
Chaque année, mon paternel et moi-même partons visiter de la famille dans le Val d'Aoste, porte d'entrée de l'Italie. Notre itinéraire serpente à partir de Bonneville, jusqu'à Morgex, en Italie, soit sur une bonne partie du chemin. Cette année, on a emmené avec nous la Triumph Street Triple R et la Honda Hornet 600, deux roadsters références de leur catégorie, sur lesquels il faudra compter en 2012.
Au moment de partir, je saute sur la Triumph, ravi de l'essayer enfin. Christian (le papa) enfourche la Hornet et apprécie le confort offert par le frelon. Effectivement, la position de conduite de la Honda est naturelle et confortable: on se sent immédiatement à l'aise à son guidon. D'une pression sur le démarreur, le quatre-cylindres de 600cm3 s'ébroue dans un ronronnement feutré. Sur la Street Triple R, c'est autre chose. Dès le démarrage, le trois-pattes envoute par sa sonorité reconnaissable entre mille et très, très présente. C'est simple: on n'entend plus la Hornet! Au niveau de la position, la différence est tout aussi frappante. Le guidon paraît deux fois plus large, on est assis haut perché et les jambes sont très pliées. Pas de doute, on est sur un méchant jouet qui ne demande qu'à aller s'amuser!
Le fun, ce n'est pas pour tout de suite. On s'infuse d'abord un peu de ville afin de trouver l'autoroute française, qui va nous mener rapidement vers Bonneville. Connaissant par coeur l'itinéraire, on sait que le meilleur est à venir. La frustration est d'autant plus grande! Je me retrouve à pester contre les pots de la Triumph, qui chauffent allègrement le séant en ville. Christian, une fois sur l'autoroute, tente vainement de lire le compteur de la Hornet, illisible sous le soleil.
Heureusement pour nos montures, la liste de leurs défauts au quotidien s'arrête là. Leur gabarit contenu et leur agilité permettent de traverser les villes en un éclair. Leur confort est bien sûr limité sur voie rapide... A vitesse légale, on en prend déjà pas mal sur le casque et les cervicales, ce qui transforme une vingtaine de minutes d'autoroute en calvaire sans fin. Après l'effort, le réconfort: voilà Bonneville! Cinq minutes plus tard, on s'élance sur la D12, qui tournicote jusqu'à Saint-Jean-de-Sixt. Ça commence par de petits lacets, entre une falaise et un ravin, avec un bitume médiocre par endroits. Et alors? Gaz!
Immédiatement, la Triumph part à l'attaque. La promenade tranquille à son guidon, vous pouvez oublier! Dès les premières courbes, elle met son pilote dans l'ambiance et lui donne envie d'attaquer jusqu'à plus soif! La Street R semble se jeter dans les courbes avant vous tant elle réagit au doigt et à l'oeil. En toute confiance, je hausse encore le rythme et retarde au maximum mes freinages, accélère toujours plus tôt. Impossible de prendre l'anglaise en défaut! Garde au sol insondable, freinage démentiel: une vraie sportive en tenue légère!
A chaque halte, je m'extasie du comportement de la Triumph et invite Christian à en prendre le guidon. Très content de la Hornet, il boudera l'Anglaise pendant tout le trajet! Dommage, parce qu'en plus d'un châssis de tueuse, la Street Triple R dispose d'un moteur jouissif! Plein comme un oeuf, rageur dans les tours, le trois-cylindres issu de la Daytona 675 enchante les sens. Surtout les oreilles, par sa sonorité typiquement trois-pattes.
Les vocalises, ce n'est pas la spécialité de la Hornet. Pourtant, le quatre-cylindres de la Honda souffle copieusement dans les tours, où il fait presque jeu égal avec la Street. Très linéaire mais manquant de couple, il permet, étonnamment, de rouler plus détendu que sur la Triumph. Tout est plus facile et naturel sur la Hornet. Enfin, ça a l'air, parce que Christian se porte comme un charme alors que je fatigue un peu au niveau des jambes. Après quatre heures de routes de fou et de paysages de rêve, on arrive à destination pour profiter d'un bon apéro en famille.
Le lendemain, après avoir siroté un bon café en profitant de la vue, on charge notre matériel photo dans le sac pour partir en quête de beaux clichés. Le matériel photo, il ne pèse pas bien lourd: un Nikon Coolpix et... voilà! Suite à un petit souci d'organisation, on a dû se passer de photographe et d'un appareil digne de ce nom. Aaaaah, ces journalistes, quelles têtes-en-l'air! On décide de commencer par des photos statiques, au Col di Joux, joli coin à motards, à l'autre bout de la vallée. Arrivés au pied du col, Christian demande enfin le guidon de la Triumph, me laissant la Hornet.
Dès les premiers mètres sur la Japonaise, on a le sentiment de ne l'avoir jamais quittée. Naturelle et accueillante, elle se laisse manier du bout des doigts et une impression de quiétude s'installe. Pas pour longtemps... Un bourdonnement furieux se rapproche et couvre le doux souffle de la Honda. C'est Christian, en mode « je bouffe ton support de plaque, ou tu accélères? »! J'hallucine! Il a fait vingt mètres sur la Street R et se croit déjà tout permis! Il l'aura voulu... Gaz!
Je donne tout, la route défile à toute vitesse. Pourtant, la Triumph bourdonne juste derrière! Christian vient me titiller sur les freinages, se porte à ma hauteur à l'accélération puis replonge derrière mon feu stop avant le virage suivant. Visiblement à l'aise! La Hornet, très équilibrée, se laisse emmener sans protester mais n'a pas l'agilité de la Triumph. Il faut aussi cravacher son moteur pour en tirer la quintessence alors qu'on peut rouler un rapport en dessus sans problème sur l'Anglaise. Et les freins, les freins! Un point fort de la Hornet, jusqu'à ce qu'arrive cette Street Triple R! Si l'on sent un léger manque de mordant, c'est surtout le feeling qui devient perfectible. Rien à voir avec celui qu'offre l'Anglaise. On repassera pour les freins mais, heureusement, le train avant de la Hornet met très en confiance face à celui, plus volage, de l'Anglaise.
Les cale-pieds frottent, mais la Hornet tient bon. Maintenu dans le haut du compte-tours, son moteur hurle et me permet de maintenir Christian derrière. J'enrage contre les Bridgestone BT-023, au bon grip mais à mille lieues des Diablo Rosso Corsa montés sur la Triumph. Avec un vrai châssis de sportive et des pneus assortis, la Street Triple R cannibalise la Hornet sur le plan du châssis. Nous arrivons en haut, j'ai réussi à contenir Christian, qui s'arrête tout sourire à mes côtés et me lance: « Maintenant, je sais pourquoi je n'arrivais pas à suivre! ». Éloquent...
Si les qualités dynamiques de la Street Triple R sont indéniables, on regrettera son train avant très léger à l'attaque. Le seul défaut de la Triumph à l'arsouille, qui peut surprendre les moins aguerris. La Hornet, elle, souffre simplement de la comparaison avec un châssis de sportive. Son simple longeron en guise de cadre et ses suspensions « routières » permettent pourtant bien des facéties. Moins démonstrative, la Hornet est surtout plus facile à exploiter. Poser ses fesses sur la Hornet, c'est compter sur une alliée indéfectible. S'asseoir sur la Triumph, c'est plutôt tendre un briquet vers un bâton de dynamite...
Sur le retour, Christian m'avoue prendre beaucoup de plaisir sur ces « petits » roadsters. Plutôt branché grosses sportives, il admet que pour la route, ce genre d'engin suffit amplement pour s'amuser sans (trop) flirter avec les limites. Bon, allez, le soir va tomber et on a encore des photos à faire! Christian s'empare du petit boîtier pendant que je saute sur la Honda. Quelques passages plus tard, je m'empare de l'Anglaise. En sortant de la courbe, j'ouvre en grand et tire un peu sur le guidon. Magique, la Street R se dresse sur sa roue arrière et Christian mitraille! Woah! Je fais demi-tour et reviens vers lui, pour planter un joli petit stoppie! Je m'arrête, il crie « continue! »... Voilà notre dernier shooting photo transformé en grande rigolade grâce à la facétieuse Triumph!
Le lendemain, c'est voyage de retour: Col du Grand Saint-Bernard, descente sur Martigny, col des Montets, Chamonix, puis gaz sur l'autoroute, destination Genève. On attaque direct, comptant sur les qualités de chaque monture pour s'éclater en chemin. Sur la Triumph, on cherche la première occasion pour faire l'andouille ou sortir des courbes sur la roue arrière grâce à son moteur magique. Avec la Hornet, on entre comme une balle dans les grandes courbes, profitant de sa grande stabilité.
Une Honda Hornet qui a souffert du fort capital sympathie de l'Anglaise, véritable jouet pour grands enfants. Pourtant, le roadster japonais fait mieux que se défendre malgré sa conception plus ancienne et son caractère un peu lisse. Elle se rattrape par son confort et son prix moindre. En chemin, d'une cirette sur l'embrayage, le frelon se cabre devant Christian et la Triumph, preuve que le frelon pique toujours. Encore 100 kilomètres avant la maison? Bon, eh bien... GAZ!