Il fait 7 petits degrés à Cheste (ES), sur le Circuit de la Comunitat Valenciana Ricardo Tormo. Le nom complet en jette et je n’en mène pas large. On voit à peu près à 15 ou 20 mètres et notre petite colonne de journalistes suit Alessandro Valia, le pilote d’essai maison, les fesses serrées. La dernière fois que je suis monté sur une Panigale, il faisait la même température et elle avait deux cylindres de moins. Ça c’était plutôt mal fini.
Mes roulés boulés dans les graviers de Dijon encore en tête, je suis presque heureux de me traîner dans le dernier secteur du circuit, avant de revenir aux stands avec mes confrères. Beaucoup plus belle en vrai qu'en photo, la Panigale V4S ne mérite pas d'être cassée. L’idée de lâcher les 214 chevaux du nouveau moteur Desmosedici Stradale sur le technique tracé espagnol dans ces conditions n’est pas spécialement rassurante.
Parce qu’il y a de quoi transpirer rien qu’en détaillant les caractéristiques de la nouvelle Superbike de Borgo Panigale. Surpuissant, le V4 à 90° se veut surtout coupleux, avec 124Nm à 10'000 tours/minute. Grâce à son calage Twin Pulse, le V4 fonctionne presque comme un twin et son comportement rappelle celui de la 1299 S, jusqu’à 11'000 tours/minute. Le son d’une MotoGP en plus. Et avec 3'000 tours restants au compteur.
A 13'000 tours, le V4 délivre donc 214 chevaux, soit la puissance la plus élevée de la catégorie. Aves ses 195 kilos, l’Italienne s’offre un rapport poids/puissance de 1,1 cheval/kilo. Ceci grâce à son châssis ultra-léger, qui se greffe sur le moteur, qui est partie intégrante de la rigidité de la machine. Le cadre en aluminium pèse 4,2 kilos, à peine plus lourd que mon chat de 5 mois… Ajoutez-y une araignée en magnésium de 700 grammes, une boucle arrière de 1,9 kilos et un mono-bras oscillant de 5,1 kilos ; vous obtenez un total de 11,9 kilos. Genre, le poids qu’on pense avoir pris après les fêtes…
J’ai encore en tête le moment où je faisais sauter en rigolant le cadre de la Panigale V4 entre mes mains, quelques minutes auparavant, dans le superbe hospitality du team MotoGP. On rigole moins quand on sait que ce petit bout d’alu tout léger empêche une machine de se disloquer à 270km/h. Respect, petit bout d'alu. Inspiré du châssis de la Desmosedici de GP, cet élément en aluminium prend la place de la structure monocoque connue sur l’ancienne Panigale. Torsion et rigidité latérale sont donc distincts, ce qui permet au châssis de mieux absorber les irrégularités de la piste et les contraintes infligées par la puissance du moteur.
A chaque bout du châssis, Öhlins a fourni ses plus beaux éléments d’amortissement. La fourche NIX-30 de 43mm, entiérement réglable électroniquement via le Öhlins Smart EC 2.0, garantit le top du top au train avant, alors que l’amortisseur TT-X 36, également à réglage électronique, prend place sous le réservoir, qui se termine sous les fesses du pilote. Les superbes jantes Marchesini, en aluminium forgé, accueillent les nouveaux Pirelli Diablo Supercorsa SP, dont l’arrière se dote du format 200/60 utilisé en Superbike. Plus de surface en contact avec le sol, donc plus de grip et de stabilité.
Il en faudra pour encaisser la puissance de freinage proposée par les étriers Brembo Stylema, dernière évolution du fameux étrier monobloc M50. Plus légers de 70 grammes, plus compacts et mieux ventilés, ils n’attendent que votre demande pour mordre les disques de 330mm. L’arrière est équipé de Brembo également, alors que le tout est chapeauté par un cornering ABS de chez Bosch, disposant d’une foule de réglage et permettant une gestion optimum du mordant pendant vos freinages de trapeur.
Le brouillard s’est levé et il va être temps d’y aller. Premier contact avec la bête : 10 minutes de repérage du circuit, lors desquelles j’aurai particulièrement apprécié le caractère moteur, effectivement semblable à celui de la Panigale V2. Tractant sans faiblir, il semble offrir une puissance illimitée et toujours disponible, seulement bridée par l’électronique. Sur le mode Sport, l’un des trois mappings moteur disponibles, la réponse du moteur est moyenne et les aides électroniques essentielles étaient réglées de manière un peu trop intrusive pour un usage sur circuit. Au niveau 5 sur 8, l’antipatinage (DTC EVO) calibré sur une plateforme inertielle à 6 axes, empêche la puissance de déporter la machine vers l’extérieur, à moins de relever plus nettement la Ducati en sortie. Le wheelie control (DWC EVO) réglé sur 4 n’est que peu sollicité.
Reste qu’à l’approche du haut du compte-tours, on ressent une nette augmentation de la poussée. Les 214 chevaux sont bien présents et propulsent la machine à plus de 270km/h au bout de la courte ligne droite du tracé ibérique. Sur cette session en rythme plus que tranquille, le freinage se sera montré sans reproches. Grâce au Ducati Quick Shifter (DQS), qui permet de se passer de l’embrayage pour monter ou descendre les rapports, la main gauche reste libre pour tripoter les deux commodos de réglage des modes de puissance et des aides électroniques. Quand à moi, c’est en sueur que je rentre aux stands, après cette petite séance sportive. Mon physique poussif n’a pourtant pas fini d’en prendre pour son grade : la Panigale V4 S équipée du kit Ducati Performance et ses 226 chevaux m’attendent dans 20 minutes. Génial.
Si les 214 chevaux du Desmosedici Stradale m’avaient déjà impressionné en mode Sport, c’est bien sur le mode Race que les 226 bourrins de la version Ducati Performance comptent me satelliser pendant le prochain quart d’heure. DTC et DWC réglés sur 3, toujours sur 8 niveaux, ABS sur l’avant uniquement et mapping moteur le plus direct : la Bête s’éveille au son assourdissant de la ligne Akrapovic. Dix secondes plus tard, les mécaniciens italiens déroulent les couvertures pour dévoiler les slick Pirelli Diablo Superbike qui équipent cette version kit. La machine est débarrassée de ses béquilles et un mécano la tient verticale en attendant que je veuille bien monter dessus. Un peu que je veux !
A peine sorti de la voie des stands, je passe le 3e rapport et mets du gaz jusqu’au virage N°2, un petit gauche serré bien bâtard. C’est avec un mélange de stupeur et d’ébahissement que me retrouve au point de freinage dans un bruit de tous les diables et passe le gauche comme une simple formalité. En 2e, gaz en grand, le V4 propulse ma misérable existence vers la cassure suivante, la roue avant à quelques centimètres du sol.
Le quart d’heure complètement ahurissant qui suit sera dans la même veine. A chaque freinage, chaque courbe, chaque accélération, je saisis un peu plus le potentiel quasi-illimité de cette machine. Grâce aux sublimissimes Diablo Superbike et les suspensions réglées fermes, le comportement de la Panigale est sans faille. Qu’importe la vitesse, l’avant plonge au point de corde à la moindre sollicitation et reste rivé au sol. Lors des accélérations sur l’angle, comme dans le fameux virage 12, un long gauche négocié à fond, le Traction Control et le Ducati Slide Control laissent l’arrière dériver en toute sécurité, alors que la puissance et les décibels du V4 vous plongent dans la plus pure jouissance mécanique.
Toutes les phases de pilotage pourraient se dérouler dans une absolue sérénité si l’on n’avait pas ces 226 chevaux entre les pattes. Décidé à défier les lois de l’espace-temps, le V4 Ducati est ce qui doit se rapprocher le plus de la téléportation. La ligne droite des stands est avalée en un claquement de doigts, alors que le châssis remue sous la contrainte et que… tiens, j’ai passé mon repère de freinage !
Mamma mia ! Ne freinez JAMAIS trop fort avec la Panigale V4. Vous n’auriez plus envie de rien d’autre après. C’est mi-terrifié, mi-ricanant, que je me retrouve la roue arrière en l’air, l’avant plongeant dans le bitume et la moto rejoignant instinctivement le point de corde, à une vitesse au moins stratosphérique (je ne sais pas, j’ai pas regardé). Le pire, après ce freinage dantesque et tous les suivants, c’est que la Ducati me faisait bien comprendre qu’elle en avait encore à revendre. Plus on en met, plus on en a, et ce n’est pas elle qui lâchera la première.
Sur les changements d’angle, on croirait piloter une 125 tant la moto est vive. Le retour d’information des pneus et des suspensions est excellent et la puissance ahurissante reste, grâce à l’électronique, maîtrisable et exploitable. L’ABS sportif ne se sera absolument pas fait sentir, malgré mon insistance sur certains longs appuis : la Panigale reste imperturbable et ma confiance, étrangement, est en hausse tout au long de la session.
C’est rendu à l’évidence même de ma faiblesse et ébahi à chaque instant des capacités de cette divine machine que je vois, à regret, le drapeau à damiers s’abaisser. Après une dernière boucle tonitruante, la Panigale retrouve les mains de son mécano, qui me déplie même la béquille latérale et me laisse, ricanant et tremblant, partir me rouler en boule au fond du box.
Retrouver la version « basique » de la Panigale V4 S à la session d’après aura presque été un soulagement. Le mode Sport me permettra de passer 2 tours emplis de quiétude, avant que la souplesse des suspensions et le moteur trop bridé me poussent à passer en mode Race.
La principale différence, outre le bruit redevenu plus raisonnable, réside dans le feeling des suspensions et des pneumatiques. Difficile d’atteindre le ressenti d’une gomme de compétition avec un pneu du commerce homologué route. Toutefois, malgré un avant un peu plus flou en entrée de courbe, le comportement de la Ducat’ reste exceptionnel.
L’agilité est de mise dans la partie technique du tracé, où la boîte de vitesses et le système DQS permettent de changer de rapport très rapidement dans les enchaînements. La garde au sol est absolument insondable, mes compétence abdiquant bien avant les limites de la machine. Les 214 chevaux d’origine sont bien suffisants et les sensations énormes. Avaler la moitié de la ligne droite en sentant la moto gigoter, puis redevenir un vrai roc lors de la phase de freinage, est totalement grisant.
Plus les sessions avancent, plus les limites de cette Panigale V4S semblent s’éloigner. Je commence juste à faire confiance à l’électronique, à m’habituer à tous les mouvements du châssis à certains endroits du circuit et à tracer des trajectoires correctes, qu’il est déjà temps de rentrer aux stands. Ce ne sont pas mes bras et mes jambes qui s’en plaindront, mis à mal par la puissance infernale du moteur et des freins.
La conclusion que je tire au final de cette découverte de la nouvelle Superbike Ducati, c’est qu’elle est une vraie moto sportive, pensée par et pour la course. Les solutions techniques basiques, comme le châssis léger et le moteur semi-porteur, ainsi que le calibrage orienté « performances » des aides électroniques, font de la Panigale V4 S un petit bout de MotoGP faite pour les « simples » humains.
Ducati ouvre une nouvelle ère dans son histoire de la catégorie Superbike, en nous permettant de toucher du doigt ce qu’est une vraie machine de course. Son comportement pointu, sa réactivité à chaque infime mouvement, la puissance débordante de son moteur et de son freinage, en font une référence du segment et un formidable outil pour la vitesse.
La Panigale est morte. Vive la Panigale !