Reportage publié le 09 janvier 2018

Sibérie extrême : épisode final [page 2]

Texte de David Zimmermann / Photo(s) de David Zimmermann

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Pour moi qui suis fasciné par les endroits abandonnés, Kadykchan c’est quasiment le nirvana. Peut-être pas aussi impressionnante que Pripiat, mais tout de même il y a de quoi faire ici et au moins on ne doit pas se soucier des radiations.

On se promène un peu dans ce qui était le centre ville. Les bâtiments ont soufferts des énormes écarts de températures, et ils sont tous en train de se fissurer et de tomber en ruines. En face d’un bâtiment décoré d’une grosse étoile rouge, sur une petite place envahie par les mauvaises herbes trône le buste de Lénine. Il n’a plus de joues et ressemble à un monstre qui garde sa ville. Flippant ! D’ailleurs se promener dans ces immeubles abandonnés c’est assez flippant, on se croirait facilement dans un film d’horreur…

A Kadykchan, toutefois, pas de Freddy Krueger et autres Jason Voorhees, mais un ennemi tout aussi redoutable. J’ai nommé le moustique mutant carnivore… Bon pour le mutant je suis pas sûr, mais il est énorme et assoiffé. Il y en a tellement qu’on est obligé de laisser nos casques et nos gants, et malgré ces précautions, on s’est fait massacrer. On a rapidement compris le message, c’est leur ville et on doit ficher le camp.

Après 440 km de piste poussiéreuse mais en bon état, on arrive à Susuman vers les 21 heures. L’hôtel que mon GPS m’indique semble tout bonnement abandonné. Même les lettres Gastinitsa (hôtel en Russe) sont tombées du mur et en train de rouiller au sol. J’ouvre la porte et c’est tout nuit, bon on dirait que c’est abandonné... 
Alors qu’on s’apprêtait à repartir, une voiture arrive. Quelle ne fut ma surprise de rencontrer un français et son interprète ici ! Il travaille pour une compagnie minière, évidemment. L’hôtel est bien fonctionnel et c’est même le seul de la ville. Il fallait monter au premier étage avec une lampe de poche pour trouver l’entrée. Vous pensez que ça ne m’aurait pas effleuré l’esprit…

Nous ne sommes qu’à 620 km de notre but, Magadan. Magadan c’est en quelques sorte le bout du monde. C’est la dernière grande ville accessible par une route au nord est de la Russie. Les autres ne sont accessible que par la mer ou en hiver par les rivières gelées qui se transforment en route.

Le lendemain matin, à huit heures pétante on est déjà en route ce qui est un exploit pour nous qui ne sommes pas des lèves-tôt.

Alors que je regarde les bâtiments abandonnés de la ville d’Orotoukan au bord de la route, je vois soudain un énorme buste de Lénine au milieu des ruines d’une usine. Waouh, il faut absolument que je photographie ça ! Au fil de mes voyages j’ai développé une sorte de fétichisme des statues de Lénine. Je ne voue aucun culte au personnage, c’est juste ces statues qui m’intéressent. Avec mes yeux d’étranger, c’est un des symboles les plus reconnaissable d’une ville Russe. Chaque ville, chaque village quasi à sa statue, aussi petite soit-elle, souvent dans la place du même nom sur la rue du même nom.

C’est devenu un jeu, les trouver et les photographier. Les plus intéressantes sont bien évidemment celles qui sont très difficile d’accès et situées dans des endroits abandonnés. Comme il y en a plus de 8'000 en Russie et 5'000 en Ukraine, j’ai encore de la marge avant de devoir me recycler dans autre chose !

J’arrive devant un portail fermé et suis accueilli par des chiens très agressifs. Deux hommes et une femme sortent du bâtiment. Je leur demande si je peux photographier le buste de Lénine. C’est la première fois qu’on leur demande une chose pareille et une fois passé l’étonnement, ils me demandent ce que je fais ici. Ils m’invitent et après m’avoir offert le thé et du gâteau, sorte une bouteille de cognac et on boit un toast avant que je reprenne la route.

Je suis le premier étranger qu’ils voient. Sasha, qui doit avoir la quarantaine vit ici avec ses parents. Malgré mes lacunes de vocabulaire, je comprends que cet endroit était une prison ou un camp de travail forcé à l’époque soviétique. Ils semblent être les derniers gardiens de ce complexe abandonné, mais je ne comprends pas vraiment ce qu’il reste à garder parce que tout est détruit ici et d’après leurs dires, la ville est quasiment abandonnée.

Quand enfin nous voyons le panneau indiquant « Magadan », après quelques heures, on est rapidement rejoint par une équipe d’enduristes locaux. Pavel, un type en Landcruiser nous attendait. Il avait entendu parler de nous par Chris, l’australien en Ténéré avec qui nous avons voyagé jusqu’à Ulan Ude, tout au début de notre voyage.

A partir de ce moment, Pavel s’est occupé à 100% de tout pour nous. On est allé laver les motos, puis on les a stockées dans un garage d’un de ses amis avec celle de Chris avant qu’il nous amène dans un petit hôtel où l’on retrouve pour la troisième fois Sasha et Anton, nos amis camionneurs. On apprend qu’une femme s’est noyée alors que son mari a tenté de traverser la rivière avec son camion le jour où nous sommes retournés à Ust Nera. La cabine est restée coincé sous l’eau… Des histoires tragiques dans ce genre il y en a beaucoup, et spécialement à la fin de l’hiver, quand des véhicules passent à travers la glace sur les rivières qui commencent à dégeler.

Pavel, qui a pris congé, va nous faire découvrir la ville, dont le magnifique mémorial en hommage à tous ceux qui sont morts dans les camps, le « Mask of Sorrow », la statue du mammouth en métal.

Le samedi, c’est sa traditionnelle sortie au Banya (sauna Russe) avec ses potes. Il nous invite, mais mes acolytes préfèrent se reposer un peu. J’y vais seul avec eux, et après un apéro bien copieux aux bains, on débarque dans un restaurant où la soirée continue avec du chachlik (grillades à la russe) et de la vodka. Je vois bientôt plus mes mains, et on finit je-ne-sais-comment dans un club avec un DJ qui mix de la pop russe (c’est encore pire que la pop américaine) depuis une cabine d’hélicoptère Mi-8 fixée au mur… Je ne sais même pas comment je me suis retrouvé dans mon lit, mais nul doute que c’est encore une fois Pavel qui s’est occupé de tout.


L

e lendemain matin, j’avais appris un nouveau mot de Russe « budun » qui signifie « gueule de bois ». Pavel nous rejoint en fin de matinée avec 500g de caviar de saumon frais pour le petit déjeuner. Difficile de faire mieux que des toasts, du beurre et une bonne grosse couche de caviar… Quoi qu’une tranche de Gruyères ça s’accorderait drôlement bien au goût je pense.

Finalement on ne pourra même pas aller charger nos motos dans le container au port avant notre départ car il était fermé pour cause de sécurité. Un chargement d’explosifs à destination de l’industrie minière était en cours de déchargement. Figurez-vous qu’encore une fois, c’est Pavel qui nous amènera à l’aéroport, c’est lui qui prendra congé et qui, avec quelques amis, transportera nos motos au port après notre départ… Qui donc aurait fait autant pour des inconnus sans rien attendre en retour chez nous ?
Certainement pas moi, qui suit tout le temps à la course contre la montre. En plus de cette belle leçon de vie, je me suis fait des vrais amis en seulement quelques jours. D’ailleurs, depuis 2014 je suis déjà retourné les trouver deux fois.

Epilogue

Durant l’été 2015, je prends un vol pour Gothenburg en Suède chez Uwe qui est allé récupérer ma moto à Hambourg avec la sienne. Pendant l’hiver il m’a fait une révision complète. Elle est prête pour de nouvelles aventures. Je repart pour le cap nord puis la péninsule de Kola en Russie avant de laisser ma moto chez un ami en Finlande.

En juillet 2016, on avait prévu de retenter l’ancienne route d’été en partant de Magadan, mais les choses ne se sont pas vraiment passées comme prévus. Uwe qui était parti depuis la Suède a eu des problèmes mécaniques à moins de 1’500km du but et a dû abandonner.

David Zimmermann
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