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On ne vous apprendra rien en vous disant que le vintage, souvent appelé néo-rétro dans le monde moto, est à la mode en ce moment. Faire ressurgir d’anciennes appellations du passé, produire des machines au look léché avec des performances qui permettent de ne pas (trop) craindre les chaleurs ou les ennuis judiciaires, c’est la recette gagnante du moment.
Les constructeurs ne s’y trompent pas, avec de nouvelles gammes Heritage, SportClassic, Modern Classics, voire de nouvelles marques à part entière, comme Ducati avec Scrambler. Et ça marche ! Hier, dans Genève, j’ai croisé pas moins de 4 BMW R NineT, deux Yamaha XSR et une flopée de Triumph Bonneville ou Thruxton. Sans parler de la flopée de Harley Davidson, cas un peu à part, certes. Non, il n’y avait pas que des hipsters barbus à leur guidon !
L’idée d’un petit comparatif s’est donc imposée à Patrick, qui m’a mis entre les pattes la récente BMW R NineT Scrambler et la fraîchement revue Triumph Bonneville, dans sa mouture T120 Black. Si je ne rechigne jamais à monter sur un deux-roues, voire un trois-roues, j’avoue m’être interrogé sur ce choix dans les « adversaires » de notre comparatif. Ayant déjà testé la NineT par le passé, je me doute que cette version Scrambler conserve un comportement vif et des prestations d’actualité. Concernant la Bonneville, si je garde un souvenir ému de la Thruxton Ace, je me rappelle surtout de sa conception ancienne, peu adaptée aux contraintes auxquelles on a désormais l’habitude de soumettre la moindre 250cm3 qui passe entre nos pattes.
J’allais avoir le temps de m’interroger en attendant le camion venant droit de Zürich, un samedi matin pluvieux, pour me livrer les deux machines. Ces dames participaient à un vaste comparatif rétro, organisé par nos confrères de Töff. Preuve que ce segment marche du tonnerre et que nos amis suisses-allemands savent remercier les confrères arrangeants pour les dates d’essai. C’est tout de même l’œil vitreux que j’accueille le chauffeur, qui baisse sans attendre sa ridelle pour descendre les deux bécanes. Et mon oeil de retrouver toute sa brillance.
Oublié, le temps maussade. Oublié, le réveil aux aurores un samedi. Oublié, le doute quant au choix des modèles du comparatif. J’arbore un sourire niais d’enfant devant le sapin de Noël alors que la Triumph et la BMW retrouvent la lumière du jour et illuminent mon samedi matin.
L’anglaise, toute de noir vêtue, s’offre une touche de chocolat sur la selle, du plus bel effet. La ligne, reconnaissable au premier coup d’œil, est superbement mise en valeur dans ce coloris. Tout est noir ou presque, les quelques touches de chrome et de gris venant exciter les pupilles. La silhouette, longue et basse, catapulte dans le passé. Le moteur trône fièrement sous le réservoir et ravit le regard avec ses ailettes poncées, ses injecteurs déguisés en carbus et ses anti-parasites rouges. Il n’y a rien à jeter sur la Bonneville. Rien.
A côté de la Triumph, la BMW R NineT Scrambler fait figure de sauterelle géante. La selle beige, très travaillée, paraît minuscule derrière le gros réservoir gris et les cylindres du moteur boxer. Le petit bloc compteur, qui se passe de compte-tours, est avalé par l’immense guidon cintré en aluminium, de facture presque trop moderne, alors que l’arrière est décoré par la double sortie Akrapovic fournie d’origine.
Mais ce qui claque le plus sur la NineT Scrambler, ce sont les pneus à crampons montés sur les jantes! C’est impressionnant, mais je me demande comment ils vont encaisser les 110 chevaux du flat twin sur la route… En tout cas, le physique de la BMW fait son petit effet.
Livreur remercié, je m’empresse de remonter me changer. Ces deux machines donnent envie de rouler ! Peu enclin à tester des pneus à crampons sur bitume mouillé avant mon deuxième café, je redescends avec les clés de la Triumph. Bzzziiiiiiit, les deux compteurs à aiguilles s'allument et distillent leur pléthore d’informations tout en conservant une classe toute ancienne. Je démarre le nouveau twin parallèle de 1200cm3 et la magie opère. Le grondement sourd et rauque qui sort des deux échappements prend aux tripes et ravit les oreilles. Enfin, la Bonneville a de la voix, et d’origine, s’il vous plaît ! Envoûté, je m’équipe à la hâte, enfourche l’anglaise, passe la première ( CLAC ! ) et m’élance dans un BRÔÔÔÔÔAAAAP digne du volume 1 du Joe Bar Team. Putain, ouais.
Au guidon, je suis d’abord ravi par le confort moderne proposé. Les poignées chauffantes, la jauge à essence, le contrôle de traction, l’ABS… pourtant, à la première vitrine venue, mon reflet me confirme que je suis bien sur une Bonneville. Mécaniquement, le raffinement est autenthique. Au-delà de la sonorité qui transporte le pilote des décennies en arrière, le caractère du nouveau bicylindre est à la hauteur de sa mission. Sans débordement de puissance, le couple de 105Nm vous tracte avec force, dès 3'000 tours, à chaque rotation de la poignée. On sent le guidon nous tirer en avant, alors que le séant tasse la mousse de la selle aussi belle que confortable. La base de la bécane et des joies de l’accélération.
En abordant quelques virages avec enthousiasme (lisez « comme une andouille »), si la tenue de route est toute moderne, il faut s’appliquer pour ne pas limer trop vite les cale-pieds et inscrire la Bonnie’ dans les courbes. Les masses centrées très bas et les suspensions souples donnent un côté tout rétro au pilotage : la Triumph vire un poil en deux temps, comme ses ancêtres. Une première impression de lourdeur en entrée de courbe, puis, comme si tout le poids de la machine semblait enfin se diriger dans le même sens, un retour du train arrière qui confirme ; « c’est OK on est dedans ». S’ensuit un jouissif tour de poignet pour extraire le tout de ladite courbe, dans cette superbe sonorité de grosse-cylindrée d’époque et avec les gigotements du Pirelli Phantom arrière, que le traction-control empêche de décrocher. Tout le charme du pilotage « à l’ancienne » avec la sécurité de systèmes et de suspensions modernes : on fait le plein de sensations en toute sécurité.
Après un retour en mode balade au bercail, la pluie ayant redoublé, l’attente sera longue pour enfourcher la rivale de l’anglaise et plonger enfin dans ce comparatif. Ce sera chose faite le lendemain, avec un temps plus clément qui me poussera à partir tournicoter sur la NineT Scrambler et ses pneus à crampons. Contact, démarreur, le flat-twin s’ébroue, au sens propre : le couple de renversement fait remuer la machine et renvoie une sensation de vie très agréable. Les véritables claquements de l’échappement Akrapovic achèvent de réchauffer l’ambiance et réveiller le voisinage : la NineT Scrambler en fait des tonnes dès le démarrage et donne le sourire !
Après un quart d’heure de route où l’appréhension du grand guidon et de ce pneu avant à crampons se fait avec un peu de sueur, la NineT Scrambler met en évidence sa facilité de prise en main et son très bon équilibre. La selle semble un peu ferme pour les longues promenades, mais la position s’avère relax et on laisse défiler le paysage en écoutant les ois… ah non, ils s’envolent à l’approche du flat’ allemand, qui manifeste tout en fanfare et trompette sa joie de vivre. Une ambiance sonore qui pousse à la malice.
Malice qui prend la forme d’accélérations/décélérations incessantes et d’un rythme instinctivement accéléré à l’approche des courbes. Le débattement des suspensions, plus élevé que sur la NineT « de base », ne grève pas le feeling de l’avant. S’il n’y avait pas ces pneus à crampons, l’efficacité de la BMW m’aurait sans doute ravi. Mais les crampons sont bien là et les premières entrées en virage deviennent de vrais moments de rigolade… et de coups de chaud ! Le pneu induit du mouvement et on peine à sentir pleinement la route, ce qui induit une certaine retenue et l’impression sournoise de glisser à chaque degré d’angle de plus.
Rien de fâcheux en restant raisonnable, surtout que la sortie de virage vaut aussi son pesant de cacahuètes. Les 110 chevaux du flat-twin mettent à rude épreuve les crampons du pneu arrière, qui patine assez rapidement. Le traction-control, disponible en option, veille au grain et jugule finement le phénomène, même si la tentation de le couper pour prolonger le fun est grande. Reste qu’en termes de comportement routier, les pneus à crampons ont un intérêt très limité pour qui roulera plus qu’entre deux terrasses et n’osera pas aller creuser des sillons dans les chemins (j’avoue, j’ai pas osé non plus).
Le lendemain, il était enfin temps de comparer ces deux beautés sur le même terrain de jeu. Afin de décortiquer ces deux produits tendance, quoi de mieux qu’une promenade vers Saint-Cergue (VD) suivie d’une bonne fondue ? Pour l’occasion, c’est mon paternel, contemporain des aînées de nos montures, qui sera amené à débattre des qualités de nos machines autour du caquelon.
Un rapide passage par l’autoroute mettra en avant le confort de la T120 Black. L’Anglaise jouit d’une selle plus moelleuse que celle de sa rivale, qui distille également quelques vibrations dans son grand guidon, ainsi qu’un peu de mouvement à cause de ses crampons. Tant mieux pour le « Vieux », qui ne s’endormira pas au guidon. L’infusion autoroutière occasionnelle est envisageable avec nos deux machines, qui poussent à cruiser aux alentours de la vitesse légale plutôt que de taper le rupteur.
Trève de bavardages, le Vieux me chauffe avec de sournois coups de gaz sur le flat-twin, un peu avant la montée. Malgré son âge avancé, il est la preuve que la bêtise est un état d’esprit (et un trait de famille). Quand on me cherche, on m’trouve. ‘Va pas voir le jour. Le twin parallèle de la Bonneville vrombit et me propulse avec force à l’entrée de la première courbe ! Alors que j’entre ensuite dans la seconde, un cinglant scriiiiiittcch me saute aux oreilles. Le cale-pied droit de la Bonneville est déjà au sol et j’entends derrière moi la pétarade de la BMW qui s’engouffre à son tour dans le droite.
C’est à ce moment que le comportement à l’ancienne de la Triumph vient poser son veto à tout excès et incite à enrouler proprement. Si le freinage encaisse plutôt bien les fortes contraintes, la T120 demande à être emmenée finement pour donner le meilleur d’elle-même. Privilégiant les sorties de courbes, je profite du couple de l’anglaise pour prendre le large sur le Vieux, qui semble enfin s’être rendu compte qu’il avait des pneus à crampons. Si la NineT Scrambler n’a rien contre une entrée de courbe un peu musclée, sur les freins, les fameux carrés de gomme du pneu avant ne sont pas du même avis… L’ABS se déclenche très tôt, sentant l’adhérence diminuer, et diminue encore le feeling de l’avant. La BMW ainsi chaussée ne brille pas à l’attaque, malgré un châssis stable et au comportement plus vif que la Triumph.
Reste qu’à rythme sympa, on s’amuse avec ces deux brêles. La Triumph demande une finesse de tous les instants pour ne pas protester sur de trop gros transferts de masses. La BMW remue de partout et chaque mouvement du pilote induit une réaction des pneus à crampons. On fait corps avec l’anglaise, dans un style coulé et un léger déhanché, alors qu’on pilote la NineT jambe dehors et bras très écartés, pour contenir toute dérobade de l’avant ou l’arrière. Un régal ! C’est après une montée riche en sensations qu’on se retrouve sur le parking, un rien transpirant. Le Vieux a été remué par la BMW : « Heureusement qu’elle a l’antipatinage, ça gigote tout le temps. Ah et l’ABS clignote sans arrêt ! » En touillant notre moitié-moitié, il encense toutefois la vivacité de la NineT Scrambler et sa facilité. La puissance de l’Allemande et son caractère entier, mêlés à un comportement tout ce qu’il y a de plus moderne, l’ont séduit.
Difficile de trancher entre deux modèles au charme indéniable, qui donnent simplement envie de rouler au premier regard. Côté motorisation, la BMW s’avère d’une efficacité supérieure tout en offrant un caractère remuant grâce aux coups de piston de son flat-twin. La Triumph Bonneville n’est pas en reste, son 1200 lui offrant un couple conséquent, accompagné d’une sonorité qui prend aux tripes. Avec 30 chevaux d’écart, en faveur de l’Allemande, on peut définitivement conclure qu’elles ne jouent pas dans la même catégorie.
C’est également le cas en termes de comportement. Les prestations très modernes de la BMW se mettent en évidence et on ne peut que regretter la présence, fort seyante à l’œil mais peu efficace sur route, des pneus à crampons. La Triumph propose un feeling d’époque, plus en accord avec une conduite fine, fluide et relax. Plus confortable, plus authentique et tournée vers son héritage, en somme. Avec tout l'accastillage moderne nécessaire pour profiter du ride en toute sécurité et sans craindre les soucis mécaniques d'une ancienne.
La BMW est une vraie machine moderne aux airs rétro, plus vive et plus performante, mais un poil moins authentique et d'aspect plus moderne malgré une ligne très rétro. Inévitablement plus chère aussi, avec une liste d’options qui font grimper la facture à près de 16'000 francs, soit 3'000 de plus que la Triumph, qui jouit d’un équipement d’origine comparable à celui de la BMW essayée.
Au final donc, on oppose deux visions du phénomène vintage qui déferle sur le monde de la moto. Un comparo à l’eau ? Non, car il met en avant la richesse de ce nouveau segment et l’opposition de styles entre ces deux machines très séduisantes. La preuve ? Mon paternel a adoré le comportement vif et le moteur punchy de la BMW. J’ai vibré au son de la Triumph et suis resté scotché par sa finition impeccable et les sensations distillées à son guidon. La moto reste une affaire de goûts. Entre une BMW exhubérante, plus apte à s’arsouiller, et une Triumph authentique, à déguster de bout en bout, en prenant son temps, chacun peut y trouver son compte.
Néo-rétro ou Rétro-néo ? C’est comme vous voulez : au final, le coup de cœur est garanti.
P.S.: Vous aurez noté que j'ai l'air d'avoir le même âge que mon père sur les photos et que la route n'est pas celle de Saint-Cergue. Nos confrères de Töff nous ont également fourni les photos, prises par Richard A.Meinert. Merci à eux!