Il doit faire à peine un ou deux degrés, la route montant vers Saint-Cergue est trempée et quasi-déserte. Le froid semble avoir gelé jusqu’aux bruits de la nature et des rares automobiles croisées. Blanche comme les bas-côtés couverts de neige, la Speed se fondrait presque dans le décor si elle ne faisait pas autant de raffut! Fendant le silence autant que l’air glacé, Lady Triple virevolte gaiement au son de son moteur magique. D’une évidence désarmante, elle m’emmène en toute sérénité sur le ruban détrempé du bitume, comme posée sur un rail.
Arrivé en haut, je ne peux que constater les progrès du roadster anglais. Pressé de valider mes impressions dans la descente, je m’attarde pourtant au bord de la route pour détailler une fois encore la Speed Triple. Sa nouvelle robe, plus sportive mais également moins agressive, illustre à elle seule la rupture avec la « lignée ». Les feux en amande ont déjà fait couler beaucoup d’encre. Ils donnent pourtant un côté plus affûté à la machine, tout comme le reste de la ligne. Plus fluide, moins « brute », la Speed 2011 passerait pour « timide » et « japonisante » aux yeux de certains.
On regrettera peut-être les caches d’optiques en plastique noir, qui perdent leur chrome légendaire, également absent du système d’échappement, au dessin modernisé. Moins tape à l’oeil, la nouvelle Triple conserve pourtant un physique musclé. Il y a peu de motos qui impressionnent à l’arrêt, moteur coupé. La Speed Triple en fait toujours partie.
Retour en selle pour la descente et le retour sur Genève. Avec son moteur revu, la Speed se veut toujours aussi sensationnelle et efficace. Certes, le couple phénoménal de l’ancien modèle se trouve aujourd’hui bien plus haut dans les tours. La poussée à bas et mi-régimes reste plus que convaincante, mais on sent que le nouveau châssis se serait accommodé à merveille de la rage du « vieux » moteur. Je me suis toutefois senti plus rassuré au moment d’ouvrir les gaz sur les routes froides et détrempées parcourues le long de cet essai. Je me souviens d’un splendide travers sur le modèle 2010, sous la pluie, lors d’une accélération musclée…
Attention, le trois-cylindres de 1050cm3, sous ses airs civilisés, a également profité de la « sportivisation » du modèle! Dès 6’000 tours, la poussée se fait virile et le roadster anglais bondit en avant dans un vrombissement jubilatoire. Pas de doute, il y a du sport dans ce moteur! En dévalant la pente (bitumée, rassurez-vous), avec une action généreuse sur la poignée de gaz, il a parfois fallu freiner très fort malgré l’état peu encourageant de la route…
Heureusement, le freinage Brembo répond présent et l’ABS, en option, veille au grain. On regrettera seulement le déclenchement trop rapide du système sur le frein arrière, qui fait remonter le levier de manière fort déplaisante… Imperturbable dans l’exercice du freinage, la Speed s’appuie sur son train avant puis plonge en courbe avec aisance. Malgré un guidon assez large, la direction se veut précise et stable. Les Metzeler Racetec, malgré un manque flagrant de montée température, s’avèrent excellents et contribuent à la confiance que renvoie la Triumph. Car malgré son châssis affûté et son moteur de dingue, elle ne se montre brutale que lorsqu’on lui rentre dedans. Ses limites sont loin, très loin! Cela sent la revanche au printemps, sur de belles routes bien sèches!
Toutes les bonnes choses ayant une fin, il me faut reprendre le chemin de l’importateur. L’heure tourne et Lady Triple doit partir en Suisse-Allemande. Un peu engourdi, j’opte pour l’autoroute histoire de m’achever. Sans saute-vent salvateur, je finis bientôt couché sur le réservoir pour tenir les 120km/h tout en ménageant mes cervicales. Quand les chiffres du compteur continuent de monter, l’air devient un bras colossal qui fait tout son possible pour vous arracher la tête! Il faut dire que même sur autoroute, la Speed pousse à ouvrir en grand! La force du trois-cylindres s’oppose à l’air et vous donne l’impression d’être une navette spatiale entrant dans la couche d’ozone. S’amuser un moment entre Nyon et Genève reste envisageable, mais pour les longues étapes, même à allure légale, le saute-vent s’imposera. Ainsi qu’une certaine patience…
Au final, difficile de ne pas être conquis par la Speed Triple 2011. Si l’esthétique brutale du millésime précédent se fait un peu regretter, le comportement plus incisif de la nouvelle version enchantera le motard avide de sport. Pour le reste et après un essai aussi malmené par le climat, difficile de clairement définir ce qui change vraiment. La Speed Triple, toujours proposée à un tarif très compétitif, est la digne héritière de ses aînées. Elle reprend à son compte l’extraordinaire charisme de sa devancière et y ajoute un comportement plus sportif, mais aussi un rien plus facile. La reine est morte… vive la reine!