maitrisée (5,4l/100 durant l’essai) et un réservoir de 21l, l’autonomie théorique est largement supérieure à 350km. Pourquoi s’arrêter alors qu’on est si bien assis ?
Alors ?
Cette Versys tape dans le 1000. Je sais, c’est facile. Mais c’est pourtant le cas. Elle est non seulement rassurante, mais aussi sacrément plaisante. Une sorte de compagnon idéal, qui ne rechignera jamais à vous emmener à son bord, que ce soit pour vous rendre au boulot comme pour vous lancer dans un tour du monde. Et finalement, force est de constater qu’elle se pliera donc vraiment en quatre pour son pilote, ce qui n’est donc pas qu’une simple allusion à son moteur. Kawasaki rend une copie proche de la perfection. Une ligne agréable et flatteuse, un petit air racing, un moteur souple et puissant, une boite douce et un équipement très complet pour un prix ultra compétitif. Voilà un ensemble diablement efficace sur petite route sinueuse comme en voyage au long cours. Seulement… il manque quelque chose. Si je n’ai rien à lui reprocher de précis, je n’ai pas retrouvé ce petit truc en plus qui me fait tant aimer une moto. Un peu plus de passion, un peu plus de folie, juste pour déclencher un coup de cœur. A force de vouloir faire le grand écart pour satisfaire tout le monde, j’ai l’impression que la Versys y a perdu une partie de son âme. Mais justement, m’sieur Kawa ! C’est une sacrée bonne moto que vous avez là, et le fait d’y avoir mis un quatre cylindres est une vraie bonne idée. Alors pourquoi ne pas aller encore plus loin et mettre le moteur de la H2 là-dedans ? Une sorte d’hyper-trail avec un de ces designs tranchés dont vous avez le secret. Bien sûr, la simplicité passerait à la trappe… mais imaginez seulement quelle petite bombe ce serait !