Si on ne va jamais se plaindre d'enfourcher une sportive de 200 chevaux, il faut bien avouer que nul n'arrivera jamais à exploiter totalement un tel missile sur route ouverte. Il faut aussi avouer que Via Sicura et le concert de klaxons souvent occasionné par un dépassement propre et net tendent à limiter les efforts de nos poignets droits... oui, on parle toujours moto, voyons !
Justement, plutôt que de me laisser « me toucher » et perdre (encore...) mon permis sur un missile à 20'000 balles, Yann m'a confié l'essai de la nouvelle sportive Yamaha, la R3 ! Si l'effet n'est pas le même que lors du lancement d'une nouvelle hypersport, la petite R3 comble un petit trou dans la gamme sportive de Yam'. Et au vu de l'offre croissante du marché des 250 et 300 cm3 ainsi que l'arrivée du permis A2, la marque aux diapasons sort son petit jouet au bon moment.
En effet, jusque dans sa conception, tout est fait pour rappeler le lien de parenté entre la R3 et sa déjà cultissime cousine de 1000cm3, tout juste sortie. Côté design, on retrouve les lignes aigües de la lignée sportive Yamaha, mises en valeur par le superbe coloris Race Blu. Les deux phares donnent un petit air de squale à la R3. De plus près, on se rend compte qu'on n'est pas au même niveau de finition que ses grandes soeurs. Le traitement noir de la fourche, le look basique des étriers de frein, quelques plastiques noirs et les différents leviers d'aspect simple sont autant de concessions à un tarif contenu. Mais la R3 reste bien finie et très agréable à regarder. Et cache surtout bien d'autres atouts.
Si elle n'embarque pas de traction-control, d'anti-wheeling ou de chronomètre embarqué, la petite nouvelle a de beaux atouts sur le papier pour briller dans sa catégorie. A commencer par son twin parallèle de 320cm3, affichant 42 chevaux et 29,6Nm de couple. Développé pour proposer un maximum de fun, il jouit surtout de solutions techniques toutes simples mais efficaces. Le système d'admission est orienté vers le bas et, couplé au système d'injection, garantit une combustion optimale quelles que soient les conditions. Surtout, promesse est faite que le twin ne demande qu'à rugir dans les tours ! Pour éviter les vibrations, les pistons sont forgés et reçoivent un plating, soit un traitement électrolytique. En clair, ça coulisse super et ça dissipe mieux la chaleur engendrée par les frottements. Les bielles sont cémentées, comme sur la précédente génération de la R1, et donc plus solides pour mieux encaisser les contraintes mécaniques.
En bref et si vous ne disposez pas non plus d'un diplôme d'ingénieur en mécanique, le bloc a été optimisé dans le but d'offrir un tempérament sportif, en restant fiable et raisonnable au niveau de la consommation.
Rayon châssis, Yamaha s'appuie sur un cadre de type diamant, en acier, relié à un bras oscillant asymétrique. Le dossier de presse nous apprend qu'il est presque de la même longueur que celui de la R1, ce qui garantit son appartenance aux « R-series » ! Quand on vous parle des efforts de la marque pour rappeler l'affiliation de la R3. Yamaha centralise d'ailleurs les masse avec un silencieux d'échappement court et bas... comme sur la R1, gagné ! Malgré l'usage d'acier, le châssis est léger et la moto pèse seulement 169 kilos en ordre de marche. Soit 20 kilos de moins qu'une... R6 ! Les jantes à 10 branches, magnifiques, ainsi que le disque avant de 298mm, achèvent de donner à la R3 ses lettres de noblesse sportive. La fourche classique, si elle ne transcende pas le look de la machine, s'offre des tés en aluminium et un diamètre respectable de 41mm. L'amortisseur arrière KYB (qui fournit également la fourche) est réglable en précharge et réglé d'usine pour un bon compromis entre sport et confort.
Après une bonne nuit de repos, on découvre une grosse vingtaine de machines garées devant l'hôtel. Le petit groupe des Suisses sera accompagné d'un guide français ainsi que de deux confrères italien et anglais. Il paraît que notre ouvreur roule bien et c'est tant mieux : nous sommes les premiers à partir et nos sept R3 longent rapidement la plage pour une petite excursion urbaine. Le cadre est superbe, le soleil au rendez-vous et la machine confortable. Peu expressif à bas-régimes, le twin se fait oublier et on déambule facilement au guidon. Le guidon, d'ailleurs, offre une position relax, peu appuyée sur l'avant. On retrouve le même confort au niveau des jambes ; un plus pour le confort, mais presque une petite déception pour l'ambiance sportive, pour l'instant peu présente.
Reste que pour un usage quotidien, la petite Yam' est proche du sans-faute. Sa consommation rikiki, sa facilité de conduite ainsi que ses commandes très douces comblent la petite troupe, qui échange ses premières impressions lors d'un arrêt photo. La sonorité très discrète est le seul petit bémol de cette étape urbaine, mais l'ambiance va rapidement changer alors qu'on emprunte un tronçon rapide pour rejoindre les petites routes du coin...
Notre guide, dont j'ai oublié le prénom, nous emmène à bonne allure sur l'autoroute et, ça n'a pas manqué, le monotone ruban gris s'est mué en terrain de jeu. Et que je te dépasse en te regardant droit dans la visière, et que je te déboîte le camion au dernier moment, et que je te grignote le support de plaque avec mes phares... tant de petites provocations qui frisent le ridicule et rendent un trajet entre potes si plaisant ! Si l'on n'a pas peur de s'envoler ou de commettre l'irréparable au guidon de la R3, celle-ci étonne par sa réponse aux gaz et sa stabilité à haute vitesse. A partir de 5-6'000 tours, le bicylindre se réveille et pousse gentiment. A partir de 8'000 tours et jusqu'à la zone rouge, il vrombit et donne le meilleur de lui-même, pour offrir, à l'aspi des collègues, un joli 187km/h compteur sur la portion germanique du trajet (hum, hum...) ! L'exercice s'avère un peu inconfortable, la protection de la bulle, toute petite, s'avérant plutôt chiche. Au sortir de l'autoroute, on commence à s'asticoter sévère dans les grands ronds-points, où dépasser ses petits copains, à l'intérieur comme à l'extérieur, s'avère extrêmement drôle.
Machines et motards étant chauds-bouillants, la portion viroleuse de notre itinéraire arrive à point nommé et tout le monde se jette joyeusement dans les lacets. Le rythme est bon et la R3 s'avère plutôt stable en attaquant gentiment et balaie la seule inquiétude que j'avais en prenant son guidon. Mes expériences sur des moyennes cylindrées du genre avaient instillé cette légère méfiance envers un châssis ne parvenant pas à encaisser un gros freinage et offrant un comportement plutôt flou en entrée de courbe. Point de cela ici, on fait juste attention à ne pas trop solliciter le fin pneu de 140 à l'arrière, en accélérant gentiment sur l'angle. Reste qu'on se permet justement des accélérations « poignée dans l'coin » sans arrière-pensée et qu'on profite de l'étonnante santé du moteur à haut-régime.
La bonne stabilité du châssis met en avant la qualité du freinage de la R3. Mordant satisfaisant, très bonne constance, bon feeling : l'étrier 2 pistons l'avant a tout juste. Sauf l'ABS, qui se déclenche un peu vite au goût des plus expérimentés mais qui permettra aux moins aguerris de ne pas se répandre. La fourche fait très bien son travail et le ressenti du train avant est surprenant. L'amortissement arrière est au diapason (haha ! Au diapason... Yamaha... vous saisissez? Pfou!) et supporte sans effort la charge des 42 chevaux. Le frein arrière, lui, stabilise bien la moto mais mériterait un peu plus de mordant.
En parlant de mordant, le confrère italien qui me précède en manque un peu et le trio de tête s'éloigne. Hors de question de finir à la rue, il faut donc passer et ramarrer. Et c'est là que la R3 réussit son tour de force : à son guidon, il faut sortir son plus fin pilotage pour faire la différence ! Chaque freinage, chaque accélération, chaque changement d'angle permet de gagner du temps. On est bien loin du bon coup de gaz pour doubler le collègue, comme sur un gros cube ! Et quel plaisir de se creuser la tête et se concentrer sur les limites du petit engin que j'ai entre les pattes !
Après avoir rejoint la tête de la cour... hem, pardon, l'avant de la colonne, et profité d'un joyeux moment d'arsouille, la main levée de notre guide annonce la pause café, dans un petit village délabré mais chaleureux. L'occasion d'échanger nos impressions entre confrères et de tomber tous d'accord : la R3 est l'une des machines les plus adaptées à un usage routier. Un caractère sympa mais sans surprise ni excès, une puissance raisonnable qui évite de prendre peur en regardant le compteur, un comportement châssis très vif qui permet de jouer avec les limites sans inquiétude. Bref, on roule très sportivement, sans pour autant mettre son permis sous le couperet. Les sept frimousses sont réjouies et ne tardent pas à repartir sous les visières, car notre prochaine étape est le circuit de Calafat, où la R3 compte aussi faire ses preuves.
Inutile de vous dire qu'on trépignait tous d'impatience en attendant de pouvoir rouler sur la piste après l'excellente impression que la R3 nous avait laissée sur route. Notre enthousiasme sera vite mis à mal, car ayant bien sûr fini par s'arsouiller tout le long du trajet, notre groupe a presque une heure d'avance sur le planning... Le staff du circuit n'avait même pas eu le temps d'allumer le barbecue ! On tuera donc le temps en bronzant, posant devant la mignonne R3 et errant comme des âmes en peine sur le paddock désert. On se consolera surtout avec les divines grillades et la chouette ambiance du repas. Mais très vite, l'excitation monte : il y a du mouvement près des machines... c'est l'heure !
Au programme, deux sessions de 25 minutes pour les journalistes, répartis en deux groupes. Ô joie, nous serons les premiers à partir, dans la première grappe de sept machines, qui sera suivie de la deuxième moitié du groupe à un demi-tour d'écart. Après deux tours d'observation et de chauffe derrière nos guides, nous sommes lâchés. Technique et variée, la petite piste d'Alcarràs convient bien à la R3, que je cravache quand-même sans ménagement pour conserver une vitesse digne de ce nom. Les premiers tours sont un peu déroutants : sous les fortes contraintes, la petite Yam' remue un peu et semble avoir du mal à se tenir tranquille sur l'angle.
Les excellents Michelin Pilot Street tiennent bon, mais on comprend très vite qu'il faut redoubler d'attention et de finesse pour aller vite. Fluidité sera le maître mot pour tirer la quintessence de la R3. Sachant quand-même me débrouiller sur un circuit, j'ai l'impression de retourner à l'école tant mes micro-fautes de pilotages deviennent flagrantes. Chaque hésitation, mouvement trop brusque ou imprécision sur les commandes se soldent par une dérobade de l'arrière, un flou de l'avant ou un grand spasme de la machine. Non, on ne brusque pas une 300cm3 comme on peut parfois le faire avec un 1000... et on ne dispose pas d'un troupeau de chevaux pour gommer ses fautes face au chrono.
Et c'est tant mieux ! La Yamaha demande à être maintenue entre 8 et 11'000 tours pour rester efficace, exige que les transferts de masse se fassent rapidement mais en douceur et a besoin d'une trajectoire très maîtrisée pour rester stable : une vraie sportive école ! On se concentre donc pour optimiser ses trajectoires, utiliser toute la largeur de la piste et être doux avec ses commandes. Sans pour autant y aller doucement, car le freinage refait parler de lui et invite à repousser toujours ses repères, même si l'ABS s'avère un peu intrusif dans ces conditions. L'accélération est parfaitement dosable, sans à-coup, et la réponse du moteur est instantanée. Les derniers tours de la deuxième session étaient simplement jouissifs : une fois qu'on maîtrise son sujet, la R3 tient le pavé comme une grande et s'avère diablement rapide ! Seul le feeling perfectible de l'avant, dans quelques virages serrés, incite à la retenue. Mais nul doute qu'avec un pneu encore plus sportif et une suspension avant un poil plus rigide, on peut faire de la Yam' une belle petite balle !
Après ces deux sessions enjouées, c'est avec une banane incroyable et beaucoup de sueur que je tourne la clé de la R3 et quitte son assise confortable. Les collègues n'ont pas vu le jour et la Yam' a rempli sa mission au-delà de toute attente. Elle peut sans complexe assumer son blason « R-series » et s'avère une très, très bonne sportive.
Avec un tarif bien placé, surtout grâce à l'euro-bonus, un comportement exemplaire et fun ainsi qu'une consommation rikiki (impossible de dépasser les 5,7 litres au 100, en moyenne!), le succès semble promis à la R3. Si les jeunes motards y trouveront leur compte, elle pourrait surtout en remontrer à plus d'un motard aguerri et ses a priori. Si on ne va jamais se plaindre d'enfourcher une sportive de 200 chevaux, il faut bien avouer qu'on ne se plaindra jamais d'enfourcher la R3 non plus ! Gaz !