REPORTAGE
Chloé a grandi à Merdrignac en Bretagne et sa première idée était de devenir pilote de chasse. Direction dès lors l’ouest de Paris, au Lycée Militaire de Saint-Cyr-l’École. Mais, Chloé prend très vite conscience que recevoir des ordres n’était pas trop sa tasse de thé ! Elle change alors radicalement d’objectif pour se diriger vers une école d’ingénieur, l’U.T.T. (Université de Technologie de Troyes), en apprentissage mécanique et matériaux.
Les deux dernières années, d’un cursus qui en compte cinq, consistaient en des cycles successifs de deux semaines à l’école, suivis de deux semaines en entreprise. C’est chez John Deere à Orléans qu’elle se focalisera sur le développement moteur en matière de sons et de vibrations. Lors de la deuxième année, un stage de dix semaines à l’étranger était obligatoire. Chloé atterrit comme stagiaire dans une entreprise américaine basée dans l’Iowa, un changement plutôt radical ! Arrivée en plein hiver (par moins quarante-cinq degrés !!), elle vit une expérience très concluante qui la conduira à retourner sur les bancs de l’université du Michigan, près de Détroit, puis à rempiler pour un stage chez John Deere USA lors de sa dernière année.
Fraîchement diplômée, elle continue sur sa lancée avec un Master spécialisé dans les moteurs au sein des très réputés laboratoires « Engine Research Center » de l’Université du Wisconsin-Madison. Mais si Chloé s’est forgée une belle expérience dans le domaine des tracteurs, ses toujours bien présents souvenirs d’enfance la poussaient plutôt vers l’univers de la moto. Pour ses huit ans, son grand-père lui avait, en effet, offert, ainsi qu’à ses cousins, une PW80. De son côté, son oncle possédait une PW50. Avoir ces deux machines dans la famille les réjouissaient et ils passaient des heures à rouler sur un circuit improvisé dans la propriété.
Lors de son Master, elle était sponsorisée par un consortium qui possédait entre autres Harley-Davidson, Cummins et BRP, ce qui quelque part la rassurait sur les possibilités de décrocher un job dans le domaine des deux roues. Hélas, et après avoir essuyé refus sur refus chez les plus grandes marques, son avenir en France où elle pensait faire carrière sembla vite compromis.
Des moteurs aux datas
Restée aux States, notre jeune bretonne pleine d’ambition décrochait son premier emploi chez Cummins, dans l’Indiana, pour un an et demi. Chloé prend ensuite la direction du Tennessee chez Oak Ridge National Laboratory, pour trois années. Ces deux premiers jobs étaient axés sur les moteurs poids lourds et les carburants alternatifs et synthétiques.
Ses premiers salaires lui permettent de s’offrir un équipement convenable pour débuter l’expérience de la piste. Chloé possédait une CB600 Hornet, achetée en 2015 avec son bonus de fin d’apprentissage chez John Deere. Des contacts se nouent et Chloé réalise des analyses de données pour quelques copains. Peu habitué à ce type de support, un pilote lui fait vite confiance et voit ses chronos évoluer à un point tel qu’il lui demandera de le suivre durant la saison 2021 du championnat MotoAmerica Junior Cup et Twin.
Dès lors, elle mettait sur pied sa propre entreprise, en tant qu’indépendante complémentaire. « UNICAL RACING » voyait le jour, avec le soutien des logiciels AIM Sports, le leader mondial dans le domaine de l’acquisition de données pour les sports mécaniques.
Lors de la saison suivante et durant la manche de Road America, circuit situé à quelques miles de Milwaukee, le fief d’Harley-Davidson, Chloé retrouve deux anciens étudiants, rencontrés sur les bancs de l’Université du Wisconsin. Employés par la marque fondée en 1903, ses deux « camarades » lui font part d’une belle opportunité d’avenir auprès de leur employeur, une aubaine qu’elle saisit immédiatement et qui lui ouvre enfin les portes de ses premiers amours, la moto !
Welcome to Harley-Davidson
C’est en 2021 que Chloé fait sa grande entrée chez Harley-Davidson Motor Company. Elle dépose ces valises à Milwaukee et est vite rejointe par son compagnon Josh, rencontré sur les courses et également mécanicien en catégorie stock 1000. Depuis, ils vivent dans un magnifique appartement au cœur même de cette ville tellement emblématique.
La tâche de Chloé n’est pas mince, son rôle de « Powertrain Performance Engineer » est axé sur la recherche et le développement pour les nouveaux moteurs. Elle travaille actuellement sur des projets qui ne verront le jour qu’en 2027, voire même 2032 ! Elle travaille principalement sur des bancs moteurs et son équipe est en charge de délivrer la meilleure performance : ils définissent les pistons, les admissions, les échappements et ensuite la calibration moteur. Leur principale responsabilité, à elle et son équipe, tient dans l’architecture du moteur, les pièces composites, les performances, le bruit.
Chloé prend également en charge le codage en récupérant énormément de données d’un moteur, car on peut le cartographier, ce qui lui permet d’en tirer la meilleure optimisation. C’est en gros l’intelligence artificielle, le « machine learning », pour réussir à optimiser les performances.
Elle s’épanouit aussi dans un nouveau domaine en contrôlant comment les différentes stratégies interagissent entre elles afin de préserver la vie du moteur. Retarder l’allumage pour préserver des détonations est par exemple, une stratégie à considérer. Une fois le travail terminé, son équipe donne un package moteur aux calibreurs qui finissent le travail sur banc de châssis avec l’entièreté de la moto, et s’occupent du contrôle traction, des émissions de polluants, de la réponse aux gaz…
« Je n'ai pas d'idoles. J'admire le travail, le dévouement et la compétence. »
Jongler avec les deux
Employée la semaine chez Harley, Chloé n’abandonne pas pour autant l’univers de la compétition en MotoAmerica. Lors de son entretien, elle avait mentionné le souhait de continuer son activité d’analyste de données. La requête fut acceptée par son manager, avec pour seule contrainte logique de ne pas proposer ses services à une équipe concurrente dans les épreuves des « King of The Baggers ». Les Harley « Factory » y jouent en effet, la gagne et Chloé elle-même s’occupe à l’usine du développement des moteurs. Elle s’épanouit dans ces deux activités et l’opportunité aux États-Unis d’avoir des congés illimités l’autorise à se rendre en extra sur onze week-ends de courses annuels ainsi que sur d’autres journées de roulage. Au détriment des vacances…
Son expertise et sa passion l’ont également menée comme ingénieure de données de course pour AIM Sports et l’équipe Vision Wheel M4 Ecstar Suzuki, où elle est en charge des systèmes électroniques, de l’analyse des données et de la gestion du moteur pour optimiser les performances en piste. Ses facultés de compréhension des données et du comportement de la moto est due à l’un des points forts de Chloé : elle roule aussi sur piste au guidon de sa R6, qui techniquement possède un boitier ECU identique aux motos Supersport pour lesquelles elle travaille en championnat MotoAmerica, ce qui lui permet de bien cartographier ses données. Le fait de connaître les sensations d’une moto sur piste lui donne un avantage de compréhension des ressentis d’un pilote, directement à travers sa cartographie. Si elle se considère d’un niveau moyen, ceci lui confère dans les faits un atout considérable !
Ouvrir des opportunités !
Très indépendante, Chloé trace sa propre route et se forge une belle liste de contacts. Elle se voit bien évoluer dans ce domaine, avec des envies de carrière au plus haut niveau de la compétition moto, le Moto GP. Dans ce but, elle s’est rendue à Barcelone en novembre dernier pour consolider des contacts pris lors du récent Grand Prix des Amériques. D’après certains, ses compétences sont d’un tel niveau que son profil pourrait séduire plus d’un team !
Comme vous pouvez l’imaginer, il n’est pas toujours simple de travailler aux États-Unis ; il ne manque plus actuellement à Chloé que deux ans pour l’obtention de la nationalité américaine. Elle possède depuis 2021 le fameux sésame, la Green Card, mais elle risque de le perdre si elle vit plus de douze mois en dehors du territoire. Elle doit en outre maintenir six mois de résidence permanente, ce qui paraît jouable en période hivernale, au prix d’une bonne gestion de son planning des déplacements. Après cette obtention, tout est envisageable, même pourquoi pas, un retour dans sa région natale, aux paysages si différents. Son compagnon, originaire de San Diego, n’y serait pas opposé.
Même si la moto reste son « dada », Chloé reste ouverte à toute opportunité et l’univers des quatre roues n’est pas exclu. Elle s’est mise il y a peu à suivre l’Indycar et la F1. Pour Chloé, passer par la case F1 n’est pas se fermer la porte de la moto : certains ingénieurs du MotoGP sont issus de la Formule Un où ils ont développé l’aérodynamique, les carburants synthétiques, les systèmes de contrôle.
Pour l’année 2025, elle quitte Harley-Davidson pour rejoindre Michelin mais restera aux États-Unis pour intégrer l’équipe d’ingénieurs pneumatique en championnat IMSA tout en gardant son activité d’analyste de donnée comme indépendante. En rejoignant le fabricant des pneus de MotoGP, elle a bon espoir de s’ouvrir des portes pour son avenir dans le deux-roues.
Comment ne pas rester admiratif devant ce genre de personne qui s’est construite toute seule à force de détermination et de courage et de sacrifices, loin des siens ? Elle seule connait son avenir, mais elle donnera sûrement tout pour atteindre ses objectifs !