La dernière version de la Kawasaki Ninja ZX-10R est apparue en 2016 et j’avais déjà eu le bonheur de la tester sur le tracé de Sepang, me faisant au passage enrhumer par Tom Sykes qui avait dû perdre ou oublier son repère de freinage à l’hôtel tant il l’avait repoussé loin au bout de la ligne droite… mais ceci est une autre histoire.
Pour cette version SE, nous avons eu la chance, enfin surtout moi, d’être parmi les 18 journalistes européens à pouvoir essayer cette nouvelle mouture de la Ninja qui marque l’entrée du constructeur japonais dans le monde des suspensions électroniques. Et cette entrée s’est faite avec le partenaire historique de Kawasaki : Showa.
Ces nouvelles suspensions, dont le système est dénommé KECS par Kawasaki, ont donc été conçues en étroite collaboration avec Showa. Ce ne sont pas des suspensions qui ont été adaptées à la ZX-10R, mais l'une et l'autre qui sont totalement développées ensemble. La fourche et l’amortisseur sont d’ailleurs les mêmes qui ceux qui équipent la moto standard, ils ont (juste) été dotés de valves solénoïdes.
Pour placer directement le chiffre qui fait la référence de ce système, le temps de réaction est de 1 milliseconde ! Imaginez qu’un clignement d’oeil prend entre 100 et 150 millisecondes, le système est donc capable pendant ce même temps de calculer et effectuer au besoin entre 100 et 150 corrections des lois d’amortissement… impressionnant !
Pour ce faire, la Ninja est dotée de deux ECU : un qui gère le moteur et l’autre qui gère les suspensions, et ce bien que les deux systèmes communiquent constamment. Les valves solénoïdes sont de type directes et tant la fourche que l’amortisseur disposent d’un capteur de vitesse d’enfoncement. En cela, Showa et Kawasaki sont les seuls à proposer un tel système, la concurrence se pourvoyant soit de systèmes indirects ou ne bénéficiant pas de capteur d’enfoncement.
Les deux partenaires japonais ont aussi pu mettre en oeuvre le fruit de leur longue collaboration en WSBK et Showa a pu amener à Kawasaki son expérience acquise en Japan Superbike où les suspensions électroniques sont autorisées et où Showa a fait rouler une moto d’une marque concurrente en 2015.
On notera toutefois que le système qui équipe la Kawa est dit semi-actif car la précontrainte du ressort est réglée manuellement. Cependant, pour définir une bonne précontrainte, il suffit de le faire une fois avec la moto à vide et ensuite avec le pilote, ensuite c’est l’hydraulique, gérée électroniquement ici, qui fait la différence.
Une définition donnée par l’ingénieur Showa m’aura également marqué, et également fait sourire, durant cette présentation : avec le KECS plus besoin d’outils, un doigt suffit ! Le système dispose en effet de 3 modes : road, track et manuel. Enfantin ! Juste un petit mot sur le mode manuel : il dispose autant à l’avant qu’à l’arrière de 15 crans en compression et 12 crans en détente.
Avant de partir rouler juste encore un petit résumé sur les 3 différentes ZX-10R :
On commence notre essai par un tour sur la route afin de tester en mode road. Pas de soucis d’adaptation pour moi, je connais déjà la Ninja pour l’avoir roulée il y a deux ans.
On attaque notre tour à un rythme tout de même assez soutenu, bien que les routes espagnoles autour du circuit d’Almeria ne soient pas forcément lisses comme le crâne de Kojak. Cependant, la ZX-10R SE s’y comporte bien et absorbe bien les irrégularités. Je ne dirais pas que c’est une GT, mais pour une sportive elle fait preuve d’un confort bienvenu.
D’ailleurs, nous avons effectué deux fois une boucle d’une dizaine de kilomètres, une fois en mode road et une fois en track pour comparer. Et le moins que l’on puisse dire c’est que c’est flagrant !!
Là où avant, le KECS absorbait les irrégularités de la route, façon tôle ondulée, cette fois en mode track on ressent presque chaque grain du bitume. La différence se sent aussi au freinage où la fourche ne s’enfonce quasiment plus.
C’est d’ailleurs sur ce point, le freinage, que le système KECS apporte le plus en regard d’une fourche conventionnelle. En effet, l’électronique réagissant et modifiant la loi d’amortissement, l’enfoncement se fait régulièrement à contrario d’une fourche classique qui s’enfonce et se détend un peu.
Pour le retour sur le circuit je me remet en mode road pour profiter du confort et du quatre cylindre puissant et coupleux de la Kawa.
La première session se fait en mode road, ce qui est parfait car c’est mon premier roulage sur le circuit d’Almeria qui n’est autre que le jardin d’entrainement quasi quotidien de Tito Rabat. Et le tracé n’est pas des plus simples à apprendre avec 2 virages à droite à l’aveugle où il est facile de sortir de la piste en cas d’erreur de trajectoire. Le freinage avant la chicane est également très piégeur ! Mais comme on dit : c’est ça qu’c’est bon !
Revenons à nos moutons verts, bien que le mode road soit parfait pour découvrir le tracé, on sent tout de suite que la ZX-10R SE n’est pas des plus à l’aise. A l’accélération, la suspension peine à encaisser les 200cv et pompe pendant que la fourche s'avère trop souple sous les assauts du maître cylindre Brembo, qui ordonne aux pinces M50 de même provenance de mordre les disques de 330mm.
Pour la deuxième session on passe en mode track et là, c’est un nouveau monde qui s’ouvre à moi ! Il est maintenant possible d’ouvrir les gaz en grand en sortie de courbe et la Kawa trouve sa trajectoire, l’amortisseur encaissant maintenant parfaitement la charge.
Il en est de même au bout de la longue ligne droite où il faut passer de 6ème en 2ème sur 200 mètres. La fourche encaisse parfaitement la charge et la moto bouge juste un peu de l’arrière ce qui est bien normal vu la charge mise sur les freins.
A ce propos, l’ABS est entièrement paramétrable et il est possible de le garder actif, de le couper à l’arrière seulement ou complètement. Perso, je l’ai coupé à l’arrière, c’est ce qui occasionnait ces mouvements, la roue arrière pouvant glisser à sa guise. D’ailleurs le freinage de la ZX-10R SE est tout simplement bluffant et ne faiblit pas au fil des tours, ce qui est très agréable et pas toujours le cas sur les motos de la concurrence.
Un autre accessoire est un allié précieux sur ce tracé qui tourne beaucoup, il s’agit du blipper. Celui-ci fonctionne très bien et permet de monter rapidement les rapports, alors que le rétrogradage se fait parfaitement. Il faut dire que ce blipper est couplé à un embrayage antidribble qui permet par exemple lors du freinage de la chicane, qui se fait sur l’angle, de rentrer deux rapports sans toucher l’embrayage sans que la moto ne bouge.
Au passage, j’ai apprécié les jantes forgées Marchesini qui amènent une grande agilité à la ZX-10R SE notamment au passage de la chicane où il faut balancer rapidement la moto de gauche à droite, cela se fait sans effort.
Maintenant que je commence à avoir le tracé dans la tête, j’attaque la troisième séance en mode manuel avec un réglage défini par Yannick, le mécano-pilote du staff Kawasaki. Bien que la différence ne soit pas flagrante, la moto gagne encore un peu en précision, mais je ne saurais dire si c’est grâce aux réglages ou à ma meilleure connaissance du tracé qui me permet de rouler plus propre.
Enfin, pour mon dernier run, vu que c’est mon anniversaire je peux m’élancer en premier pour une série de 4 tours au guidon de la Ninja ZX-10R SE équipée d’une ligne complète Akrapovic bien évidement démunie de sa chicane. Vive l’Espagne !
Après les deux premiers virages j’ai quasiment un orgasme auditif tant il est bon d’entendre le quatre cylindre en ligne Kawa hurler dans les tours. C’est une véritable symphonie, on reconnait un moteur Kawa entre mille, on l’entendrait presque chanter « libéréééé délivréééééé ». Ensuite, cette ligne donne encore plus de rondeurs au moteur et permet de passer plusieurs virages avec un rapport supplémentaire, le couple plus présent permet de s’extraire encore plus facilement.
Et que dire des broaarrps à la décélération… je prends encore plus de plaisir à jouer avec le blipper sur les gros freinages et à laisser le moteur s’exprimer. Mais comme tout ce qui est bon, c’est trop court et il faut que je donne mon cadeau d’anniversaire à mon collègue, qui trépigne d’impatience sur le pit-lane.
Cette Ninja ZX-10R SE remplit parfaitement l’adage qui lui a été affublé : best of both worlds, à savoir tirer le meilleur des deux mondes de la route et de la piste.
Elle est parfaite pour celui qui veut faire des TrackDays (ou des AcidTracks) mais qui n’est pas un expert dans le domaine vaste et compliqué du réglage des suspensions ou qui n’a pas un ingénieur Showa dans ses proches amis. La SE permettra comme indiqué par l’ingénieur Showa (lui, il faut que je le garde dans mes contacts) d’adapter ses suspensions pour le passage de la route à la piste et vice versa d’un seul clic sans sortir un tournevis.
Force est de constater que le système développé par Kawasaki et Showa possède une longueur d’avance sur la concurrence. Les Verts ont d'ailleurs commencé par une sportive, car c’est ce qu’il y a de plus compliqué. Le système devrait donc être à l’avenir adapté à d’autres modèles de la marque.
Enfin, on notera qu’il n’y a absolument aucune différence à l’entretien entre une suspension KECS et classique.