Le mythe Ducati s’est bâti sur l’amour de la firme pour la course. Une quête frénétique de performances, de vitesse, qui est le propre de l’homme moderne. Aujourd’hui, tout va vite dans notre société, pour tous. Tellement vite qu’on en oublie ce qu’est réellement la vitesse soit, selon le Larousse le « rapport de la longueur du chemin parcouru par un mobile au temps mis à le parcourir ». Et on ne parle pas d’un smartphone quand on lit « mobile ». Le mobile, c’est l’objet qui se rend de A à B en un temps donné. Plus ce temps donné est court, plus ce mobile procurera joie et satisfaction à l’humain.
Si Ducati, donc, a également su élargir sa gamme et se démocratiser, son histoire reste fondée sur la production de machines sportives, destinées à gagner des courses. Malgré un net recul en termes de parts de marché, les constructeurs doivent lutter encore et toujours pour « avoir la plus rapide », « la plus efficace » et « la plus belle ». Ducati a toujours su rallier les suffrages sur ce dernier point, en produisant des machines à l’aura chargée d’émotions.
Je ne peux en effet contenir les miennes en découvrant la grappe de Panigale qui attendent de partir rouler sur le rapide tracé de Dijon-Prenois. Invité par Ducati Suisse à une journée de roulage Ducati4You, AcidMoto ne pouvait que répondre présent. Les petits flocons qui tombent sur la voie des stands suscitent également certaines émotions, décuplées par les 6 degrés ambiants et les 205 chevaux de ma monture du jour. Gloups !
Heureusement qu’elle est belle, cette Panigale. Vêtue de sa traditionnelle robe Rosso Corsa, l’italienne se laisse admirer de la pointe de la coque arrière, superbement ajourée, à l’arrondi de son garde-boue en fibres de carbone. Sans m’étendre plus avant sur la ligne, qui parle d’elle-même, je reste surpris par le gabarit très contenu de la machine. Joie de l’ère moderne, on fait rentrer plus de performances qu’une Superbike de 2006 dans le gabarit d’une Moto2.
L’émotion prend place entre les carénages, avec le mythique bi-cylindre en L de la marque. Dans cette configuration Superquadro, en référence au rapport alésage/course des pistons, il a permis à Ducati de venir chatouiller les quatre-cylindres en puissance pure. Gorgé de couple, le moteur est assisté par la crème des systèmes électroniques embarqués, développés par Bosch et Ducati dans le seul but d’exploiter au mieux ses performances.
On s’accroche ! La liste débute avec trois courbes de puissance, Race, Sport et Wet, qui modulent le comportement du twin. Un système quickshifter up & down permet d’oublier l’embrayage une fois en route, même en rétrogradant. Un anti-wheeling et un contrôle du frein moteur permettent de gérer le plus efficacement possible les phases d’entrée et de sortie de courbe. Les suspensions Öhlins Smart EC s’ajustent électroniquement, gérées également par une unité de mesure de l’inertie (UMI), qui prend en compte l’inclinaison horizontale et verticale de la moto. L’UMI gère également l’anti-wheeling et le frein moteur. On ajoute les inévitables ABS et antipatinage pour se retrouver avec un mode d’emploi plus épais que la selle monoplace de la Panigale S…
Heureusement, le paramétrage reste digeste, avec des commandes au guidon qui permettent de se promener dans les menus de l’énorme et très coloré écran TFT, qui affiche les différents éléments paramétrables. En mode Race, il fait la part belle au compte-tours et permet de se concentrer sur l’essentiel, à savoir piloter. Car, si vous en doutiez encore, la Panigale S n’a qu’une envie : en découdre avec le chronomètre, tout adversaire en vue et aussi avec le fond de votre slip. Contact, mise en route et … gaz !
Avec un tracé rapide, vallonné et qui demande une sacrée paire de… jambes, le circuit de Dijon-Prenois est un terrain idéal pour découvrir la 1299S. Exceptées la température ambiante et l’absence de couvertures chauffantes, rien ne saurait m’effrayer en prenant la roue d’un des marshalls de Ducati4You, organisateur de la journée. Rien du tout.
Les 6 degrés bien sentis et les traces de givre autour de la piste m’ont suggéré un départ en mode Rain, avec toutes les assistances au maximum. A une allure sénatoriale, j’appréhende les trajectoires du tracé avant que mon guide n’accélère pour se réchauffer un peu. D’un coup de bouton, dans la ligne droite des stands, je bascule sur Sport… et ça réchauffe carrément ! La réponse des gaz reste modulée par l’antipatinage, mais je prends des chevaux plein la figure, dans un grondement démentiel. La ligne droite paraît deux fois plus courte et, arrivé au bout, j’ai enfin pu freiner.
Aoutch. Difficile de décrire le freinage de la Panigale S avec des mots. Elle ne freine pas. Elle arrête le temps. Les deux étriers Brembo M50 pincent le paysage qui défile et le stoppent net. Et l’ahuri au guidon avec. Scotché dans le premier droite du circuit, mon aimable marshall déjà loin devant, je vis un moment de pure solitude et d’émerveillement simultanés : jamais je n’aurais pensé qu’une moto freinait comme ça.
Au fur et à mesure des tours, le travail soutenu de l’électronique se fait sentir. L’anti-wheeling limite la puissance en sortie des virages vallonnés du tracé, l’anti-patinage prend ensuite le relais, alors que l’ABS 9.1 MP Bosch s’occupe de me garder sur mes roues lors des freinages. Tout ce travail pour un résultat bluffant : lors de cette première session dantesque, la Panigale S a été ma meilleure amie et s’est montrée très rassurante.
Le temps de se réchauffer les doigts, de se moucher, il est déjà temps de repartir. La température monte doucement, et une fois les pneus à peu près en température, la 1299 S peut se révéler. Cartographie Race, assistances réduites de moitié : la moto répond de manière moins aseptisée aux ordres du pilote. Et c’est la deuxième claque de la journée. Entrée de ligne droite, sur le 4e rapport, la roue avant décide d’aller voir si l’air se réchauffe en altitude, pendant que l’électronique jugule subtilement la puissance. Je passe la 5e sur une roue, alors que le twin me propulse en avant dans un grondement de bête sauvage, sans faiblir ni se calmer.
L’instant magique se prolonge aux freins. Profitant du downshift, je me concentre uniquement sur le levier droit, que je relâche progressivement jusqu’à la corde. Rien ne bouge, la Panigale reste imperturbable. Aidée par l’ABS couplé à l’UMI, la roue avant semble scotchée sur le bitume, alors que le système de gestion du frein moteur permet de conserver une vitesse idéale. D’une pression sur le cale-pied, la machine se redresse pour se jeter dans l’enchaînement suivant en un clin d’œil. Toujours accompagné d’une bande sonore digne d’un Oscar.
Entre deux sessions, on affine le paramétrage des assistances électroniques en se frottant les mains. Pour les réchauffer, certes. Le tour de force de la Ducati, c’est d’être une vraie machine « à la carte », qui permet de disposer d’une machine en tout temps adaptée à son niveau, aux conditions de piste et à ses envies. Les limites d’une telle machine sont loin, très loin pour un pistard en herbe, mais la belle rouge se met au niveau de son pilote.
Si la conception minimaliste de son châssis rend la Panigale plutôt remuante, la stabilité est telle qu’on se réjouit de ces sensations. La machine semble constamment lutter pour se libérer de chaînes invisibles, sans jamais perdre son cap. L’impression est grisante. Surtout en paquet de pilotes, dans la courbe de Pouas, sous les quelques flocons qui tombent, moqueurs.
La journée, déjà riche en claques, l’aura été jusqu’au bout. Tout d’abord après une dernière session sous le soleil, où mon empressement et un gros manque de concentration m’enverront dans les graviers après une entrée en courbe au-delà de tout optimisme. C’est penaud, choqué et meurtri de voir revenir la Panigale S dans une remorque que j’achèverai cette session.
Ah, on fait tout de suite moins le fier et on manque soudain de mots, dans ces situations. La leçon est dure, car s’il en est une qui n’est pas à blâmer de cette fin en eau de boudin, c’est la Ducati. Tout au long de cette journée, la Panigale 1299 S a dévoilé ce qu’est une sportive Ducati. Un bijou. Une œuvre d’art moderne qui conjugue le meilleur d’un savoir-faire mécanique légendaire et des technologies actuelles dans un seul but: aller vite.
La Panigale S est une émanation du sport motocycliste, par les sensations qu’elle procure et ses performances. Elle met surtout tout cela à portée de presque tous, avec une électronique de pointe paramétrable à volonté. Une moto capable de s’aligner telle quelle en course et de servir de machine découverte lors d’un stage débutants. Reste le tarif, élevé, qui en fait tout de même un objet plutôt précieux. Reste qu’après les sensations éprouvées à son guidon, on irait bien discuter avec son banquier… le mythe a de beaux jours devant lui.