REPORTAGE
Note de la rédaction : ce reportage vous est offert grâce à la générosité combinée de Loris Baz et Jonathan Godin. Ce dernier, j’ai la chance de le voir au moins une fois par an, car son talent est requis pour illustrer les essais de Yamaha et de Bridgestone. Ce grand photographe belge (phrase à double sens) est passionné par le sport motorisé Nord Américain et en août dernier, il a rendu visite à Loris Baz qui court en MotoAmerica.
À son retour, il a écrit ce reportage dans l’espoir qu’il soit intégré à un magazine qui n’est finalement pas sorti. Loris a ensuite proposé de l’offrir en échange d’un don à Riders for Dogs, organisme crée par le Néozélandais Simon Crafar pour venir en aide à des chiens à travers le monde. Même si sur AcidMoto ce reportage est maintenant en accès libre, je vous invite à faire un don à Riders for Dogs via le lien ci-dessous. Il y a un lien pour des EUR, des dollars, mais aussi toutes les autres devises par virement bancaire.
Je remercie Loris et Jonathan et vous souhaite une bonne lecture.
Dimanche 11 août, 14h51, Aéroport International de Newark-Liberty, me voilà enfin assis dans ma voiture de location ! J’envoie un message : «Hello Loris, je suis enfin prêt à prendre la route. Où se retrouve-t-on ? » « Salut Jo, voici le lien google map ! » Je clique dessus et cela m’indique : 1124 North Irving Avenue, à Scranton, Pennsylvanie. Ceinture bouclée, me voilà lancé sur l’Interstate 78 avec, dans mes rétros, les gratte-ciels de Manhattan. Après 56 miles, je quitte l’Etat du New Jersey au niveau de la ville de Philipsburg et son pont autoroutier enjambant la rivière Delaware pour enfin arriver, une heure quinze minutes plus tard, devant une grande maison aux murs gris et châssis blancs, ma destination.
D’entrée de jeu, j’entends crier « Yoooo », mon regard se tourne directement, j’aperçois Loris sur le pas de la porte. Cette maison sert de camp de base pour les mécaniciens italiens travaillant pour son team, le Warhorse HSBK Racing Ducati. Simone, Max et Maurizio m’accueillent très chaleureusement. J’y retrouve également Joyce, alias Bibiche, la chérie de Loris, que je n’avais plus vue depuis le Bol d’Or 2019. Le temps de quelques blablas, nous nous retrouvons tous autour de la grande table du salon à nous empiffrer des restes d’un grand barbecue qu’ils avaient fait la veille. Je commence à accuser le coup du décalage horaire pour m’endormir vite fait bien fait dans l’une des nombreuses chambres de cette grande maison.
North American Warhorse
Le lendemain, après son footing le long du Lac Scranton, Loris me fixe rendez-vous chez Bobby, l’un des big boss chez qui il loge lorsqu’il est entre deux courses, et d’où nous partons chez « North American Warhorse », juste à l’extérieur de la ville. Là, on ne fait pas dans le détail ! Imaginez l’imposante concession de plus de 20.000m² et qui abrite plus de vingt marques différentes, d’Aprilia à Yamaha en passant par Indian, Polaris, Ducati, Suzuki… C’est carrément la caverne d’Alibaba !
L’histoire de cette entreprise ferait penser au scénario d’un film de Martin Scorsese. En premier, il y a le père, Louis DeNaples senior, âgé aujourd’hui de 85 ans. Arrivé à Scranton âgé de vingt ans, il a su fructifier au fil des années son capital, possédant plus de deux cents sociétés ! De la gestion des déchets des Etats de Pennsylvanie, New Jersey et New York à la vente de pièces automobiles, la gestion d’un casino-resort ou encore la possession du circuit de Pocono qui accueille entre autres la NASCAR, le patrimoine familial est devenu tellement imposant que le père et fils ne volent pas dans le même avion !
Débarqué un jour plus tard, l’un des grands amis de Loris, Franck Millet nous rejoint à son tour. J’ai personnellement connu ce sacré phénomène qu’est Franck en 2007, quand il faisait ses armes en championnat du Monde Superstock 1000. Après plusieurs péripéties personnelles, il a lâché son cuir pour s’adonner à la communication vidéo des acteurs qui sont dans les paddocks. D’entrée de jeu, il sort sa caméra et commence à filmer. Loris nous emmène dans la grande salle de réunion, je dis grande car elle y voit trôner différents modèles et les amateurs de la marque de Bologne en resteraient bouche bée. Je ne vais pas vous faire le listing complet mais mon regard se porte sur quelques-unes, dont les Desmosedici RR, 999S FILA, 999R XEROX, 916 Senna, Supermono…
L’après-midi, Loris veut nous faire découvrir Downton. Nous passons sous un pont aux murs colorés où est inscrit « Welcome to Scranton ». Juste après celui-ci, nous entrons dans Biden Street, quand il nous fait remarquer que le 46ème président des Etats-Unis est né ici. À différents coins de rues apparaissent des annotations « Electric City ». Ce surnom est dû à son passé : Scranton fut l’une des premières villes des Etats-Unis à être électrifiée, en 1880. Après le lunch, nous prenons quelques photos devant l’immense fresque de la série à succès « The Office » dont Scranton accueillit le tournage durant neuf saisons.
Direction le Midwest
Mardi 13 août, fini le tourisme, les choses sérieuses commencent. Nous quittons la maison pour effectuer un bref passage par la concession où le magnifique camion américain aux couleurs Warhorse HSBK Ducati Racing est sur le point d’être entièrement chargé. Le temps pour Loris de finaliser ses affaires et nous voilà lancés en direction de la septième course du championnat MotoAmerica. Dans la voiture, un français, une française, un suisse et un belge ! Comme le souligne Loris, Coluche aurait été amusé de cette voiture qui entame un trajet de 421 miles (670 km) jusqu’en Ohio.
En grignotant le paquet d’un kilo de M&M’s, Loris nous raconte l’histoire de l’équipe. La concession est dirigée par Louis DeNaples Junior tandis que HSBK est la propriété de Bobby Shek. Ce dernier possédait une concession Ducati, réparation et vente de pièces à Houston, au Texas. Il était également à la tête son propre team engagé en Superstock et soutenu par Warhorse, qui faisait rouler PJ Jacobsen.
Durant la saison 2020, Louis, alors partenaire, voulait gravir les échelons jusqu’en catégorie reine. Les deux compères ont acheté une Ducati en Italie, celle du test team, pour ensuite engager cette moto uniquement pour la manche d’Indianapolis. Il faut reconnaître qu’à son guidon, le pilote italien Lorenzo Zanetti n’a pas fait dans la dentelle en décrochant la victoire avec cette Ducati Panigale V4 R.
Par la suite, Louis demanda à Bobby de déménager tout son business en Pennsylvanie et de s’associer, tant dans la concession que dans le team. Par la suite, ils feront appel à Loris qui débarquera en pleine pandémie mondiale, seul avec ses valises, pour y disputer le championnat MotoAmerica de Superbike en 2021.
Autre personnage-clé dans l’aventure Warhorse, Eraldo Ferracci est considéré comme une Icône chez Ducati pour avoir remporté le championnat AMA (ancien nom du championnat) en 1993 avec Doug Polen et l’année suivante avec un certain Troy Corser. Au début de cette nouvelle aventure, Ducati n’avait pas mesuré le niveau et le potentiel marché américain. Depuis lors, le team bénéficie d’un soutien total de la marque. Le contrat, prolongé jusqu’en 2029, a été signé lors de la précédente épreuve de Laguna Seca par Paolo Ciabatti, directeur sportif et directeur du marketing et de la communication de Ducati Corse.
Après ce long passage culturel, les ventres commencent à crier famine. Loris, expert en la matière pour trouver les restaurants, décide de me faire plaisir en nous dénichant un Quaker Steak & Lube, le genre de restaurant typiquement « racing » où dès les portes franchies, la décoration en met plein la vue. On y voit des motos fixées au plafond, la réplique d’une voiture de Nascar Texaco Havoline du regretté Davey Allisson est attachée au-dessus du bar, le tout agrémenté d’une multitude de panneaux et autres affiches.
Dans ce genre d’endroit, il faut se la jouer à la mode américaine, c’est parti pour le Cheesesteak Phil-M-Up de 800 calories tandis que Loris, pilote professionnel, doit se contenter d’une Caesar salad ! Bien rassasiés, nous reprenons notre route avec DJ Loris aux commandes et un goût musical de rap français pour ados que je n’apprécie que très modérément. J’aurai beau essayer de mettre de l’ambiance avec de la techno pour motiver les troupes, mais rien n’y fera. Trois contre un, j’ai perdu.
Étape clé de notre road-trip, le passage dans l’Etat de l’Ohio. Nous voulons naturellement immortaliser ce cap avec une photo devant cet immense panneau située sur l’autoroute Interstate 80. Nous improvisons une panne moteur pour garer notre voiture juste à côté et c’est donc caché derrière le capot ouvert que j’immortalise Loris. Nous reprenons notre chemin pour arriver en début de soirée à notre hôtel ; après un bon burrito, il est temps d’aller au lit, les choses sérieuses commencent le lendemain.
On y est !
Au petit déjeuner, c’est gaufre chantilly pour moi et au chocolat pour Francky tandis que Loris, l’air dégoûté, se rabat sur sa salade de fruits. Sur le moment, je rencontre le californien hyper cool typique, son équipier, Josh Herrin âgé de trente-quatre ans, trois de plus que Loris. On devine d’entrée de jeu la fraternité qui lie ces deux loustics. Josh, c’est un palmarès déjà très impressionnant, avec à son actif trois victoires aux célèbres Daytona 200 et un titre de champion des USA Superbike acquis il y a déjà plus de dix ans. Il a également été le coéquipier de Johan Zarco au sein de l’équipe Caterham en Moto2.
Avant de nous rendre au circuit, nous partons faire quelques emplettes chez Walmart. Pourquoi ? Voici la première particularité des courses de l’autre côté de l’Atlantique : on a un championnat professionnel, avec des équipes d’usine, et personne n’a d’hospitalité. Seul le promoteur met un catering à disposition pour ceux qui le désirent, sinon c’est la débrouille. Cette méthode me paraît très particulière, car comment inviter vos nombreux partenaires dans ces conditions ? C’est le jeu et finalement tout le monde s’en accommode. Au programme de notre sportif français, ce sera riz et thon quasi quotidiennement. Sa mixture sera préparée avec amour par sa chérie, Joyce.
Nous quittons ces immenses complexes de Mainsfield. Routes sinueuses, lignes jaunes, fermes rouges et blanches, ça respire la campagne du centre de l’Ohio. Nous bifurquons sur la Lexinton Road jusqu’à une boîte aux lettres indiquant le numéro 7748. On ne peut s’empêcher d’immortaliser notre arrivée au pied du magnifique panneau d’accueil du « Mid-ohio sports cars course ». Je me réjouis d’ajouter un quinzième circuit sur ma liste personnelle des tracés américains sur lesquels je me suis rendu. Nous franchissons le contrôle d’accès où, dans un accent bien typique, une charmante dame nous souhaite la bienvenue dans le Midwest.
Seconde particularité des courses made in USA, il n’y a pas de box qui donne directement sur la pit-lane, des tentes sont installées devant le premier muret de stand. Chaque circuit à sa propre singularité. Sur certaines courses les teams déploient les grands auvents de leurs camions et y installent tout le matériel. Parfois, certains boxes en retrait sont mis à leur disposition.
Excepté à Cota, la plupart des tracés américains sont loin de ces circuits aux grandes infrastructures modernes à profusion. Sur le plan électricité, c’est le même dilemme sur l’ensemble des circuits, rien dans le paddock, tout fonctionne via les groupes électrogènes des camions et dans la pit-lane ce sont les groupes portatifs des teams qui fournissent le jus : un esprit minimaliste qui donne un certain cachet. Ici à Mid-Ohio, qui accueille également le championnat Indycar, des boxes en bois très ruraux sont mis à disposition des teams.
Je rencontre le reste de l’équipe, des « flying guys » c’est-à-dire ceux qui ne viennent que la semaine de course. Le temps de sympathiser avec tous, puis Loris part découvrir ce tracé. Le genre de tracé qui ressemble aux circuits anglais, dessiné à la main et où les dégagements sont parfois très courts comme le constatera Loris dans une cassure à plus de 300km/h avec les rails situés à sept mètres de la piste et juste protégés par des ballots de paille. Ce tracé de 2,4 miles (3,8km) tient de la montagne russe, avec des virages aveugles qui se referment ; bref, les sensations seront au rendez-vous. Ce tracé a vu le jour en 1962 et a servi de terrain de jeu au championnat de 1983 à 2014. Il donne à ce rendez-vous la saveur d’un retour, après dix ans d’absence, sur les terres de l’AMA qui fut fondée en 1926 non loin de là à Pickerington qui abrite le Motorcycle Hall of Fame, temple où vous pourrez admirer toutes ces machines qui ont fait la renommée mondiale de l’American Motorcyclist Association à travers toutes les disciplines motos.
Excepté les anciens (dont Josh, qui roulait déjà lors de la dernière course en 2013 !), tous partiront sur un pied d’égalité. Grand retour signifie bien sûr découverte du tracé, c’est pourquoi MotoAmerica a décidé d’ajouter une journée supplémentaire aux traditionnels trois jours d’un week-end de course. De bonne augure pour Loris qui focalisera sa journée du jeudi à l’apprentissage de cette piste si particulière. Chose qui l’handicapait précédemment car il devait découvrir une piste dès la séance d’essai libre du vendredi matin. Absent sur ce round, John Kocinski prodigue habituellement ses précieux conseils à nos deux compères. Lorsqu’il est présent en bord de piste, il peut indiquer aux pilotes ce qu’ils peuvent améliorer et c’est un plus très bénéfique de pouvoir compter sur cette ancienne gloire des GP et Superbike.
Premiers tours
Les choses sérieuses commencent le jeudi matin. Franck et moi prenons possession de notre table dans la salle de presse située au second étage de la tour de contrôle. Nous tombons des nues en voyant ce lieu très pittoresque et minimaliste comprenant seulement une vingtaine de places. Dire que la plupart des gros médias viennent ici pour l’Indycar ! Je suis planqué avec mon Nikon Z9 équipé d’une focale pouvant atteindre 840mm à la sortie d’un virage aveugle. J’entends arriver ces Superbike moteurs hurlants mais celles qui me feront exploser les tympans seront les fameuses Panigale V4 R de Josh et Loris !
Ressenti mitigé pour le premier feedback du français : le circuit est plus difficile à apprendre par rapport à sa vision réalisée la veille durant le trackwalk. Plusieurs entrées de courbes sont à l’aveugle et se referment par la suite. Niveau réglage, la moto est trop dure et il perd énormément l’arrière, à un point tel que son pneu Dunlop est complètement ruiné. Plusieurs réglages apportés par ses mécanos Sebastien Fontanelle et Cody Chesebrough, dont un changement de braquet, vont aller dans la bonne direction et les chronos de cette journée de test s’améliorent au fur et à mesure des tours. Pour la petite histoire, Loris n’est pas le seul tricolore dans l’équipe : en effet, Sebastien Fontanelle est originaire de Paris et aujourd’hui résident américain. Il avait débarqué aux USA en 2016, avec un certain Valentin Debise.
La particularité physique quand un pilote apprend une piste est qu’il n’est pas détendu sur la moto, surtout sur des pistes aux virages aveugles. Il a plus tendance à adopter une position haute pour élever son champ de vision. Résultat, Loris souffre du dos et du cou. Heureusement, sa chérie Joyce va lui prodiguer les premiers soins. En effet Joyce est diplômée en Ostéopathie et Drainage. Ses bienfaits ont un tel impact que Josh, alors complètement ignorant de ce genre de soins, en est devenu accro. L’une des singularités de Josh est qu’il ne s’entraîne pas et pratique une hygiène de vie normale, au grand écœurement de Loris qui lui est un acharné dans ce domaine, passant des heures sur son vélo à travers les somptueux paysages de sa Haute-Savoie. La journée se termine dans un Texas Road House où Josh, Loris, Joyce, Franck et moi-même, savourons de délicieux ribs. Vous savez, ces fameux ribs cuits de longues heures dans un fumoir… J’en salive encore !
Dans le vif du sujet
Les choses sérieuses commencent enfin le vendredi avec au programme les essais libres et la première séance qualificative. Tout au long de la journée, des centaines de motorhomes taille XXL vont s’implanter tout au long du tracé. Ces monstres sur roues affichent des plaques d’immatriculation des quatre coins du pays, prouvant la popularité du championnat. Tous se retrouvent pour partager un moment de convivialité. En matinée, la météo froide et humide est indécise et la crainte de Loris par rapport à l’usure prématurée de son pneu lors de la journée du jeudi a été confirmée par l’ensemble du plateau. Durant la totalité de la saison Dunlop met à disposition un pneu dur, le R7, mais il se dégrade malgré tout rapidement sur cette piste qui a été ré-asphaltée en novembre 2023. L’objectif principal de cette première mise en jambe est de réaliser une simulation course : le pneu perdra rapidement en efficacité, ce qui fera réagir Dunlop qui affrétera un camion chargé en gommes encore plus dures.
Sur le coup de 13h30 c’est le branle-bas de combat et les équipes du plateau déplacent motos et caisses à outils du box jusqu’à la voie des stands. Je décide de rester près de Loris afin d’immortaliser ce travail entre lui et son équipe. Je le trouve très décontracté : il sait rester comme il l’est, c’est à dire encore taquin, jusqu’au moment où il rentre dans sa bulle. Les yeux se ferment, il parcourt mentalement un tour du circuit. Le drapeau vert est montré et les vingt fauves du plateau sont lâchés pour cette première séance qualification. Toujours en difficulté sur leurs roues, c’est un challenge de trouver le bon réglage pour réaliser le chrono idéal. Entre équipiers, l’entraide est de rigueur sur la piste et au bout des trente minutes, Loris est crédité d’un très prometteur second chrono de 1min 24.026, à seulement 122 millièmes de Cameron Baubier.
Durant cette séance, Wayne Rainey, Président du MotoAmerica vient saluer Loris. Cette société a acheté le championnat AMA il y a exactement dix ans. Le championnat a vu le jour en 1976 et dans sa catégorie reine, le Superbike, a couronné plusieurs grands noms, d’Eddie Lawson à Cameron Baubier, en passant par Toni Elias, Josh Hayes, Ben Spies, Nicky Hayden et tant d’autres. Dans les bonnes années on parlait de salaire stratosphérique pour un championnat national et les quelques infos que j’ai pu dénicher mentionnent des salaires allant au-delà du million pour le septuple champion Mat Mladin, ce qui donnait peu d’envie à ces pilotes de venir courir dans des championnats Européens.
De nos jours les choses ont changé, mais Wayne et son équipe réalisent un travail titanesque pour maintenir le navire à flot. Je n’en veux pour preuve que l’arrivée du très disputé championnat des Kings of The Baggers, qui donne un sacré piment dans un week-end de course. Les primes par course sont très motivantes pour ces pilotes, contrairement à certains championnats européens où rien n’est distribué par le promoteur. MotoAmerica répartit durant l’année plus de 6 millions de dollars à travers toutes ses catégories et acteurs !
La fin de journée voit encore un rituel très spécial : les motos et le matériel sont rentrées dans les camions et non dans les boxes, ce qui fait perdre en soirée et en matinée une heure de travail à chaque équipe…
Samedi, première manche
Samedi c’est le grand jour, la première course est programmée en milieu d’après-midi. Josh est arrivé l’esprit serein en tête du championnat suite à sa victoire lors de la dernière course à Laguna Seca, tandis que Loris se sent de plus en plus en confiance sur sa machine et compte bien grappiller de précieux points pour revenir dans le top trois. Les fans arrivent en nombre au guidon de leurs Harleys et autres deux-roues. Les familles sont également bien présentes et garent leurs gros pick-up V8 au coeur même de la partie centrale du complexe. Tous installent leurs tonnelles et leurs chaises, sans oublier le plus important, la glacière, afin de passer une agréable journée.
Après une seconde séance qualificative qui ne voit pas les chronos s’améliorer, les nombreux fans viennent à la rencontre des pilotes lors d’une session d’autographes. Aux USA, j’ai déjà assisté à des courses de Nascar, de dragsters de la NHRA et chaque fois toutes ces grandes stars, multiples champions, sont toujours très disponibles et prêts à entamer sans problème une conversation dès qu’ils n’ont plus le casque sur la tête. C’est également le cas ici, la convivialité est de rigueur et c’est vraiment un esprit qu’on ne retrouve pas forcément chez nous lors de compétition de haut niveau. Sur le circuit où chez eux derrière leurs écrans, les fans peuvent également parier en ligne sur le résultat de la course. Pour Mid-Ohio, Loris a une côte très élevée à +966, c’est à dire que si vous pariez 20$ et qu’il gagne, vous empocherez 213,20 dollars !
Ça fait plaisir d’entendre parler français, cette langue sort directement du lot. On repère un alsacien venu spécialement pour cette course et qui du coup profite d’un road-trip dans la région, puis un autre qui fait signer son drapeau tricolore. Loris n’hésite pas à donner des sliders aux jeunes loups, de les voir tout émerveillés fait son bonheur car ça lui rappelle quand il était gamin devant des Capirossi et autres Biaggi.
La tension monte à l’approche de la mise en grille et moi-même je me prends au jeu avec ce petit stress qui s’insinue en moi. Je suis installé, prêt à mitrailler en bas d’une colline où je veux jouer avec le public amassé en arrière-plan. Départ, dans un bruit assourdissant les embrayages sont lâchés. Les speakers sont déchainés mais je n’ai aucune visibilité en contre-bas de cette butte. Dans la virage précédent, j’entends une Ducati, au bruit tellement distinctif, accélérer en premier. D’un coup, Josh apparait en tête au somment. Je le shoote dans le virage suivant afin d’avoir la horde des poursuivants dans la descente. Il a déjà creusé une avance d’une dizaine de mètres. Dans la cohue, je tente de trouver Loris mais rien, les fauves sont tous passés. Je me dis mince il est tombé ! Je regarde directement ce que j’ai photographié et juste dans le sillage de Josh se trouvait la Ducati numéro 76. Waouh, quel départ !
Au second tour, ce duo de choc a quasi multiplié l’écart par dix ! Cela sent bon mais la course est longue de seize tours. Afin de varier les angles, je change de virage au fil des tours pour me rapprocher du paddock. Aux trois quarts, Josh précède de trois secondes Loris qui en possède dix de plus sur Baubier. Le scénario idéal d’un doublé historique s’écrit pour la marque de Bologne. Je décide de suivre les derniers tours auprès de l’équipe pour immortaliser ce moment de joie. Moment de courte durée quand Loris apparaît sur les écrans, planté dans un bac à gravier. La désillusion est totale pour le clan. Un sentiment de tristesse mâtiné de joie quand Josh passe en premier sous le drapeau à damiers.
Je dis directement à Franck : «Toi, tu es son pote de toujours, tu le connais mieux que moi, je te laisse l’approcher en premier ! ». Mon émotion me pousse à aller directement le consoler mais je ne veux pas commettre d’impair dans ce qu’il nous dira plus tard avoir été la plus grosse c*** de sa carrière. Après une petite heure de travail en salle de presse, je me rends au camion où j’aperçois un Loris tellement déçu de lui-même. À ses côtés, Louis DeNaples et Eraldo Ferracci sont là pour lui transmettre des ondes positives « On gagne ensemble, on perd ensemble ».
Les pilotes et les membres hauts placés de l’équipe se font un restaurant tandis que Francky et moi même, histoire de nous remettre de nos émotions, décidons d’aller en centre-ville dans un festival « Rock’n Ribs ». À notre retour à l’hôtel, nous retrouvons un Loris décontracté et souriant. Je pense que le dîner a été positif. Notre Franck Millet national enchaîne les plaisanteries, même Josh n’en revient pas de l’équipe de joyeux lurons que nous formons. Ce moment privilégié permet de clôturer cette journée sur une note plus souriante.
Switcher son cerveau
Bien entouré, Loris a pu se remobiliser et se reconcentrer pour le MAIN EVENT ! Les équipes s’affairent sur la grille de départ de la seconde manche. H-10 minutes, le speaker Michael Hill demande à l’assistance de se lever et de se découvrir. Les louanges au Seigneur du pasteur Mark Medical laissent ensuite place à l’hymne national américain, où le drapeau étoilé et celui de l’État de l’Ohio sont représentés par « the Ligonier valley air force ». Tous, la main sur le cœur, écoutent Wendy Reiser chanter « The Star-Spangled Banner ». Ce moment de patriotisme est toujours d’une réelle intensité. Les activités protocolaires terminées, c’est le moment d’évacuer la piste.
Sous les acclamations du public, les feux s’éteignent et c’est reparti ! Fort de sa pôle, Baubier réalise le hole-shot au guidon de sa BMW M 1000 RR. Loris, alors troisième, se fera passer par Josh qui a réalisé un départ moyen. Le trio de tête est alors Baubier, Kelly et Herrin. Ils vont s’adonner à une lutte acharnée, s’échangeant les positions tout au long des dix-neuf tours. À ce petit jeu, Josh va se montrer le plus fort en prenant la tête dans l’avant-dernier tour et il passe la ligne de justesse devant Sean Dylan Kelly.
Loris reprend confiance en finissant au pied du podium. C’est en véritable conquérant que Josh arrive dans Victory lane où il est directement félicité par Loris, ce qui prouve qu’ils se soutiennent mutuellement. C’est la première fois de sa carrière que Josh réalise le doublé et de ce fait consolide sa place en tête pour l’avant dernière manche qui sera disputée à Cota. Cette bonne humeur règne jusqu’au repas final avec toute l’équipe. Le temps d’un dernier selfie, c’est le temps des « goodbye ».
Days after !
Ce n’est pas fini pour autant, car dès le lendemain, Josh et Loris sont de retour au circuit pour une journée de roulage Ducati où, en compagnie d’autres pilotes de la marque, ils réaliseront du coaching personnel. Sur le coup, Loris me dit qu’il aimerait bien mieux promouvoir ce contrat qui le lie à Ducati, mais au niveau français, car il doit avouer que le coaching y est d’un niveau supérieur. Il est surprenant d’imaginer que la veille le lieu était envahi de monde : tout est rangé, nettoyé, pimpant. Décidément, et je m’en suis rendu compte tout au long du week-end, les américains, souvent très critiqués pour leurs excentricités, ont un respect inégalé, me proposant à boire quand j’étais en bord de piste, m’ouvrant les portes alors que j’étais chargé avec mon matériel.
Le lendemain, notre incroyable semaine se clôture, la voiture de location est surchargée. Le temps de se remémorer nos rigolades et nous voilà arrivés à l’aéroport International John Glenn de Columbus. Hé oui, le premier Américain à effectuer un vol orbital est originaire de l’État. Comme je pars vers Bruxelles, nous nous séparons le cœur lourd.
Alors que mon vol United se trouve au-dessus de l’Angleterre, je me réveille après avoir rêvé d’une finale d’anthologie au circuit du New Jersey où Josh empochait le titre et où Loris décrochait enfin sa première victoire, le tout dans une ambiance des plus magiques. Était-ce seulement un rêve ?