Publié le: 30 septembre 2024 par Patrick Schneuwly
Décryptage du marché du pneu OEM (première monte)

Depuis le voyage au Portugal avec Bridgestone et la découverte factuelle de la différence des pneus A41 G par rapport au A41 du catalogue, je me suis intéressé à ses pneus de première monte avec les six manufacturiers majeurs. Jouent-ils tous dans cette cour ? Mettent-ils tous les mêmes choses en œuvre pour remporter des marchés ?

REPORTAGE

Ces questions de pneus, c’est un peu la peau de banane. Bridgestone a pris un sérieux risque à nous parler des performances volontairement dégradées en longévité et performance sur le mouillé pour satisfaire la demande de stabilité à haute vitesse de BMW Motorrad. Qu’est-ce qui les a poussé à le faire ? Surement le nombre de pièces à vendre au même client : autant de A41 G que de A41 ! Un nombre non négligeable de pièces qui est financièrement intéressant pour le fabricant.

Cet argument financier est-il suffisant pour risquer d’écorner l’image d’une marque ? Car oui, un client qui a un A41 G moins endurant mais ne s’y intéresse pas aura bien des chances de juger tous les pneus de la marque de la même façon; peut-être un client perdu pour plusieurs années à cause de ce pneu différent. Dans le jargon, ce pneu au nom quasi identique est « une spec ». En 3 mots, S23 spec M, pour spécification.

L’analogie d’un ingénieur chez Bridgestone illustre très bien la difficulté qu’ils rencontrent : un pneu c’est comme un tapis dans une pièce, il ne couvrira jamais toute la surface du sol. Il ne peut pas cumuler toutes les qualités. C’est d’ailleurs ce que montre ces graphiques de l’institut Dekra qui a factuellement comparé les deux A41 fournis par le fabricant japonais. Pour gagner en stabilité à haute vitesse, ils ont perdu sur le mouillé et en longévité.

Avec un pneu slick, on gagne en adhérence mais il devient inutile sur le mouillé ou dans la terre. Avec une gomme dure, on perd en adhérence sur sol froid, mais on gagne en endurance. Les illustrations ci-dessous servent à comparer deux pneus selon autant de critères qu’il y a d’angles au polygone.

Pour les fabricants de pneumatiques qui ne font pas de pneus à la demande, les qualités de chaque modèle font-elles le poids pour s’imposer face aux autres pneus; de façons à ce qu’ils soient choisi par les ingénieurs de chaque marque ? À moins que le fabricant ne consente un rabais substantiel pour une commande en gros, ce qui fait fermer les yeux aux constructeurs sur quelque chose qu’ils auraient demandé d’un pneu spec (c’est une hypothèse !). Sans s’infiltrer dans les réunions des constructeurs, on ne le saura jamais. Mais le prix du pneu est aussi déterminent que ses performances. Des fois le comptable a une voix plus forte que l’ingénieur.

Bridgestone ne s’en cache pas

Très ouvert à ce sujet, cette marque a pris l’initiative de braquer le projecteur là dessus. Seulement, ils ne sont pas encore sur le point de faire faire l’analyse par Dekra de TOUS les pneus qu’ils adaptent pour les constructeurs motos.

Dans leur catalogue disponible chez les revendeurs, pour chaque gamme (par exemple Hypersport, ou Sport Touring) il y a un tableau dédié aux montes d’origine. Un exemple très simple, je peux trouver un S23R M, 180/55 ZR 17 73W qui est dédié à la MT-09 et XSR 900 ’24. Référence 32560. Je peux trouver le même, dimension, indice de charge et de vitesse identique, mais référence 24758 quelques pages avant. C’est le modèle standard, dédié à aucune moto. Sa bande de roulement fait 180 contre 182mm et son diamètre global fait 632 contre 629mm pour le spec M.

Mis à part cette différence de largeur et de diamètre, en quoi ce S23 M est différent ? Le catalogue ne le dit pas. Là, Bridgestone n’a pas de communication grand public. Quand on leur demande, leurs techniciens nous répondent sans détour. Le S23 M est un bi-gomme et non un tri-gomme à l’arrière. Meilleur sur le mouillé ? Plus endurant ? Là, la réponse est plus évasive car ils n’ont pas fait de test. D’expérience, ils savent ce que chaque changement induit dans la performance du pneu, mais sans pouvoir le quantifier.

Vous voudrez savoir, il y en a beaucoup des pneus du genre chez Bridgestone ? Regardez-vous même dans le PDF joint, car il y en a trop pour les lister ici. Et encore une fois, on nous dit que le pneu est différent mais on ne sait pas en quoi. Par exemple sur la MT-09 ’14, le pneu spécial corrigeait les faiblesses de la suspension par sa construction (sans rendre la tenue de route parfaite, le pneu ne fait pas de miracle). Donc non, un pneu spec n’est pas d’office mauvais ! Ceci est valable pour les 5 autres marques interrogées.

Michelin garde sa ligne

Le sujet des pneus spec à été abordé avec le manufacturier français, qui peut se targuer d’équiper les MotoGP chaque week-end de course. Les gens semblent avoir une image globalement positive de la marque. Ces 8 lettres sur le flanc d’un pneu dégage une impression de qualité.

Yamaha, pourtant un japonais bon client de sa marque locale, en a équipé sa MT-07 (modèle très très vendu) tout comme sa Tracer 7. KTM en a fait autant sur la 890 Duke R et la 1390 Super Duke R par exemple.

Que répond Michelin quand on les interroge sur les pneus Spec ? «Le développement de nos gammes de pneus repose avant tout sur une écoute attentive des attentes des consommateurs, tout en répondant aux exigences strictes des constructeurs. Dans de nombreux cas, cela se traduit par des projets de codéveloppement, permettant d’offrir des solutions sur mesure. Une preuve concrète que nos pneus, qu’ils soient destinés à l’équipement d’origine (OE) ou au marché de remplacement (RT), sont identiques est l’absence de marquages spécifiques aux véhicules. Pour chaque dimension de pneu, nous proposons une seule référence, identifiée par un Code Article International (CAI).»

La position de Continental

Par le passé, Continental a fait des pneus spec, tel que le ContiTrailAttack 2 K. Mais dans l’offre 2024, il n’y a plus aucun modèle dédié. Si un constructeur équipe l’une de ses motos avec des Continental à la sortie d’usine, c’est comme avec le fabricant du paragraphe qui précède, le pneu du catalogue (et sans doute son prix unitaire) a convaincu.

Qu’en est-il de Pirelli et Metzeler ?

La marque italienne et la marque allemande sont très proches l’une de l’autre. Comme KTM et Husqvarna en somme. Chez eux aussi, ils mettent à profit leur expérience de la compétition. En Superbike, ils fournissent des pneus qui sont certes dédiés à la discipline, mais ceux-ci sont au catalogue. Ils sont identiques pour chaque équipe. Ils fournissent également la Moto2, le Supersport 600, Supersport 300, Moto3, etc. Donc globalement, ils font en sorte que leur pneu convient à tout le monde.

Seulement parfois, ils cèdent et font un pneu spec. Pirelli le fait notamment pour Ducati, mais pas que. Metzeler également, le dernier en date étant le Tourance Next2 B pour la R 1300 GS. Ont-ils dû sacrifier quelque chose pour atteindre la stabilité à haute vitesse comme avec la R1250 GS ? Ils n’approfondiront pas le sujet, aucun test comparatif n’a été fait.

Les catalogues, ou plutôt handbook, que j’ai pu trouver en accès libre sur le net font mention de ces pneus spec, plus nombreux sur d’anciens modèles que des nouveaux. Le site internet des deux marques est sans ambiguïté : si on cherche la nouvelle GS chez Metzeler, on a bien quatre modèles compatibles suggérés : le Tourance Next2 B est listé (pas le modèle standard). Cependant, on ne nous dit pas que c’est un modèle dédié à notre moto. Même fonctionnement sur le site Pirelli.

Dunlop répond de façon plus détaillée

Le début de la réponse à mes question de Dunlop est sans équivoque: « Le groupe Goodyear investit dans le développement des pneumatiques d’origine optimaux pour différents types de véhicules neufs, y compris les motos avec la marque Dunlop. Ces pneumatiques sont conçus spécifiquement pour la marque, le modèle et le type de moto. L’attention portée au développement de ces pneumatiques d’origine permet d’obtenir la meilleure solution pour chaque moto, en fonction du cahier des charges du constructeur et de ses exigences spécifiques. »

C’est un marché où il y a un bon de nombreuses pièces à écouler, Dunlop s’y consacre depuis toujours en étroite collaboration avec les constructeurs. Un motard satisfait de ses pneus lancera simplement « Remets-moi la même chose » à son mécanicien et ce sont à nouveau 2 pneus de vendus.

Une part importante est commandée par Harley-Davidson, qui fait mettre son logo sur les pneus, les recommandes systématiquement au client et les fabrique au États-Unis. Faisons marcher l’industrie locale. Une autre part de la production route, spec et catalogue, est fabriquée au japon. Notamment les spec pour les constructeurs locaux. Notez qu’il y a aussi une production plus proche de chez nous, à Montluçon en France. Là bas sont fabriqués un grand nombre de référence pour l’Europe. Des pneus route de remplacement, des pneus pour la compétition, des OE pour les constructeurs qui assemblent des motos en Europe, etc.

Lorsque Dunlop conçoit un pneu spec « nous essayons d’y répondre au mieux sans sacrifier la performance« . C’est évidemment le constructeur qui a le dernier mot pour le choix des pneumatiques, ceux qui sont « validés après de longs mois de développement et des centaines de milliers de tests et de kilomètres parcourus« , nous indique notre interlocuteur chez Goodyear Dunlop. Le fabricant met en oeuvre ses moyens dans la mesure du possible pour remplir le cahier des charges du constructeur.

Pour Dunlop aussi il existe un handbook qu’on peut trouver sur internet. Sur l’édition 2024 figure une liste de 23 motos avec des pneus spec Dunlop. Harley Davidson évidement, Moto Guzzi aussi et logiquement les fabricants japonais Honda, Kawasaki, Suzuki et Yamaha. Le fabricant ne communique pas plus en détails sur ces pneus spécifiques. Ils soulignent cependant que leurs distributeurs sont formés pour présenter au mieux les pneumatiques du groupe américain; les plus adaptées à chaque moto.

Pneus spec, à fuir ou à recommander ?

Là c’est moi qui doit botter en touche, chaque motard aura sa réponse. Le pneu livré avec votre moto vous a convaincu ? Autant reprendre exactement le même. Ou essayer un autre, d’une autre marque et sélectionner le meilleur.

Aucune fiche technique ne permettra jamais de savoir si le constructeur a choisi un pneu pour son prix, sa spec ou les deux. Un pneu dédié apporte-t-il la touche finale à une moto sans trop perdre sur d’autres aspects ? C’est vraiment votre ressenti qui le dira. Dire qu’un pneu spec est un mauvais pneu, c’est tirer une conclusion hâtive.

L’objectif de ce reportage, est de mettre en lumière ces pneus spécifiques. En même temps de pointer l’importance des inscriptions sur les pneus. Parfois 1 lettre fait toute la différence. Ce qu’on croit être un pneu comme celui du catalogue n’en est en fait pas un. Sans y faire attention, vous commandez le pneu du catalogue pour remplacer la spec et le feeling n’est plus le même.

À contrario, au moment de changer de pneu, discuter avec un spécialiste pourrait vous faire découvrir un modèle plus adapté à votre usage. Plus routier, plus terrain, plus endurant, plus sportif, mieux adapté au poids de la moto ou pour conduire sur le mouillé. Les possibilités sont très nombreuses !

Rappelez-vous que les pneus constituent votre seul lien avec le sol, la surface de contact n’est qu’une paire de carte à jouer. Donc prenez le temps de vous y intéresser, ce n’est pas négligeable pour le confort de pilotage. En Suisse le profile minimal doit être d’au moins 1.6 mm sur toute la surface de roulement, le témoin est lui à 0.8 mm. Mesurez bien la profondeur et suivez notre guide pour savoir quand changer un pneu.

Enfin, d’un point de vue légal, vous vous devez de respecter les dimensions, indice de charge et de vitesse qui ont été homologué pour votre moto. Vous trouverez l’information dans le manuel d’utilisateur ou parfois sur un autocollant de la moto indiquant aussi les pressions.